Via Francigena

Les deux étapes entre Sierre et Martigny ne nous motivaient absolument pas. D’une part, nous avons déjà parcouru ce tronçon en 2013 lors de notre voyage vers Compostelle. D’autre part, ce sont des étapes que nous pourrons refaire à notre gré une fois de retour. Comme en plus nous devons marquer deux jours de pause pour nous occuper de Logan demain et après-demain, nous préférions sauter ces étapes et profiter de deux jours supplémentaires en Italie.

En route donc pour la Via Francigena !

Martigny

Nous avons pris le train jusqu’à Martigny et avons rejoint la Via Francigena vers l’église, évidemment. Nous sommes ensuite passés devant la Fondation Giannada et les ruines romaines, en apprenant plus sur les batailles historiques ayant déchiré cette brave Octodure. Alors que nous repartions, une femme nous a interpelés. Elle portait un cabas duquel elle a sorti une ardoise. Trois bolets à la beauté douteuse y avaient été peints. La femme, dont l’apparence laissait penser qu’elle était sans abri, nous a expliqué qu’elle venait de tomber et qu’elle vendait ses magnifiques tableaux de bolets car il lui manquait juste dix francs pour vivre. Contre cette somme, elle acceptait même de nous remettre trois ardoises peintes. “Les bolets, c’est vraiment beau, c’est la nature, ça me rappelle mes parents. Parce que je viens de Genève moi, j’ai travaillé là-bas avant d’être malade. Maintenant mes parents sont morts. J’ai montré mes tableaux à M. Giannada et même lui il a pleuré. Ils sont magnifiques mes bolets !” Nous étions un peu perdus et embarrassés. Je lui ai expliqué à mon tour que nous étions en pèlerinage et que nous ne pouvions pas emporter des ardoises, aussi belles soient-elles. Elle insistait, nous parlait de sa chute à nouveau. Cette pauvre femme nous a bien sûr brisé le coeur, mais nous ne voyions pas trop comment l’aider. Nous nous sommes excusés et nous sommes éloignés alors qu’elle répétait en fixant droit devant elle : “C’est dommage. Ne pas avoir dix francs alors que c’est ce qui me manque pour vivre, c’est vraiment dommage…”

Nous avons traversé le Bourg et avons voulu visiter l’église à sa sortie. Il s’agit en fait du funérarium… Trois emplacements sont délimités pour recevoir autant de cercueils et des chaises sont disposées le long du mur. L’odeur m’a paru épouvantable et nous sommes ressortis aussitôt, un peu gênés.

Dans les bois

Nous avons longé les rails pendant quelques centaines de mètres avant que la vallée ne devienne trop étroite pour accueillir la route, la rivière, les rails et en plus un chemin pédestre. Nous avons donc dû prendre un peu de hauteur dans la forêt. Des étiquettes avaient été placées face à certains arbres pour les identifier. C’était l’occasion rêvée pour nous d’apprendre enfin à reconnaître un frêne !

La Via Francigena quittait ensuite ce sentier botanique pour suivre le parcours Vita. Avis à tous les amateurs de sport qui aiment quand même la vie : n’allez jamais courir là ! Le simple fait de voir le tracé qui monte inlassablement me fatiguait. Nous l’avons parcouru tranquillement à pied et pour rien au monde nous n’aurions été plus vite. Pour des raisons que nous ignorons encore, des gens effectuent néanmoins ce parcours en courant ! Nous avons été dépassés par un couple qui avançait allègrement et en papotant à un rythme très soutenu. Pis, ils souriaient comme s’ils n’avaient pas été forcés de courir là ! Nous les avons suivis du regard avec tant de fascination que nous avons failli trébucher sur des racines…

Nous avons ensuite traversé la vallée ainsi que le village terne et déprimant de Bovernier avant de nous enfoncer à nouveau dans les bois. Cette fois, le chemin traversait de nombreux pierriers qui ralentissaient notre progression : les cailloux roulaient et étaient trop petits pour offrir de bons appuis. Et puis nous sommes arrivés dans un coin de forêt tout à fait enchanteur. Nous nous serions crus dans un jeu vidéo, ou plutôt dans un livre de fantaisie. De gros rochers recouverts de mousse étaient dispersés un peu partout. Ils se chevauchaient, tellement nombreux que le sentier ne pouvait pas serpenter entre eux. Des balises avaient été peintes chaque cinq mètres pour indiquer le chemin à suivre. Il fallait alors grimper de rocher en rocher, suivre parfois le très court chemin discret qui avait été formé par les quelques promeneurs. Nous étions amusés de traverser ce décor atypique et plutôt ludique, où nous devions des fois nous aider de nos mains quand les pierres étaient trop hautes. Malgré tout, nous avions une longue étape aujourd’hui et nous progressions très lentement dans ce bois, aussi avons-nous été soulagés d’en sortir.

Pause pipi

J’avais de plus besoin d’aller aux toilettes et je me réjouissais d’arriver à Sembrancher pour satisfaire ce besoin. Il y avait des toilettes à la gare et je m’y suis rendue. Vous connaissez tous cette sensation quand on a retenu très longtemps sans peine et qu’une fois devant la porte de la maison on ne retrouve pas ses clés. Ou bien les toilettes sont occupées. C’est comme si le corps avait compris que les toilettes étaient à portée de main : il commence à se détendre un peu, soulagé. Sauf qu’il faut encore tenir un petit peu, le temps de retrouver les clés ou que la personne précédente finisse son Sudoku. Et bien là ça relève alors de la prouesse sportive. J’étais dans cette situation-là : le besoin était devenu très pressant aussitôt que j’avais aperçu le panneau “WC”. Et quand j’ai poussé la porte des toilettes pour femmes, je suis restée perplexe avant de me dandiner pour faire comprendre à mon corps qu’il devrait patienter encore un peu. Il y avait un trou dans le mur du fond avec une arrivée d’eau, la même chose sur le mur de droite. C’est tout. Pas de toilette, pas de lavabo. C’était comme qui dirait fâcheux. Je me suis précipitée vers les toilettes des hommes qui heureusement étaient plus élaborées, libres et même plutôt propres.

Avec Isabelle

Ma petite soeur nous a rejoints à La Douay pour terminer l’étape avec nous. Cela nous a fait très plaisir de pouvoir partager un bout de notre aventure ! Il restait alors une dizaine de kilomètres à parcourir et pas mal de montée. Nous avons pique-niqué sur un banc très agréable qui offrait une vue à couper le souffle sur la route dans la vallée. Nous avons pu assister à de nombreux dépassements et d’après le nombre de moteurs vrombissant plus que de raison il semble que c’était le jour de sortie des conducteurs écervelés.

Nous avons ensuite marché sur une route secondaire à une seule piste sur laquelle nous n’avons pas aperçu le moindre véhicule. C’était très plaisant car nous pouvions marcher côte à côte et les pentes étaient douces. A Orsières, nous avons visité l’église très sombre et son petit espace dédié à Maurice Tornay. Il s’agit d’un bonhomme qui a voué sa vie au Seigneur et est allé répandre la bonne parole en Chine où il a été assassiné en 1949. La pièce était très bien agencée et de nombreuses informations et objets permettaient de mieux comprendre la vie de Maurice. Toutefois, c’était bien trop dogmatique à notre goût et nous avons vite cessé la lecture, agacés.

Un rallye démarrait à la sortie du village et le bruit des moteurs nous a accompagnés pendant toute la montée qui a suivi. Nous marchions à nouveau sur une petite route en terre, gagnant rapidement de l’altitude sans toutefois être essoufflés. Puis nous avons rejoint un chemin pédestre qui franchissait une petite colline. Cette fois, la montée était rude et Isabelle a pu comprendre pourquoi je me plains toujours des idiots qui viennent agrémenter ces passages de hautes marches…

Nous avons fait une pause sur de gros cailloux et avons mangé les biscuits qu’Isabelle avait amenés. Peu après, nous sommes passés à côté d’un pré où un veau venait de naître. Il était encore tout visqueux et frêle ; les vaches formaient un cercle autour de lui pour le protéger. Nous avons voulu prévenir les paysans de cette naissance, présumant que peut-être ils voudraient s’assurer que tout allait bien, mais personne ne répondait. Et puis quand nous nous sommes éloignés nous avons vu qu’un homme arrivait en voiture et allait directement voir le nouveau-né. Tant mieux !

Vers 17 heures, nous avons finalement atteint Liddes, notre objectif de la journée. Il a commencé à pleuviner pile quand nous nous sommes arrêtés. Il nous fallait attendre une bonne demi-heure avant l’arrivée du bus et nous avons fait passer le temps en lisant le grand panneau à l’attention des touristes qui décrit toutes les particularités de la commune. Isabelle s’amusait à crier les informations clés et je suis certaine que chaque villageois a ainsi pu, non sans joie, réviser ses leçons…