Pour cette dernière étape sur l’Eifelsteig, nous avons quitté l’Eifelsteig. En discutant l’autre jour avec Stephan, il nous a prévenu qu’un pont était cassé avant Kordel et qu’il n’était pas possible de rejoindre ce village. Nous nous sommes renseignés et avons découvert qu’effectivement le pont a été arraché lors des intempéries de 2021 et n’a toujours pas été remplacé. Ce qui est surprenant, c’est que j’avais étudié les dernières étapes avec attention lors de la préparation du voyage et la réservation des hôtels car nous avions choisi de grouper quatre étapes en trois jours. J’ai donc passé du temps sur le site internet officiel de l’Eifelsteig et sur les pages détaillées des étapes et je n’ai absolument pas vu cette information. En y regardant de plus près, il y a une notice dans les actualités de 2021 qui précise qu’il faut marcher jusqu’à une ville en amont de la rivière et prendre un train pour Trier. Mais sur le détail de l’étape, rien du tout. C’est également curieux qu’en quatre ans ils n’aient pas mis en place un itinéraire de remplacement puisqu’il doit forcément y avoir d’autres chemins de randonnée permettant de rejoindre cette vallée ou, au pire, d’en emprunter une autre.
Par chance et pur hasard, nous avions réservé notre dernier hôtel à Zemmer, avant le pont absent. Nous avions prévu de marcher une trentaine de kilomètres sur l’Eifelsteig jusqu’au centre de Trier mais avons dû revoir nos plans. Nous avons alors décidé de partir dans la forêt sur quelques kilomètres et rejoindre le chemin de Saint-Jacques de Compostelle au bord de la Moselle et de retrouver l’Eifelsteig pour l’ultime tronçon.
Nous sommes donc partis dans les bois comme Henry David Thoreau mais y sommes restés un peu moins longtemps car nous savons lire une carte. Nous avions effectué des captures d’écran du parcours et nous en sommes plutôt bien sortis, même si nous avons dû adapter l’itinéraire à deux reprises pour ne pas nous enfoncer sur des pistes à peine tracées, préférant rester sur des chemins plus larges. En réalité, ce n’était pas difficile mais il s’agissait néanmoins de demeurer attentifs et bien estimer les distances parcourues pour toujours savoir où nous nous situions sur la carte.
Nous avons découvert une belle aire de repos offrant une vue sur une ville en contrebas et un petit bout de Moselle. Cette place de pique-nique a été construite après qu’un incendie a brûlé ce coin de forêt. Les arbres étaient morts en raison du changement climatique et un banc venait d’être installé quand une personne s’y est assise et a jeté un mégot de cigarette. La forêt a pris feu. Ils ont réutilisé les troncs calcinés et aménagé un bel espace de détente accompagné de panneaux explicatifs et préventifs. Nous ne nous y sommes toutefois pas arrêtés et avons poursuivi sur un sentier didactique où des arbres venant de part et d’autre du monde ont été plantés. Nous avons ainsi marché entre des séquoias et d’autres grands spécimens dont nous n’avons pas compris les noms allemands. Nous avons aussi cueilli quelques fougères qui sèchent désormais entre les pages des aventures de la petite Posy.
A Quint, nous avons quitté la forêt et retrouvé le chemin de Saint-Jacques. Cela faisait bientôt trois heures que nous marchions et nous avions bien besoin d’une pause. Après quelques centaines de mètres uniquement, nous avons délaissé les coquilles jaunes pour nous rendre dans la petite ville. Nous avons aussitôt trouvé un restaurant et, au moment précis où nous nous asseyions et commandions un café, la pluie a commencé à tomber. Nous avons bu notre café en observant la violente averse et sommes repartis vingt minutes plus tard au sec. Sacré coup de chance !
Plutôt que de retrouver le chemin de Saint-Jacques en passant dans de hautes herbes désormais mouillées, nous avons continué dans la ville pour le reprendre à la gare suivante. Ce n’était certes pas très intéressant mais le trottoir était large et nous avons pu avancer rapidement. Nous avons ensuite regagné la forêt et rejoint l’Eifelsteig peu avant Biewer où nous avons dîné sous un joli tilleul. Le tilleul est un arbre relativement étanche, comme nous avons pu le constater quand une nouvelle averse s’abattait autour de nous. Nous avons patienté quelques minutes et sommes partis après que la pluie a cessé pour les derniers kilomètres de notre périple. Nous avons grimpé sur les falaises de roche rouge qui dominent la Moselle et les avons longées jusqu’à la hauteur de Trier. La vue était belle, le temps sec, et nous braillions “You’ll never walk alone” sur un sentier meuble retourné par les sangliers. Nous nous sentions légers et vivants, forts et heureux.
La dernière descente nous a conduits à un parking où se termine l’Eifelsteig. Oui, le parcours officiel va donc de l’insignifiant Kornelimünster à un parking en dehors de Trier… Pas très solennel ou emblématique ! Nous avons donc continué jusqu’à la ville et l’avons traversée pour atteindre la gare, derrière laquelle se trouve notre hôtel. Trier doit posséder la seule gare au monde qui ne propose pas de passage sous-voies ou de passerelle permettant de la traverser. Nous avons fait ce constat avec dépit et avons marché une vingtaine de minutes supplémentaires pour trouver un pont et revenir à notre hôtel de l’autre côté des voies…
Nous avons laissé Logan et sommes ressortis immédiatement pour visiter le centre-ville et l’impressionnante cathédrale qui mêle toutes les époques et tous les styles. Trier est la plus ancienne ville d’Allemagne, occupée déjà par les Romains. C’est également le lieu de naissance de Karl Marx. Son centre contient de nombreux vestiges et bâtiments historiques, de belles églises et de longues rues piétonnes. Nous avons arpenté la ville durant près de deux heures avant de boire une bière devant la cathédrale où se déroulait un concert de jazz. Nous n’apprécions pas du tout ce type de musique, mais le cadre nous semblait tellement improbable qu’il nous a plu. Nous étions là avec nos chaussures crottées de terre rouge, marcheurs anonymes au milieu de la ville, au pied d’une église aussi improbable que sublime, sirotant une bière dans le vent alors que la chanteuse évoquait les beaux jours d’été. Summertime and the living is easy.