Un raccourci vers les champignons

Poggio Bustone présente l’avantage de devenir plus séduisante à mesure qu’on s’en éloigne. C’est à peu près ce que nous avons pensé après avoir quitté le village par ses innombrables escaliers raides et en l’observant depuis la forêt en contrebas, puis quelques kilomètres plus loin encore où nous en oubliions presque son délabrement tant il semblait mignon avec ses petites maisons de pierre.

Après un passage en forêt, nous avons atteint le minuscule hameau de San Liberato et son exposition à ciel ouvert dédiée aux moulins blessés. Un chat narguait Logan au milieu de la route et nous avons dû user de patience et de ruse pour le contourner, si bien que nous n’avons pas remarqué la balise derrière ce fourbe félin. Parvenus à une route plus importante, nous avons compris notre erreur mais n’avions pas envie de revenir sur nos pas. Nous avons donc progressé sur cette voie pendant un petit quart d’heure jusqu’à Cantalice.

Cantalice

Le village est lui aussi accroché au versant d’une petite montagne jusqu’à son sommet. Ses maisons en pierres sont imbriquées les unes aux autres et un vaste réseau de ruelles et d’escaliers serpente entre elles. La vue d’ensemble est digne d’un film de fantasy, mais à nouveau, plus on s’en approche et plus on constate la décadence qui touche la plupart des habitations.

Nous avons choisi de ne pas nous arrêter au café au pied du bourg, préférant atteindre le sommet et faire une pause ensuite. Erreur de débutant. Il faut savoir accepter ce que l’on trouve et non pas se bercer d’espoir. Il n’y avait pas de bar en haut. L’accès à la place devant l’église et le château était condamné en raison de travaux mais une déviation était en place. Nous avons suivi ce détour et sommes revenus vers la place, mais il n’y avait aucun commerce et l’église était fermée. Un peu plus loin, il y avait tout de même un petit magasin d’alimentation et nous y avons acheté à manger. Le propriétaire du magasin, un joyeux octogénaire, était enchanté de pouvoir discuter et ne nous laissait plus repartir. Nous avons ainsi pu apprendre l’histoire du monastère de Subiaco et noter quelques bonnes astuces pour qu’un moine nous permette d’y observer le corbeau de Saint Benoît, comprendre pourquoi des cars de Chiliens ont débarqué inopinément dans ce hameau dans les années 70, en savoir plus sur la discorde de 1964 entre le syndic et le prêtre et découvrir non sans stupeur que Saint Félix n’est pas célébré comme il se doit dans son village natal malgré sa fête annuelle (qui a lieu demain). Nous avons profité de la distraction apportée par l’arrivée d’autres pèlerins pour nous éclipser.

Sanctuaires

Nous avons suivi une jolie petite route sur la crête qui offrait une belle vue sur les montagnes à gauche et la vallée à droite. Peu après Cantalice, nous avons atteint une petite église et son jardin qui abritent un mémorial aux victimes d’un accident d’avion survenu en 1955. Nous y avons fait une pause puis avons continué jusqu’au sanctuaire où Saint Félix de Cantalice aurait fait surgir une source d’eau miraculeuse. Sans vouloir mettre en doute sa bravoure et ses mérites, il nous a semblé que cette prouesse aurait été plus remarquable au milieu du désert que dans une région montagneuse traversée par des centaines de cours d’eau. Mais soit. Ladite source coule toujours et nous y avons bu une petite gorgée par acquis de conscience. Néanmoins, comme la chapelle construite sur le lieu du miracle était fermée et que les quelques maisons alentour étaient dans un état déplorable, nous ne nous y sommes pas attardés. 

Une demi-heure plus tard environ, nous avons rejoint un autre sanctuaire, bien plus fréquenté, où Saint François a accompli le miracle du vin. En résumé, il s’agissait à l’époque d’une chapelle occupée par un prêtre vigneron. François s’y était retiré durant près de deux mois en attendant de pouvoir soigner ses yeux à Rieti. Il était bien sûr accompagné de nombreux frères qui, durant leur séjour, ont goulûment mangé tout le raisin. Il n’en restait alors plus assez pour faire du vin, mais c’était sans compter un petit miracle de François qui a obtenu des quelques grappes restantes plus du double de vin des années précédentes. La petite chapelle est depuis devenue un lieu important de pèlerinage, avec un monastère et de vastes vergers.

De tout cela, nous n’avons cependant pas vu grand-chose. A peine arrivés au sanctuaire, nous avons été assaillis par cinq chiens surexcités à la vue de Logan. Ils aboyaient et couraient autour de nous, indifférents aux appels à l’ordre de leurs propriétaires qui travaillaient apparemment dans le cloître. Le petit Birba, méprisable créature, a même pris la liberté de venir uriner sur ma chaussure ! Nous avons donc passé notre chemin, ne souhaitant pas perturber plus longtemps ce lieu de retraite et de prière. Malgré tout, nous étions un peu fatigués et souhaitions tout de même faire une pause pour dîner. A l’autre bout des jardins, nous nous sommes assis sur un muret mais cette enflure de Birba a déboulé en aboyant comme un damné, suivi de ses fidèles compères. Ils semblaient prêts à parcourir quinze bornes s’il le fallait pour défendre leur territoire et nous en chasser, visiblement peu concernés par l’esprit d’hospitalité et de bienveillance prôné par Saint François. Nous n’avons pas insisté.

Rieti

Nous avons suivi une route peu passante mais sans grand intérêt, si ce n’est une chapelle annoncée comme l’une des plus anciennes du Latium mais évidemment fermée. Peu après, nous avons atteint Rieti. Notre première impression de la ville a été très négative, puisque nous avons découvert ses trottoirs défoncés et jonchés de déchets, sa circulation intense et le manque de charme absolu de ses quartiers périphériques. Rapidement, nous avons compris qu’aux passages piétons il ne suffisait pas d’attendre qu’un automobiliste daigne s’arrêter : il convient de traverser au moment où on estime que l’automobiliste aura suffisamment de temps pour s’arrêter et ne pas nous écraser. La nuance est subtile.

Nous avons ensuite eu la chance d’assister à une scène tout à fait surréaliste : la sortie d’une école. Entre les parents qui venaient chercher leurs rejetons et s’arrêtaient sur la route, les véhicules qui continuaient de circuler dans les deux sens, les jeunes qui partaient en scooter et les hordes d’étudiants qui zigzaguaient au milieu de tout ça puisque évidemment il n’y avait pas de trottoir, le chaos était total. Mais personne ne semblait s’agacer, puisque ceci doit se dérouler de la même manière tous les jours. Personne n’a songé à réguler et fluidifier le trafic, en demandant par exemple aux parents de se garer dans le parking (désert), en instaurant un sens unique ou en ajoutant des trottoirs. Fascinant.

Nous avons franchi les murs d’enceinte de la vieille ville et avons pique-niqué sur une place. Nous avons ensuite mangé une excellente glace et bu un verre en attendant de pouvoir prendre possession de notre appartement. Nous avons décidé de rester ici trois nuits car la météo annonce de gros orages en fin de semaine. De cette façon, nous pourrons marcher demain et visiter la ville dimanche, avant de reprendre notre périple lundi.

Nous voulions obtenir des informations sur les bus afin de pouvoir effectuer la prochaine étape demain, mais le site internet des bus du Latium est incompréhensible. Nous sommes alors allés à l’office du tourisme et la dame nous a avoué qu’elle ne comprenait pas non plus ce site et qu’il fallait demander directement aux chauffeurs. Direction la gare où nous avons trouvé un chauffeur. Il ne pouvait pas nous répondre mais nous a accompagnés auprès de trois autres chauffeurs. Ceux-ci se sont concertés longuement, ont étudié l’application, ont débattu de leurs itinéraires du lendemain et sont finalement parvenus à la conclusion, mais sans grande certitude, qu’il n’y aurait pas de bus allant là où nous voulions. Ils nous ont alors conseillé d’essayer le Chiamabus, un système de bus à la demande qui dessert les villages autour de Rieti. De retour à notre appartement, nous avons téléchargé l’application et avons pu réserver une course à l’heure voulue. Nous verrons demain si ça fonctionne vraiment ou si nous devrons appeler un taxi…