Tuons le suspense dans l'œuf, il n’y avait pas d’eau chaude. Pas de douche non plus, évidemment. J’ai réussi malgré tout à me débarrasser de la couche collante de crème solaire mêlée de transpiration avec quelques feuilles de papier toilette et de l’eau glacée. Oh le luxe !
Deux Saint-Gallois, Andreas et Bernhardt, sont arrivés hier peu après que nous avons fini notre bière, alors que nous étions remontés au dortoir pour enfiler des habits plus chauds. Nous les avions déjà croisés dans le bus le matin, mais au lieu de sortir à Frinvillier comme nous ils avaient continué en bus pour éviter les 6 premiers kilomètres en montée de l’étape. Malgré cela, ils sont arrivés bien après nous à la métairie et ont trouvé l’étape du jour très astreignante. Andreas est un véritable moulin à paroles. Avant même que nous ayons pu le saluer ou nous présenter, il nous avait fait part de tous ses loisirs, de la composition de sa famille, des aléas de son ancien travail et de ses soucis de santé, le tout dans un dialecte suisse-allemand à couper au couteau. Quand après une demi-heure il a eu besoin d’aller aux toilettes, nous en avons profité pour redescendre et nous installer à une table pour bouquiner et boire un thé. Nous avons peut-être eu le temps de lire une page chacun avant que nos deux compères nous rejoignent et s’installent en face de nous. Et voilà comment, durant le reste de la soirée (soit environ 5 heures), nous avons écouté Andreas nous parler du traumatisme d’enfants de son village dont la maison a brûlé (“ils ont dû suivre une thérapie et ils ont peur même en faisant un barbecue !”), du temps qu’il passe à lire le journal pour un monsieur aveugle, de sa belle-mère qui a Parkinson et de la chorale de sa paroisse. Pendant ce temps, nous mangions des röstis en opinant du chef et de temps à autre nous disions “ah ja, klar!” ou riions poliment. Par chance, il était le premier à aller se coucher et nous avons pu discuter un moment avec Bernhardt.
Vers 22h, nous avons également rejoint le dortoir. Il y faisait un froid de canard et le vent s’infiltrait à travers les nombreux interstices de la paroi. Nous avons placé une couverture sur le matelas ainsi que deux autres comme duvet de fortune et avons gardé nos vêtements. En plus du t-shirt et du pull polaire, Pascal portait un gilet et moi ma brassière de marche en laine. Nous avons tous deux enfilé un bonnet et gardé nos chaussettes en laine et nos pantalons. Malgré cela, nous étions frigorifiés. Pour couronner le tout, Andreas ronflait, le vent sifflait à travers les planches, les cloches des vaches tintaient tout autour de la ferme et jusqu’à minuit environ les clients du restaurant parlaient très fort et riaient à gorge déployée. Pascal s’est mis à ronfler aussi, en parfaite alternance avec Andreas, mais il a heureusement cessé quand je l’ai poussé. Logan, elle, était tout à fait heureuse et chaque heure elle venait m’arracher le bras pour que je lui fasse des câlins, remuant la queue qui fouettait contre le mur et faisait tomber toutes mes affaires de la table de nuit rudimentaire. Le seul point positif, c’est qu’on se souviendra de cette nuit glaciale et bruyante alors qu’on aurait vite oublié une nuit dans un hôtel douillet et paisible…
Ce matin au déjeuner, Andreas a sorti un morceau d’Emmental et en a proposé à Pascal :
- “Non merci, pas maintenant.
- Tu n’aimes pas l’Emmental ?!
- Oui mais je n’en veux pas maintenant.
- Mais comment c’est possible de ne pas aimer l’Emmental ? C’est le meilleur fromage au monde !
- J’ai jamais dit que…
- Bon en France ils ont aussi ce fromage mou qui est assez bon, la Tête de Moine.
- C’est pas…
- Et il y a le Gruyère aussi. Mais l’Emmental c’est le meilleur. D’ailleurs vous avez déjà vu les pubs pour l'Appenzeller ?
- Oui.
- Dans la pub il y a trois vieux messieurs…"
Nous avons eu droit à un descriptif très précis de chacune des publicités que nous avions déjà vues mais nous avons profité d’un silence pour nous lever et quitter la table afin de nous mettre en route.
L’étape du jour était agréable et belle, mais il ne s’est vraiment rien passé de notoire. Nous avons marché principalement en forêt, traversé le hameau d’origine de Didier Cuche et vu quelques fermes. A part ça, nous avons aperçu quelques oiseaux et des promeneurs, il y avait de jolies fleurs et par moments on apercevait le lac de Neuchâtel. Nous avons également gambadé sur ce qui ressemblait beaucoup à une ancienne voie romaine, mais comme cela n’est pas mentionné dans le guide il s’agissait sans doute plutôt d’un bête chemin caillouteux. Nous avons aussi fait deux courtes pauses mais il faisait trop froid pour s’éterniser. Voilà.
Nous sommes parvenus à la Vue des Alpes vers 13h et avons mangé une portion de frites au chaud en attendant le bus de 13h55 qui devait nous reconduire en plaine. Attention, les péripéties arrivent !
Vers 13h40, les gens à la table derrière nous ont commencé à parler de football, mais comme nous n’avons pas vu la finale de la Champions League hier (étonnamment, il n’y avait ni réseau ni télé à la métairie) et voulons la regarder ce soir tranquillement à la maison, nous nous sommes empressés de quitter le restaurant avant de connaître le résultat. Nous avons rejoint l’arrêt de bus en même temps que trois autochtones, puis deux marcheurs zurichois croisés précédemment sont arrivés. Nous causions allègrement avec ces derniers quand une des autochtones nous a annoncé d’un air dépité que le bus venait de partir. Au lieu de venir jusqu’à l’arrêt (nous étions littéralement sous le panneau), le chauffeur a fait demi-tour vingt mètres plus bas et est retourné à la Chaux-de-Fonds. Nous étions donc sept bougres plantés là comme des idiots tandis que le bus repartait en soupirant qu’il était bien vide et que le chauffeur ricanait en imaginant nos têtes contrites. Le prochain bus était à 17h05… Pascal a proposé que nous marchions une demi-heure jusqu’à une localité en contrebas avec une gare, mais nous avions déjà acheté nos billets et cela nous aurait fait prendre un autre itinéraire. J’optais plutôt pour faire du stop, mais par chance une des autochtones a appelé son amie Esther qui a très gentiment accepté de venir nous chercher. Le seul hic, c’est qu’elle n’avait “que” six places et que nous étions sept. Avec un des Zurichois, nous avons alors accosté les gens sur le parking pour savoir s’ils allaient à la Chaux-de-Fonds ou Neuchâtel. La deuxième personne questionnée a accepté d’emmener les Zurichois à Neuchâtel et nous avons pu partir avec Esther et les aimables autochtones, tentant en vain de faire comprendre à l’une d’eux que nous parlions français et que nous ne connaissions pas les deux autres tandis qu’elle s’évertuait à nous parler en allemand…
Nous avons ainsi pu prendre un train et rentrer en attendant notre prochaine virée à pied.