Nous sommes arrivés hier à Bologne et avons dormi dans un hôtel à deux pas de la place centrale. Nous avions déjà visité cette ville il y a quelques années, aussi avons-nous simplement déambulé dans ses rues aux arcades infinies. Nous avons également profité de laisser Logan à l’hôtel pour visiter la cathédrale et obtenir le premier tampon de notre crédenciale. Ce matin, nous avons ainsi pu prendre la route rapidement pour entamer ce nouveau voyage.
Bologne doit être la seule ville dans laquelle il est possible de marcher trois heures un jour de pluie sans recevoir la moindre goutte. Nous avons parcouru quelques centaines de mètres sous des arcades, profitant de faire quelques provisions avant de quitter la ville, puis nous avons entamé l’ascension des 666 arcades qui conduisent jusqu’au sanctuaire de San Luca. Ce tronçon est classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO et chaque petite arche est numérotée pour que nous puissions bien suivre notre progression. Elles sont aussi toutes dotées de plaques de marbre qui témoignent de leur dernière restauration et du nom des généreux donateurs, qui ont pour la plupart dédié leur soutien à des proches décédés ou à la Vierge qui les a au contraire préservés de la mort durant la guerre.
Après deux kilomètres, nous sommes parvenus à l’église. Une messe s’y tenait mais nous avons successivement jeté un coup d'œil à l’intérieur tandis que l’autre faisait une courte pause à l’extérieur avec Logan. J’en ai profité pour échanger quelques mots avec une jeune fille qui porte un lourd sac avec tout son matériel de camping. Elle semble novice mais a l’air bien équipée. Il n’y avait malheureusement pas de petit café et la température était fraîche, donc nous nous sommes vite remis en marche.
Très vite, nous nous sommes retrouvés en pleine nature avec une belle vue sur la vallée en contrebas. La lumière semblait celle d’une fin de journée et perturbait mes sensations. J’avais l’impression qu’il était déjà tard et que nous aurions déjà dû être arrivés quand bien même nous venions d’entamer la journée. Nous sommes descendus dans un bosquet et nous sommes retrouvés à un croisement où deux panneaux indiquaient des villages. L’un d’eux ne figurait pas sur notre carte tandis que l’autre, Montagnola, était mentionné dans les explications. Nous avons logiquement suivi cette direction et nous sommes retrouvés à Montagnola di Mezzo (du milieu) et Montagnola di Sopra (du haut) alors que le guide évoquait Montagnola di Sotto (du bas). Ça commençait bien ! Notre carte n’est pas du tout assez précise pour qu’y figurent les petits sentiers de randonnée ou les hameaux, mais nous avons estimé notre emplacement et la direction était de toute façon correcte. Nous avons simplement marché sur les hauteurs au lieu de suivre la rivière et nous avons attendu un chemin vers la droite pour redescendre sur l’itinéraire de la Via degli Dei.
Le guide mentionnait une “végétation exubérante” le long de la rivière. Cette définition demeure un peu floue à mon goût mais il est vrai qu’il y avait quelques lianes, des arbres et des buissons touffus et beaucoup de verdure. Sans doute est-ce là une végétation exubérante.
Nous avons fait une pause sur les grosses pierres d’un ancien barrage tandis que Logan jouait dans l’eau et se roulait ensuite dans le sable. Nous avons ensuite gagné un peu de hauteur jusqu’à une stèle en mémoire de quinze jeunes gens du coin abattus par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Ils ont été amenés là en représailles de la mort de deux soldats allemands et sommairement exécutés après avoir été forcés de creuser leur propre tombe. Quatorze noms uniquement figuraient sur la stèle, car on ignore qui était la dernière personne.
Sur ces joyeuseries, nous avons poursuivi notre marche. Devant l’une des seules maisons de l’étape, une dame était assise et nous a proposé un café. Nous étions repartis depuis une petite demi-heure seulement et nous voulions encore avancer avant la pause de midi, d’autant que d’après mon ressenti il était déjà (toujours ?) 19 heures et qu’il aurait été ballot d’arriver de nuit. La manière avec laquelle elle nous avait abordés nous a également laissé penser qu’elle ne le faisait pas uniquement par infinie générosité mais plutôt par intérêt. Nous avons donc poliment décliné.
Nous avons dépassé quatre marcheurs à la nationalité indéterminée dans une ascension avant de rejoindre une très jolie prairie qui s’ouvrait sur les collines alentour, avec leurs champs bordés de cyprès et des forêts teintées d’orange. Nous avons décidé de nous y arrêter pour manger.
Nous sommes ensuite repartis et avons retrouvé une forêt aux nombreux chênes et châtaigniers avant de rejoindre une petite route en terre. Une balise sur la droite m’a alors fait penser qu’il fallait emprunter le sentier qui grimpait à cet endroit. Pascal n’en était pas sûr alors nous avons étudié la carte et les indications du guide. Il était mentionné que le chemin s’enfonçait brusquement dans la forêt, ce qui pouvait concorder. Toutefois, nous ne savions pas avec certitude où nous nous situions et la carte n’est pas suffisamment précise avec son échelle à 1:50’000 pour nous montrer toutes les pistes en forêt. Les traits de peinture rouge et blanc étaient placés sur un arbre entre les deux chemins. Pascal estimait qu’il fallait continuer sur la route car les marques étaient placées sur la gauche du tronc, mais je trouvais que nous n’aurions jamais envisagé de tourner sans voir cette balise et qu’ils l’avaient donc placée là pour une raison. La direction semblait meilleure et la montée correspondait au profil de l’étape, aussi avons-nous choisi de suivre mon instinct et de nous enfoncer dans les bois. Assez vite, nous avons songé à rebrousser chemin car nous ne voyions plus de balise, mais la piste était plutôt bien tracée et il n’y avait pas le moindre croisement qui aurait justifié une signalisation. Le doute restait permis. Jusqu’à ce que nous atteignions une intersection et que l’absence de marquage nous confirme que nous n’étions plus sur la Via degli Dei. Nous avons toutefois décidé de poursuivre car la direction nous paraissait pertinente et nous ne voulions pas rebrousser plus d’un kilomètre. Nous avons réétudié la carte et en avons conclu que soit nous étions vraiment mal embarqués, soit ce n’était pas si faux, en fonction du moment incertain où nous avions dévié sur la droite. Comme le chemin restait bien visible, nous en avons déduit qu’il devait malgré tout mener quelque part et nous avons continué jusqu’à découvrir avec soulagement un panneau du Club Alpin Italien qui indiquait un village dans la bonne direction. Le panneau n’était cependant pas celui de la Via degli Dei et nous avons ignoré ses instructions pour trouver à quelques mètres de là un carrefour avec la signalisation qui nous intéressait. Nous avons désormais compris que nous avons dégoté là un raccourci négligeable et que notre intuition n’était pas tout à fait erronée.
Peu avant Monte Adone, nous avons décidé d’emprunter l’itinéraire cycliste qui retire deux kilomètres et environ 150 mètres de dénivelé à l’étape. Cela nous faisait manquer l’ascension jusqu’au sommet de la montagne, d’où le panorama était apparemment splendide. Comme il n’y avait pas de château ou de cascade ou de choses particulièrement phénoménales indiquées, nous avons décidé de réduire l’étape. Ce n’est qu’une fois au gîte que nous avons réalisé que la photo de couverture de notre guide, que plus tôt dans la journée nous avions admirée et espérions ne pas manquer durant ce voyage, était prise exactement au sommet du Monte Adone que nous venions délibérément de manquer. Nous ne nous félicitons pas !
Nous dormons dans un Bed & Breakfast de Brento, hameau sans charme de quelques maisons. D’autres marcheurs dorment également ici : Gianni le Piémontais, Anna d’Udine et les quatre potentiels Danois qui sont peut-être hollandais ou estonien. Qui sait à quoi ressemble l’estonien ?
Après avoir pris une rapide douche et fait notre lessive, nous avons entrepris un tour du patelin. Quatre minutes plus tard, nous étions de retour, aussi éblouis qu’un Breton en hiver.
Nous avons soupé avec Gianni et Anna dans l’unique restaurant du village, étonnamment grand et fréquenté. Anna entreprend son tout premier voyage à pied et semble inquiète de moult choses. Elle a peur d’arriver trop tard et de devoir marcher dans la pénombre, d’être attaquée par des bêtes sauvages, de se perdre ou de ne plus avoir d’eau. En réalité, elle s’en sort plutôt bien et a eu du plaisir à marcher aujourd’hui, donc elle n’est pas prête de s’arrêter. Gianni nous a quant à lui abreuvés d’anecdotes de ses nombreux voyages, ne s’intéressant nullement à nous et ramenant chaque discussion à sa dernière expédition au Népal. Nous avons été soulagés d’apprendre qu’il effectuera deux étapes demain et que nous ne le reverrons plus.