La séparation des chemins qui en fait se retrouvent

La météo annonçant de gros orages demain, nous avons choisi de réserver trois nuits à Rieti. De cette manière, nous avons pu marcher aujourd’hui une étape mais demain nous serons en ville plutôt que coincés à Rocca Sinibalda ou dans un hameau quelconque. Afin de ne pas être dépendants des transports en commun plutôt rares, nous avons pris ce matin un bus pour Rocca Sinibalda et avons parcouru l’étape à l’envers pour revenir à Rieti.

Le bus sur demande nous attendait effectivement vers 8 heures à la gare. Nous étions les seuls passagers et il s’agissait ainsi presque d’un trajet en taxi, mis à part que nous avons payé 2.60 euros pour les deux. Le chauffeur était sympathique et loquace. Il nous a demandé si nous étions passés par Poggio Bustone et nous avons simplement répondu par l’affirmative, attendant de savoir si c’était un lieu qu’il appréciait avant de donner notre avis. Il nous a expliqué avec enthousiasme venir de là et avoir grandi près du sanctuaire. Nous avons souri poliment et avons dit que nous avions très bien mangé à la petite osteria.

Rocca Sinibalda se situe au sommet d’un promontoire rocheux. Elle est composée d’une imposante forteresse et d’une simple rue. Nous avons marché jusqu’au château, mais il était malheureusement fermé. Nous avons alors fait demi-tour et nous sommes engagés sur une petite route qui parcourait les crêtes, offrant de jolis panoramas entre des incursions en forêt.

Belmonte in Sabina

Au village de Belmonte in Sabina, nous avons été interpellés par un monsieur qui buvait l’apéro sur sa terrasse avec une vieille voisine : 

- “Vous allez dans le faux sens ! a-t-il lancé.
- Oui on sait, on va à Rieti.
- Ah alors c’est bon. Normalement les gens marchent dans l’autre sens.
- Oui, mais c’est un peu compliqué. Aujourd’hui on va à l’envers.
- Mais pourquoi ils marchent ? a demandé la dame.
- C’est des pèlerins.
- Mais je peux vous amener, j’ai la voiture.
- Mais non ! Ils veulent marcher !
- Mais c’est idiot, moi je peux les conduire, j’ai le temps.”

Nous avons encore échangé quelques minutes avec ces deux joyeux personnages, déclinant poliment les invitations de la dame, puis nous avons marché jusqu’à la place centrale. Quand nous avons demandé à deux messieurs s’il y avait un bar, ils nous ont répondu que malheureusement le seul bar du village n’ouvrait qu’à la mi-juin. L’un d’eux a par contre ajouté que si nous voulions juste boire un café, il nous en offrait volontiers un à la maison de commune où il travaillait. Nous l’avons remercié et avons également refusé, craignant de faire la grimace face à un espresso trop serré pour nos palais peu entraînés. Nous avons préféré faire une courte pause sur un des nombreux bancs décorés du village. Le ciel s’est alors rapidement assombri pour devenir très menaçant et nous avons pensé qu’il y avait peu de chance que nous finissions l’étape sans être détrempés et frigorifiés. Comme des idiots, nous n’avions emmené que le strict nécessaire et avions laissé à Rieti K-ways et parapluies…

Nous nous sommes empressés de repartir, estimant que chaque kilomètre parcouru au sec serait un kilomètre de moins à parcourir sous la pluie. En quittant le village, nous nous sommes engagés sur une longue descente en forêt avec un passage très raide dans de la caillasse que nous ne serions pas parvenus à descendre indemnes s’il n’y avait pas eu des cordes auxquelles nous tenir. Peu après, nous avons croisé un petit groupe qui montait avec peine. Ils avaient l’air épuisés et l’un d’eux nous a demandé avec beaucoup d’espoir si le sommet était proche. Nous étions un peu embarrassés, car il leur restait en tout cas un kilomètre et demi, voire deux. Leur donner ce chiffre les aurait démoralisés mais nous ne pouvions pas non plus leur faire croire qu’ils étaient bientôt en haut, surtout avec le passage des cordes qui les attendait au prochain virage… Je leur ai alors annoncé avec un sourire désolé qu’il leur restait encore un bon bout. Cela a semblé déprimer le plus fatigué d’entre eux, aussi me suis-je hâtée de l’encourager : 

- “Mais ça va aller, un pas après l’autre, c’est tout.
- Oui, un pas après l’autre.
- Et puis en haut il y a une jolie petite place. Bon, il n’y a pas de bar, mais il y a une fontaine.
- Pas de bar ?!”

C’était le coup de grâce. J’ai précisé qu’il ouvrait mi-juin seulement, me gardant d’ajouter qu’à leur rythme et vu ce qui leur restait à parcourir le bar serait peut-être ouvert à leur arrivée.

Une fois en plaine, nous avons entendu quelques coups de tonnerre. Quand nous avons aperçu un pont, nous avons profité de ce refuge pour nous protéger de l’orage. Je n’étais pas sûre que nous étions plus en sécurité si la foudre tombait sur ledit pont, car il semblait plutôt vétuste, voire friable, mais par chance la foudre l’a épargné et quand des trombes d’eau sont tombées nous étions au sec. L’orage est rapidement passé et nous sommes repartis sous une très fine bruine qui n’a pas duré.

Au revoir François

Nous avons ensuite marché dans la vallée du Turano pendant plus d’une heure, n’apercevant qu’en de rares occasions le fleuve. Au moment de rejoindre une route, nous avons retrouvé les balises de la Via di Francesco. Les deux chemins de pèlerinage, qui se rencontrent à Poggio Bustone et se chevauchent ensuite, se quittent peu après Rieti : celui de Francesco continue vers Rome tandis que celui de Benedetto reste à l’intérieur des terres, vers Montecassino. Puisque nous avons fait cette étape à l’envers, nous avons commencé sur le chemin de Benedetto et retrouvions ainsi celui de Francesco à l’endroit où nous aurions dû lui dire adieu. Nous lui avons dit adieu pour la forme, même si nous étions contents de le revoir, car nous avons eu beaucoup de plaisir à le parcourir. Un peu compliqué, en effet…

La route est devenue importante mais une piste a été tracée en contrebas de la chaussée, à bonne distance des voitures. C’était sécurisant et plus agréable que de marcher sur le goudron, mais à la fois peu intéressant et très effrayant de voir la quantité de déchets abandonnés par les automobilistes.

Parvenus à un petit bar face à une station d’essence, nous avons fait une brève pause afin de reprendre quelques forces avant les derniers kilomètres. La jovialité de la serveuse et l’idyllisme du lieu laissaient quelque peu à désirer, mais le café était particulièrement bon et le repos fort appréciable. Le chemin traversait ensuite la rivière pour suivre des routes plus tranquilles jusqu’à Rieti.

Nous étions de retour à l’appartement avant 14 heures. Nous avons profité qu’il y ait une machine pour faire une vraie lessive, puis nous nous sommes promenés en ville.