My name is Lucca

Des millions de moustiques ont partagé notre chambre. Je me suis réveillée vers deux heures du matin et ai réalisé alors que le fait d’enfermer dans une même pièce sombre une personne et un moustique constituait une méthode de torture. Du moment où le bourdonnement a été repéré, il est impossible de s’endormir sereinement. L’oreille guette l’approche de la bestiole et dès que le “zzzii” lointain se transforme en “ZZZiiIIIZZZiiiIZZII” aigu, la main tente un geste vain pour tuer ladite bestiole en plein vol et à l’aveugle. Je dois avouer m’être mis une baffe à un moment. On entend alors le bourdonnement s’éloigner mais le cerveau sait que ce n’est qu’une brève trêve. Cette lutte a duré jusqu’à 3h30, quand j’ai finalement décidé d’autoriser l’insecte à sucer le peu de sang que ses congénères m’avaient laissé. Je ne pensais pas alors qu’il ne serait jamais rassasié et qu’il reviendrait inlassablement à la charge. La torture s’est poursuivie toute la nuit…

Au réveil, tous les six nous dressions le même constat : nuit de merde !

Route barrée

Nous avons rapidement quitté le gîte et avons traversé la ville encore endormie avant de marcher un bon kilomètre sur une route importante. Le chemin bifurquait ensuite à gauche pour nous faire éviter cette artère dangereuse et emprunter des routes secondaires sur les collines voisines. Après deux bons kilomètres dans cette direction, un panneau affichait que la Via Francigena était barrée et que nous aurions auparavant dû continuer sur la route principale. Mais pourquoi ne pas indiquer cela plus tôt alors ? Bande de bouseux ! Si nous étions revenus sur nos pas, nous aurions marché près d’une heure pour rien… Sur une étape de 32 kilomètres, ce genre de plaisanterie ne nous fait pas beaucoup rire ! Nous avons repéré en analysant la carte une autre route qui contournait la zone barrée et nous faisait parcourir une distance inférieure au retour sur nos pas, mais avec sûrement un dénivelé conséquent. Les raisons de la déviation n’étant pas indiquées, nous avons décidé de tenter notre chance et suivre cette seconde alternative si nous ne parvenions vraiment pas à suivre la Via Francigena. Nous avons au final pu suivre le tracé officiel, traversant une zone où des bûcherons devaient s’activer la journée car de nombreux arbres avaient été abattus. Il n’y avait toutefois pas d’interdiction de passer ou de danger signalé et nous avons pensé que nous étions arrivés juste à temps, avant que les travailleurs n’aient entamé leur journée. Nous étions soulagés de ne pas avoir eu à parcourir des kilomètres supplémentaires, bien que toujours agacés par ces idiots qui ne pensent pas à placer les informations aux endroits opportuns…

Camaiore

Nous avons marché quelques centaines de mètres dans une forêt de bambous, puis sur des petites routes calmes, avant d’emprunter une belle piste cyclable sans le moindre cycliste et finalement parcourir deux kilomètres sur les berges de la Lucese, sur un sentier ravissant, avant d’atteindre Camaiore. Nous y avons fait une pause dans un jardin public et étions déçus en quittant le village de constater qu’une nouvelle fois le chemin nous avait fait éviter toutes ses rues marchandes. Décidément, je ne vois pas l’intérêt de suivre une rue avec uniquement des habitations qui court parallèlement à celle où se trouvent commerces et bistros… Nous n’avons pas non plus trouvé l’église qui possède une statue exceptionnelle de Saint Roch exhibant un bubon sur sa cuisse droite alors que d’habitude c’est la jambe gauche qui est dénudée. Mais bon, nous avons vite surmonté cette déception !

Dans la forêt

Le sentier en forêt qui a suivi a procuré beaucoup de plaisir à nos petons, même s’il nous menait au sommet d’une colline uniquement pour avoir le bonheur de redescendre sur l’autre versant. Nous avons ensuite marché plus d’une heure sur une route tranquille et n’avons pas daigné suivre les courtes déviations çà et là car le trafic était très réduit, la route large et il y avait suffisamment d’espace sur les côtés pour que notre présence ne surprenne et ne gêne pas les automobilistes.

A Valpromaro, nous avons fait une halte au gîte communal pour profiter des toilettes et boire un verre d’eau. Trois hospitaliers préparaient le souper de ce soir et le gîte paraissait très accueillant, bien entretenu et aménagé. Il possédait un petit jardin, une cuisine, une large salle à manger. Nous avons regretté qu’il se trouve aussi tôt sur l’étape, car nous nous y serions volontiers arrêtés pour la nuit. Nous avons donc repris la route et gravi une seconde colline jusqu’au hameau de Piazzano. C’est là que nous avons dîné, sur un petit carré d’herbe contre l’église où une table et deux chaises nous attendaient. La température au soleil était des plus agréables et cet emplacement en hauteur nous offrait une vue imprenable sur les collines alentour recouvertes de leurs épaisses forêts. Nous avions un peu l’impression d’être seuls au monde dans ce minuscule jardin provisoirement nôtre. C’est dans ce calme profond que nous avons mangé des hot-thons et un peu de tome, avec du miel pour ma part. Pour finir, nous avons savouré à la cuillère le chocolat qui n’avait pas trop apprécié le voyage au soleil.

Lucca

Il nous restait un peu plus de deux heures de marche ensuite, la moitié sur une nouvelle petite route en forêt, puis nous avons traversé deux villages et le fleuve Serchio. C’est un peu comme Serchio Ramos, mais en différent en fait car c’est plutôt un fleuve. Mais c’est un peu égal. Un sentier en gravier apprécié des joggeurs longeait le cours d’eau sur trois kilomètres environ et nous permettait de contourner Lucca pour atteindre directement le centre par le Nord. Nous étions étonnés de ne pas apercevoir la moindre habitation depuis ce chemin puisque Lucca compte plus de 80’000 habitants et s’étale sur des kilomètres. Nous n’avons vu les premières maisons qu’après avoir quitté les berges et pénétré dans l’agglomération. Après une demi-heure environ, nous atteignions le centre historique délimité par une immense muraille renaissante. Celle-ci demeure quasiment intacte et offre un chemin de plus de quatre kilomètres autour du centre. Elle est tellement large qu’il s’agit pratiquement d’un parc surélevé ceignant la ville.

Ce qui nous a tout de suite frappés, c’est l’aspect touristique de Lucca. Des cartes postales étaient exposées devant chaque boutique, les spécialités des restaurants étaient affichées sur des ardoises rédigées en anglais, des magasins de souvenirs proposaient des tours de Pise miniatures, des tabliers de cuisine avec le David de Michelangelo, des sacs en cuir colorés typiques de la Toscane et sans doute fabriqués en Chine, de la vaisselle horrible avec des citrons, etc. Et puis dans la rue, des hordes de touristes. Des Allemands, des Américains, quelques Français, des tours organisés… Après quelques mètres seulement nous avons réalisé que cela faisait des semaines que nous n’avions pas traversé de ville aussi touristique. Interlaken est la dernière qui nous est venue à l’esprit. Nous nous sommes sentis un peu oppressés et pas à notre place, puisque nous n’avions pas l’impression d’être nous-mêmes des touristes. C’est peut-être un peu dur à comprendre et encore plus à expliquer, mais pour nous, arriver à Lucca n’est qu’une étape logique de notre voyage, pas une destination choisie. Même si nous avons décidé de nous y arrêter un jour, nous ne sommes ici que de passage et ne sommes pas venus pour visiter. Demain, nous allons nous promener dans les rues, peut-être visiter quelques églises ou monuments, mais surtout essayer de ressentir l’âme de cette ville et en conserver quelques images qui s’ajouteront à nos souvenirs de marcheurs. Nous ne nous sommes pas renseignés sur les musées, les édifices incontournables, les éventuelles visites attrayantes. Et nous n’allons pas le faire car nous ne sommes pas venus en touristes.

Gîte miteux

Nous avons rapidement trouvé notre hébergement, situé en plein coeur de la ville. Quand nous avons appelé ce matin pour demander s’il était possible de dormir deux nuits, la femme m’avait répondu que la première nuit serait à donation libre et que la deuxième coûterait 25 euros par personne. 50 euros, c’est presque le prix d’une chambre double dans un petit hôtel, avec déjeuner… Cela nous semblait excessif mais nous nous sommes dit que nous verrions l’état du gîte et qu’au pire nous ne paierions rien pour la première nuit, les 50 euros couvrant alors nos quatre nuitées. Nous avons attendu près de quarante minutes dans le hall d’entrée, perdant un peu patience car nous avions eu une grosse journée de marche et nous avions envie de nous poser et nous doucher. J’avais en plus vraiment besoin d’aller aux toilettes. Après cette longue attente, un monsieur qui était déjà passé trois fois devant nous en nous disant que la responsable allait peut-être arriver un jour a daigné s’occuper de nous. Quand je lui ai dit que nous avions réservé, il a dit : “Ah ! mais alors je peux m’en charger sans que la responsable ne vienne !” Il nous a fait remplir le formulaire d’entrée et nous a conduits au gîte. Il nous a indiqué deux lits dans une petite chambre et est parti. Le gîte est dégueulasse. C’est un appartement vide et en mauvais état, avec quatre chambres, une cuisine et une salle de bains. Deux Belges restent aussi deux nuits et ont une chambre plus ou moins correcte, il y a une chambre avec quatre lits où dort Nello, la nôtre miteuse et une quatrième sous les combles qui n’a pas de lumière. Le gîte est crade ; j’ignore si le sol a été nettoyé une fois depuis le début de l’année. Les lits n’ont pas de draps et les matelas et coussins sont jaunis par la transpiration des dizaines de pèlerins qui se succèdent là. La cuisine possède un frigo et des plaques, mais pas le moindre ustensile ou une seule casserole… La salle de bains est peut-être la pièce la plus potable, ce qui s’avère étonnant. Je pense que les pèlerins qui l’emploient font attention à la laisser en ordre pour les suivants. Quand nous avons vu l’endroit, nous nous sommes dit que jamais nous ne laisserons plus de 50 euros pour un tel taudis ! Et si nous en avons l’occasion, nous laisserons au maximum 30 euros, ce qui est déjà trop… Nous avons réalisé que ce qui nous gêne dans ces gîtes pourris, c’est que l’argent qui est versé par les pèlerins n’est pas réinvesti dans le gîte. Ici, la lumière ne fonctionne pas dans la plupart des pièces, les matelas sont mauvais, c’est sale et il n’y a rien destiné à améliorer le confort des marcheurs. Alors que l’argent reçu devrait être suffisant pour acheter quelques ampoules, une casserole, un petit étendage pour le linge ou un balais. Mais non ! Je pense que l’argent va à l’église, aux pauvres, aux malades ou à n’importe quelle autre cause, certes noble mais pas celle que nous souhaitons soutenir en venant ici… C’est fort dommage et cela ne nous donne pas envie de laisser grand chose, sachant que ça ne servira pas aux prochains occupants du gîte…

Nous nous sommes douchés et avons été surpris qu’il y ait de l’eau chaude, puis j’ai fait une grande lessive que j’ai étendue tant bien que mal à l’aide d’imperdables sur un fil à l’extérieur, puisqu’il n’y avait aucune pince à linge. Nous nous sommes ensuite promenés un peu en ville. Au moment où nous cherchions un restaurant pour souper, nous sommes passés devant le San Giorgio. Comme c’est le nom de mon papa (sans le San, il m’a créée mais cela n’a pas encore été reconnu comme un miracle par l’Eglise), nous avons pensé que ce serait bon et y avons trouvé une table. Autour de nous, il n’y avait que des étrangers et je m’énervais que les serveurs ne nous parlent qu’en anglais alors que je répondais toujours en italien. Nous avons malgré tout extrêmement bien mangé, tout simplement le meilleur repas depuis le début de notre voyage. Avec Pascal, nous avons pour habitude de sélectionner des plats qui nous tentent tous les deux et ensuite faire moitié-moitié, pour avoir l’opportunité de déguster plus de bonnes choses. Nous n’avons pas regretté ce choix et nous sommes régalés deux fois plus !