Après un jour de repos à Città di Castello où Logan n’a fait que dormir, sa motivation semblait à nouveau intacte ce matin. Nous aurions préféré accomplir une étape plus courte mais il n’y avait pas d’hébergement à part quelques chambres d’hôtes après quelques kilomètres ou un hospice religieux qui n’accepte pas les chiens. Nous avions également envisagé de prendre un bus à mi-étape et dormir à Città di Castello ou Gubbio puis revenir demain pour la suite, mais il n’y a pas la moindre ligne de bus à proximité du trajet. En avant pour la longue étape alors !
Pour la première fois depuis Florence, nous avons croisé d’autres pèlerins en route. Nous en avions aperçu quelques-uns de temps en temps en sens inverse, deux loin devant que nous n’avions pas rattrapés ainsi qu’un homme arrêté une fois, sans compter ceux que nous avions croisés dans les gîtes le soir. Ce matin, nous avons rapidement dépassé un couple d’Allemands, puis un père et son fils italiens qui semblaient en souffrance, un couple italien et enfin Girolamo avec qui nous avons marché quelques kilomètres. Il est parti de chez lui dans le nord de l’Italie il y a un mois et se rend à Rome en suivant le chemin de Saint Antoine. Il a ainsi traversé toute la zone sinistrée dans la région de Bologne. Il était d’une grande gentillesse et très intéressant. C’est un homme qui a décidé de partir marcher l’année passée pour se libérer du stress de son travail. Il s’est rendu à Compostelle, va à Rome cette année et veut ensuite aller à Jérusalem. Son rythme étant toutefois bien plus lent que le nôtre, nous nous sommes quittés au sommet d’une montée.
Nous trouvons amusant d’essayer de deviner l’origine et “l’ancienneté” des marcheurs que nous apercevons devant nous. En règle générale, la marque des sacs à dos constitue un bon indicateur quant à la provenance des pèlerins. Pour ce qui est de l’expérience, nous observons la démarche, la tenue, la propreté, les chaussures, etc. En un coup d'œil, nous pouvons souvent déterminer si ce sont des marcheurs tout neufs qui portent trois fois trop et souffrent à chaque pas. Cela nous amuse toujours et nous rappelle nos débuts il y a exactement dix ans, quand nous étions naïfs et croyions encore qu’un troisième slip s’avérait nécessaire…
En analysant la carte, nous avions repéré deux chemins plus directs qui nous permettraient de quitter l’asphalte et couper quelques kilomètres. Nous avons cependant appris en une semaine — pardon pour les lecteurs friands de situations absurdes — et avons attendu de voir lesdits chemins pour nous y engager afin de ne pas nous retrouver à nouveau dans une jungle épineuse. Ils étaient au final bien marqués et représentaient une alternative en forêt à la fois agréable et plus directe.
Alors que nous nous trouvions sur un de ces chemins, des nuages noirs ont pointé le bout de leur nez. Nous avons décidé de nous arrêter sur un grand rocher en forme de baleine pour dîner avant la pluie, ne sachant pas si nous en aurions l’opportunité ensuite. Quand les premières gouttes sont tombées, nous avons enfilé nos K-ways, protégé nos sacs et sommes repartis. En quelques secondes, une pluie extrêmement drue s’est abattue. Nous nous sommes abrités sous des arbres en espérant que l’intensité baisse mais après quelques minutes nous avons compris que ce serait vain et avons décidé de reprendre la route le plus rapidement possible. Un violent orage s’est alors déclaré. Il pleuvait des trombes d’eau, les chemins se sont transformés en torrents de boue et le tonnerre éclatait juste au-dessus de nos pauvres têtes. Les éclairs nous semblaient beaucoup trop proches et nous avons arrêté de compter quand nous avons réalisé qu’ils étaient séparés de moins de trois secondes des coups de tonnerre. A ce moment-là, nous nous sommes maudits de n’avoir jamais pris le temps d’apprendre les bons gestes en cas d’orage ! Dans tous les cas, il n’y avait aucun abri sûr à proximité et nous avons décidé de presser le pas pour sortir au plus vite de cette zone puisque l’orage ne semblait pas décidé à en faire autant. Parvenus à l’orée du bois, nous devions traverser un alpage et avons préféré patienter sous le couvert d’arbres légèrement plus étanches que les autres. Malgré notre ignorance, il nous semblait idiot de nous exposer au milieu d’un champ, cibles bien trop tentantes pour ces vils éclairs. Nous avons fait un jeu et attendu de ne plus entendre de grondements de tonnerre pendant plusieurs minutes avant de nous engager dans l’alpage.
Par chance, l’orage a cessé et la pluie est tombée moins fort durant les deux heures qu’il nous restait jusqu’à Pietralunga. Nous avons marché d’un bon pas et espérions que Girolamo et les autres marcheurs avaient pu s’abriter et éviter les grosses précipitations. Une voiture est arrivée en sens inverse et le conducteur nous a demandé si nous nous rendions à son gîte. Ce n’était pas le cas et nous l’avons revu près de 45 minutes plus tard avec les deux Allemands. Il nous a très gentiment proposé de nous amener ou de prendre nos sacs. Nous avons décliné. A ce moment-là nous étions presque arrivés et il pleuvait si légèrement que nous avions l’impression de sécher.
Nous avons atteint Pietralunga peu après 15 heures. De prime abord, le village nous a paru à l’abandon et peu accueillant. Une visite du centre historique tout en pierre a complètement changé notre opinion. Les ruelles médiévales sont intactes, parfaitement restaurées et joliment mises en valeur.
Nous avons bu un thé “normal” dans un des trois bars de la rue marchande puis soupé au restaurant peu convaincant sur la place du 7 mai, qui célèbre à mon insu mon anniversaire depuis des décennies. Le village nous a paru particulièrement vivant, avec de nombreux autochtones et une quinzaine de pèlerins dans ses différents établissements (ce sont ceux qui se promènent en sandales-chaussettes sous la pluie car leurs chaussures de marche essaient de sécher dans les chambres d’hôtel…).