Fin du voyage

Comme convenu hier soir, nous avons quitté le gîte avec Mary à 7h30. Le ciel était encombré, le brouillard nous enveloppait une nouvelle fois et nous espérions que cela ne durerait pas longtemps car il aurait été fort fâcheux de terminer notre périple sans voir la basilique Saint-Pierre. Nous avons fait une halte au premier café pour y déjeuner. Décidément, les croissants hyper sucrés à la Nutella ne vont pas me manquer !

Banlieues romaines

Nous avons ensuite marché pendant deux heures environ le long d’une importante route. Des trottoirs la bordaient la plupart du temps mais ce n’était pas le cas par deux fois, la deuxième sur une distance de 800 mètres. Par chance, la route était alors séparée et nous marchions le long d’une double piste avec uniquement les véhicules en sens inverse. La circulation n’était pas dense car la majorité des voitures se rendaient à Rome et presque tous les véhicules s’écartaient sur la voie de dépassement pour nous éviter. Mary était en tête avec son gilet jaune réfléchissant et nous la suivions en file indienne. A part une voiture dont le conducteur un peu distrait s’est dangereusement rapproché de nous, nous ne nous sommes jamais sentis menacés, bien que toujours sur nos gardes. Au final, nous avions tous trois imaginé ce tronçon plus périlleux et étions soulagés de ne pas revivre l’entrée ou la sortie de Piacenza.

Nous avons ensuite successivement traversé plusieurs villages faisant partie déjà de l’agglomération romaine. Malgré cela, il nous était encore impossible d’imaginer que nous nous trouvions à quelques kilomètres seulement du Vatican. Ça n’avait pas encore des aspects de grande ville.

La signalisation était quasi inexistante, les balises étant déjà rares, souvent arrachées par des passants, presque toujours recouvertes par des dizaines d’autocollants publicitaires. Au bout de plusieurs minutes sans la moindre indication, j’avais l’impression que nous n’étions plus sur la bonne route. J’ai sorti la toute petite carte que nous possédons mais nous ne savions pas exactement où nous nous trouvions et elle n’était dans tous les cas pas assez précise pour que nous puissions retrouver le bon itinéraire. Mary a regardé sur sa tablette mais ce n’était pas évident non plus. Je me suis donc rendue dans un bar pour demander notre chemin à la serveuse :

- “Bonjour ! Est-ce que vous savez où passe la Via Francigena ?
- La Via Francigena ? Non, je ne connais pas cette rue.
- Ce n’est pas une rue en fait, c’est un chemin.
- …
- Ouais tant pis. Est-ce que vous pouvez me montrer sur cette carte où nous sommes précisément ?
- Alors… Là c’est la Via Igea, celle-ci doit être la Via Trionfale, donc nous devons être par là. Mais c’est quoi la rue que vous cherchiez déjà ?
- Nan nan, c’est pas une rue. Merci.”

La dame avait lu le nom des rares rues indiquées sur la carte, celles que nous devons emprunter et sur lesquelles nous ne nous trouvions logiquement plus. Elle avait ensuite posé son doigt sur une dizaine de petites rues en nous situant. Pas de quoi nous permettre de savoir où aller. Nous avons repris la tablette de Mary et avons avancé jusqu’à un carrefour pour apercevoir le nom d’une rue et nous repérer. Effectivement, nous nous étions égarés à la précédente intersection et nous avons pu rapidement retrouver la Via Francigena et les rares autocollants rouges et blancs. Nous les avons alors cherchés avec beaucoup d’attention à chaque croisement, ne voulant pas nous tromper à nouveau. En cas de doute, nous nous arrêtions tous les trois et scrutions les poteaux, les maisons, le trottoir, analysant la carte pour savoir dans quelle direction regarder, jusqu’à ce que l’un de nous repère un bout d’autocollant à moitié délavé et décollé à vingt mètres et que nous puissions poursuivre.

Parco di Monte Mario

Deux kilomètres environ après notre égarement, nous avons rejoint le parc du Monte Mario. Nous retrouver dans la nature, sur des sentiers de terre dominés par de grands arbres, nous faisait du bien. Après deux heures environ dans ces banlieues, le long de gros axes routiers, sur nos gardes pour ne pas nous perdre ni nous faire percuter par une voiture, nous étions heureux de sentir la nature nous envelopper et simplement suivre un chemin. Le ciel s’était de plus éclairci et il faisait beau. Toutefois, l’empressement a alors point. Nous savions que depuis le Monte Mario nous apercevrions pour la première fois Rome et le Vatican. Nous sommes tout d’abord descendus un peu, avant de remonter sur le flanc de la colline. Une fois au sommet, nous pouvions observer le centre-ville, quelques clochers et dômes, mais toujours pas Saint-Pierre. Le spectacle était néanmoins saisissant et nous nous sommes arrêtés un instant. Rome ! Juste là à nos pieds ! Nous avons poursuivi notre route jusqu’à nous retrouver juste en-dessus du Stadio Olimpico. Pascal et moi avons plaisanté en disant à Mary que nous avions atteint notre but et qu’elle pouvait continuer sans nous, mais nous sommes bien sûr repartis aussitôt. Et puis après un virage, fière, imposante et sublime, la basilique Saint-Pierre nous est apparue. Mary a poussé un petit cri en la voyant, puis les larmes lui sont montées aux yeux. J’ai moi-même souri, éblouie par cette vue et stupéfaite de la proximité de notre destination. Ça y est ! Nous surplombions la ville, nous étions presque arrivés. Près de trois mois de marche pour arriver là, face à ce dôme de toute beauté. Il me semblait qu’il suffisait que je tende le bras pour le toucher. Je sentais mes poumons s’emplir de fierté et de joie, cet accomplissement inouï. Nous l’avions fait ! Des adolescents fumaient à quelques mètres de nous et nous observaient d’un air moqueur. Trois marcheurs étrangers avec leurs gros sacs, très émus, qui se prenaient en photo devant la ville malgré le contre-jour évident. Ils ne se doutaient certainement pas que nous étions partis d’Angleterre et d’Allemagne, que nous avions parcouru à pied des centaines de kilomètres. Ils auraient sans doute été impressionnés si nous leur avions expliqué ce que cette vue représentait, mais nous n’avions rien à prouver à qui que ce soit, nous n’avions pas besoin de vanter nos aventures. Nous savions que nous l’avions méritée, cette vue, et nous essayions de la graver à jamais dans nos mémoires. Après plusieurs minutes, nous avons repris la route avec hâte et un grand sourire sur les lèvres.

Ce sourire s’est très rapidement effacé. La descente depuis le Monte Mario jusqu’à la ville nous a paru interminable et des plus pénibles ! De gros pavés recouvraient le sol et rendaient la progression fastidieuse. Le genou un peu faible de Mary était mis à rude épreuve et notre moral aussi, quand après chaque virage nous apercevions une nouvelle série de pavés pourris. Les pierres étaient espacées, si bien qu’il aurait été aisé de se tordre une cheville. Impossible d’avancer rapidement, et après de longues minutes je n’avais toujours pas trouvé de façon de rendre la marche moins désagréable. Nous essayions de marcher au centre, dans le léger caniveau, à l’intérieur des virages, avec des petits pas, de grandes enjambées, etc. Rien n’y faisait : ça restait horrible ! Nous avons alors imaginé tous les scénarios pour expliquer cette route moisie : dernière épreuve pour voir quels pèlerins voulaient vraiment aller jusqu’au bout, l’apogée de toutes les routes romaines antiques croisées en route, des gens bourrés qui auraient lancé là tous le surplus de pavés, une caméra cachée… Alors que nous n’espérions plus voir un jour la fin de ce calvaire, nous avons déboulé dans un grand parking goudronné. Nous étions extrêmement soulagés, avant de comprendre qu’il n’y avait plus la moindre balise. Nous avons donc décidé d’y aller au flair, sachant plus ou moins dans quelle direction se trouvait le Vatican. Nous avons fait une halte dans un café car Mary avait un besoin pressant et nous en avons profité pour boire un dernier verre ensemble. C’était agréable et amusant de savoir que nous ne nous trouvions plus qu’à une demi-heure environ de notre objectif et que nous faisions une pause là. Cela nous permettait de prolonger un peu notre voyage en retardant l’arrivée, de passer un peu plus de temps ensemble, de nous souvenir qu’il fallait apprécier le périple et non pas se ruer vers la fin. Et puis nous n’avions pas marqué de pause depuis le départ, donc nous commencions aussi à ressentir la fatigue. Nous préférions nous reposer là un peu pour arriver frais et lucides à Saint-Pierre.

Vatican

Après la pause, nous avons facilement retrouvé le bon itinéraire et avons suivi une même rue toute droite jusqu’au Vatican. La circulation était chaotique. Des milliers de voitures circulaient de façon très anarchique ; des sirènes de police et d’ambulance dominaient le bruit des klaxons incessants. Des véhicules étaient garés partout : sur les trottoirs et les passages piétons, dans les ronds-points, sur la route parfois. Et puis à l’approche du Vatican, la foule de piétons s’est elle aussi intensifiée et nous avancions parmi la multitude de touristes. Des vendeurs nous proposaient des visites guidées et des souvenirs à une fréquence telle que nous nous sommes rapidement sentis harcelés. On nous disait que nous devions aller à droite pour visiter les musées du Vatican, nous barrant presque le chemin vers la place Saint-Pierre. Cela nous agaçait de plus en plus et nous rendait désagréables. Le problème, c’est que nous étions les seuls avec un sac-à-dos, noyés au milieu des touristes. Nous n’étions pas touristes, nous ne voulions pas visiter de musée, nous ne voulions pas faire de tour en bus, nous ne voulions pas acheter des statuettes ou des écharpes. Nous voulions juste arriver à la fin de notre voyage !

Nous avons finalement aperçu les colonnes ceignant la place Saint-Pierre et les avons franchies. La basilique se dressait sur notre droite, plus belle et grande encore que dans mes souvenirs. Le soleil l’éclairait pour la rendre lumineuse, sublime. Mary a fondu en larmes et la voir si émue m’a aussi arraché une larmichette. Je l’ai prise dans mes bras et nous nous sommes félicitées, puis j’ai embrassé Pascal.

Malgré tout, il y avait beaucoup trop de monde et d’activité pour que nous puissions pleinement savourer cet instant. Nous étions bousculés, le staff nous demandait de circuler quand nous nous arrêtions pour prendre une photo, nous devions ignorer les vendeurs de chapelets, nous frayer un chemin parmi la foule pour contourner les barrières et pénétrer au centre de la place. J’aurais adoré avoir un petit coin tranquille pour m’asseoir et prendre conscience de ce que nous vivions, plutôt que me sentir pressée et oppressée. Nous étions les seuls pèlerins et nous nous sentions un peu perdus, comme si nous nous étions trompés de destination. Nous parvenions au bout de la Via Francigena, un des trois principaux pèlerinages chrétiens, et nous passions complètement incognito.

Nous avons demandé à un Allemand de nous photographier devant la basilique. Cet homme était tellement doué que nous ne voyions pas du tout le monument sur la photo. Nous l’avons remercié avec un sourire hypocrite et avons attendu qu’il se soit suffisamment éloigné pour demander à une Asiatique de reprendre la photo. Elle a heureusement mieux cadré et nous avions ainsi un beau souvenir de notre arrivée à Rome !

Bureau des pèlerins

Après quelques minutes sur la place, nous avons décidé de nous rendre au bureau des pèlerins. C’est là qu’ils accueillent les pèlerins et fournissent le Testimonium, ce papier attestant qu’une personne a réellement marché au moins les cent derniers kilomètres. Le bureau se situe au fond d’une allée étroite où dorment des SDF. Nous avons été accueillis par une bénévole retraitée qui travaillait là pour la première fois. Pour tout dire, elle s’est révélée plutôt incompétente. C’est Mary qui a tendu sa crédenciale en premier et la dame a remarqué que Mary avait débuté son voyage au printemps. Elle lui a demandé si elle l’avait effectué en plusieurs étapes et Mary a expliqué qu’elle avait dû rentrer quelques semaines en raison d’une blessure à un genou. La dame a alors demandé si elle avait parcouru les cent derniers kilomètres en une seule fois. Mary a répondu par l’affirmative avant de demander pourquoi cela importait. “On ne peut tout de même pas recevoir le Testimonium si on a fait ces cent kilomètres en plusieurs fois !” Ça m’a énervée et je me suis immiscée dans la conversation.

- ”Qu’est-ce que ça peut faire si on fait en plusieurs fois ?
- C’est beaucoup trop facile !
- Mais chacun fait comme il veut, ou comme il peut.
- Oui bien sûr, chacun peut aller marcher mais le Testimonium récompense uniquement les vrais pèlerins. Moi par exemple j’ai déjà fait quelques étapes le week-end, mais pas les cent derniers kilomètres en une fois donc c’est logique que je ne reçoive pas le Testimonium.
- Donc si Mary, qui est partie de Canterbury et a donc parcouru la Via Francigena en entier, s’était blessée plus tard et avait dû faire une pause juste avant Rome, elle n’aurait pas eu le Testimonium ?
- Ben non. Seuls les cent derniers kilomètres sont importants !”

J’avais envie de la taper, mais je pense que ce n’était pas trop dans l’esprit d’une fin de pèlerinage. Elle souriait bêtement et semblait vraiment croire que ses propos relevaient d’une logique implacable, ce qui ne m’aidait pas à contenir ma colère. Malgré tout, j’ai pris sur moi et ai préféré ne pas poursuivre cette conversation.

La dame avait comme mission d’écrire sur le Testimonium le nom du pèlerin ainsi que la date en chiffres romains. Lourde tâche ! Elle avait sur un petit papier la date de la veille écrite en chiffres romains et il lui suffisait de la recopier en y ajoutant simplement une barre à la fin du jour. Elle a recopié une lettre après l’autre pour être sûre de ne pas se tromper, avec beaucoup de minutie, et a ensuite tendu son Testimonium à Mary. Cette dernière lui a demandé de tamponner pour la dernière fois sa crédenciale et la dame a eu l’air de trouver cette requête tout à fait saugrenue. Pourtant, il semble évident qu’après avoir un souvenir de chaque étape on souhaite également obtenir l’ultime tampon… Mais bon ! La dame a ainsi fait un tampon sans s’appliquer le moins du monde. Le dessin n’était pas droit et débordait de la case pourtant large. Mary a demandé à ce que la date soit aussi écrite, comme c’est le cas pour chaque tampon, et la dame a écrit la date en chiffres normaux, ne voulant sans doute pas prendre de risques avec ces foutus chiffres romains. Elle aurait dû. Elle a effectivement écrit une fausse date, pas le bon jour, et a gribouillé sans le moindre respect les bons chiffres par dessus. Je voyais Mary devenir rouge et qui ne trouvait plus les mots. Elle devait hésiter entre pleurer et fracasser la tronche de cette incompétente qui venait de massacrer sa crédenciale, témoin de tout son voyage. La dame ne semblait pas du tout réaliser la valeur de ce petit document. Il ne s’agit pas d’une vulgaire feuille de brouillon ! C’est le résumé très concis de trois mois de marche, l’empreinte de chaque étape, le souvenir des bons et des mauvais gîtes. C’est le pèlerinage matérialisé, ce qui nous permet de prendre un peu conscience du chemin parcouru et d’en être à la fois fiers et impressionnés. Et cette idiote qui fait des ratures et ne s’applique pas pour déposer élégamment le dernier tampon…

Mary a repris sa crédenciale sans un mot, les mâchoires crispées, et notre tour est venu. Pour nous, le Testimonium ne représentait pas grand chose et nous avions décidé de le demander pour Logan avant tout. Nous avions convenu que s’il lui était refusé nous ne prendrions pas le nôtre. Nous avons ainsi rempli trois formulaires et dans celui de Logan nous avons ajouté une coche supplémentaire dans le moyen de déplacement, sous “à pied”, “à vélo” et “à cheval” : “à pattes”. Je ne sais pas comment ils vont saisir ça dans leurs registres… Nous avons expliqué à la dame qu’il s’agissait de notre chienne et elle nous a demandé où elle se trouvait. J’ai raconté avec beaucoup de conviction que ma soeur était venue pour nous accueillir à Rome et qu’elle avait récupéré le chien, car l’entrée dans le centre-ville n’était vraiment pas adapté pour une si frêle créature. D’un côté, je me disais que ce n’était pas très bien de mentir à cette pauvre femme naïve et que cela n’était pas non plus trop dans l’esprit d’une fin de pèlerinage. Mais… Comme c’est une année sainte, les pèlerins qui marchent jusqu’au Vatican et franchissent la Porte Sainte sont lavés de leurs péchés et embrassés par la miséricorde. Puisque nous avons prévu de passer cette porte demain, nous pouvions ainsi mentir tout en sachant que demain ce sera pardonné. Je ne suis pas sûre que c’est ainsi que ça fonctionne, mais la finalité est identique. J’ai donc menti à la dame avec la conscience tranquille et elle a tout gobé sans le moindre soupçon. Elle ignorait par contre si elle avait le droit de donner un Testimonium à un chien mais a décidé que oui car elle-même possède un chien. Elle a donc écrit “Logan” sur la ligne du nom et voulait ajouter “Cane” à côté mais nous avons réussi à l’en dissuader, arguant que nous n’allions pas oublier qui c’était…

Et puis les dates en chiffres romains… Pour Logan, elle avait écrit “XXI X MMVI”. Je lui ai dit que ce n’était pas juste et qu’il manquait dix ans. La dame ne savait pas du tout lire ces chiffres barbares, puisqu’elle a approché son petit billet et a comparé chaque caractère pour trouver ce qui différait. Je précise qu’elle avait écrit la date en la recopiant attentivement depuis son petit billet… Au lieu de transformer le “V” en “X”, de compléter le “I” en “V” et ajouter une petite barre à la fin, elle a réécrit par dessus en repassant bien huit fois sur chaque nouveau trait pour que tout le monde puisse observer la rature. Ensuite, pour Pascal elle a écrit “MMXV”. Je lui ai indiqué qu’il manquait une année. Regard perdu. “Il manque un petit trait vertical à la fin, après le V.” Cet oubli minime aurait pu très aisément être corrigé sans que personne ne le remarque, mais à nouveau elle a ajouté le “I” en appuyant très fort et au final on ne voit plus que cela. Enfin, sur mon Testimonium, elle a écrit “XXI V MMXVI” avec la langue qui sortait un peu de sa bouche tellement elle recopiait son papier avec minutie. “Euh… ce n’est pas le bon mois… Il faut juste ajouter deux barres sous le V pour qu’il devienne un X…” Bien sûr, ç’aurait été trop simple et elle a jugé préférable de massacrer également mon Testimonium, de sorte que personne ne soit jaloux. Quatre pèlerins, quatre erreurs de date, chapeau Madame !

Nos crédenciales ont heureusement été un peu épargnées, même si les tampons ont été apposés sans amour un peu n’importe où et que la dame a estimé qu’il n’était pas nécessaire de remettre de l’encre entre deux et tant pis si le tampon est presque invisible sur ma crédenciale. Mais bon, nous ne pouvions pas exiger plus de cette pauvre femme quelque peu limitée…

Mary a ensuite demandé quelle était la marche à suivre pour franchir la Porte Sainte sans devoir faire une heure de queue. Elle a montré un email qu’elle avait reçu et qui précisait qu’une entrée rapide était prévue pour les pèlerins. La dame n’avait pas la moindre réponse à ce sujet et nous a indiqué qu’un autre bureau des pèlerins était situé non loin de là. J’ai également demandé si elle pouvait nous donner un plan de la ville.

- “Ah, malheureusement je n’ai pas de plan. Il faut aller à l’office du tourisme pour ça.
- Soit. Où se trouve l’office du tourisme alors ?
- C’est sur la Via Machintruc.
- ...”

J’ai marqué une pause, hésitant entre éclater de rire et m’énerver.

- “En fait, je n’ai pas de carte, donc je ne sais pas où se trouve cette rue…
- Ah oui.
- C’est pour ça qu’on doit aller à l’office du tourisme : pour trouver une carte.
- Ah oui.
- Donc ?
- Alors c’est à droite quand vous sortez, un peu plus loin.”

L’autre bureau des pèlerins

Nous sommes rapidement partis de là, un peu frustrés, et nous nous sommes dirigés vers l’autre bureau des pèlerins. Pour le coup, celui-ci était spacieux avec plusieurs guichets. J’ai exposé la raison de notre venue et la dame nous a expliqué qu’il y avait effectivement la possibilité de franchir la Porte Sainte sans passer par les files d’attente.

- “Pour ce faire, vous devez effectuer un pèlerinage.
- Ça tombe assez bien, je dirais…
- Il y a des groupes qui partent tous les quarts d’heure depuis le Castel Sant’Angelo. Il suffit de vous inscrire dans un groupe et faire le pèlerinage jusqu’à la Porte.
- En fait, Mary ici présente a déjà marché depuis l’Angleterre et nous depuis l’Allemagne.
- Pour passer la Porte Sainte sans faire la queue, il faut faire ce pèlerinage, pourtant !
- Nous venons de terminer notre pèlerinage, chère damoiselle, et vous nous dites que nous devons en recommencer un de 300 mètres pour être considérés comme des pèlerins ?

- Tout à fait. Voilà des billets d’entrée gratuits (pour une activité gratuite dans tous les cas).”

Je sentais que Mary s’étouffait juste derrière moi mais cela ne servait à rien d’insister. Pour être considéré comme pèlerin, il fallait donc s’inscrire dans un groupe qui se réunit devant le Castel Sant’Angelo, revêtir un charmant foulard coloré pour ne pas perdre le groupe puis marcher quelques centaines de mètres derrière un homme pénitent portant une grande croix en bois et devant un autre homme qui débite des prières dans un mégaphone, parmi des touristes qui tout à coup deviennent des pèlerins. Là, j’avais un tout petit peu l’impression qu’on se foutait de nous ! Pour le coup, il était hors de question pour Pascal et moi de nous mêler à ces gens et nous avons décidé que nous irions visiter la basilique demain, une fois Curdin et Yvon bien au chaud à l’hôtel. Mary, pour qui franchir la Porte Sainte représentait quelque chose de bien plus important, a décidé de tenter sa chance malgré tout et nous sommes ainsi parvenus au moment de nous séparer. Nous allions à droite, vers un hypothétique office du tourisme quelque part dans cette direction ; Mary retournait à gauche vers Saint-Pierre. Les adieux se sont révélés brefs, aucun de nous ne voulant s’attarder et pleurer. Etreintes rapides, quelques mots, et nous nous sommes éloignés.

Pascal et moi avons erré pendant près d’une heure avant de revenir sur la place Saint-Pierre, juste à gauche en sortant du premier bureau des pèlerins donc, et finalement trouver un office du tourisme. Nous avons pu obtenir le précieux plan de Rome et des indications sur les transports publics pour rejoindre l’hôtel. Nous commencions alors à ressentir la fatigue et la faim, réalisant que nous n’avions pas dîné. La tourismière nous a expliqué que les transports étaient en grève et que seuls quelques bus circulaient au compte-gouttes. C’est pour cela que la circulation était autant chaotique. Nous nous sommes rendus à l’arrêt indiqué et avons attendu longtemps qu’un bus arrive. Après près d’une heure dans ce véhicule bondé, moi appuyée sur Yvon, lui appuyé contre la vitre par dessus deux passagères assises face à face, nous avons finalement pu retrouver l’air libre et pollué de la capitale et nous rendre à notre hôtel.