Comme mentionné hier, nous avons décidé une fois de plus de tracer notre propre itinéraire plutôt que de suivre l’Alpe Adria Trail. Alors qu’ils proposent trois étapes relativement ardues avec très peu de villages dignes de ce nom, nous avons préféré deux étapes simples pour atteindre Cividale del Friuli.
Nous avons quitté le camping vers 8 heures. Stefanie était déjà partie car elle devait parcourir aujourd’hui plus de 30 kilomètres mais nous la reverrons peut-être en Italie si tout va bien. Nous devions longer la Soča jusqu’à Kobarid six ou sept kilomètres plus loin et étions heureux de voir que le chemin était indiqué. Nous avons suivi les balises du Juliana Trail et nous sommes enfoncés dans une jolie forêt en surplomb de la rivière. Il était compliqué d’avancer d’un bon pas car le sol était jonché de pierres et nous ne cessions de monter et descendre. Certains passages étaient de plus assez scabreux. Et puis évidemment, ce qui devait arriver arriva : à un embranchement le panneau ne comportait que des indications en slovène mais plus le nom de Kobarid ou les flèches du Juliana Trail. Nous avons feuilleté notre dictionnaire slovène bien maigrichon et il ne nous a été d’aucune utilité. Dans le doute, nous avons privilégié l’option à plat et ce qui devait arriver une seconde fois arriva une seconde fois : au croisement suivant il ne restait que le poteau en bois sans les flèches. Nous avons poursuivi dans la direction qui nous semblait la plus logique et avons réalisé que la logique a autant d’utilité qu’un dictionnaire slovène bien maigrichon quand nous nous sommes retrouvés à la fin du chemin au bord d’un précipice. En d’autres termes, nous étions paumés.
Par bonheur, un vieux monsieur se promenait par là et nous lui avons poliment demandé s’il parlait anglais. Est-il bien nécessaire de préciser que ce n’était pas le cas ? Nous avons alors mis en pratique notre excellent slovène : j’ai dit d’un ton très interrogatif “Kobarid ?” et j’ai montré différentes directions de mes doigts potelés avant de hausser les épaules en souriant. Il nous a posé une question qui nous a semblé être “d’où est-ce que vous êtes partis ?” et nous avons répondu “Trnovo” dans un accent visiblement impeccable puisqu’il a eu l’air satisfait. S’en sont suivies de longues explications où il fallait apparemment tourner à droite, monter, redescendre et ne pas aller à un endroit mais plutôt à un autre et traverser quelque chose. Nous comprenions parfaitement ses petites mains qui gesticulaient à droite, en-haut et faisaient non non non, mais en réalité nous n’avons pas saisi un traître mot de ce qu’il nous racontait alors nous ne savions pas s'il fallait aller à droite ou ne surtout pas aller à droite. Nous l’avons remercié et salué en slovène et sommes repartis d’un pas décidé pour ne pas qu’il réalise que nous étions toujours autant perdus. Au premier croisement nous avons pris à droite et ensuite à nouveau à droite mais il y avait un autre précipice alors nous sommes revenus sur nos pas. Le chemin montait alors et nous avons pensé que c’était bon signe, surtout qu’il y avait enfin des balises pour Kobarid. Nous avons traversé une petite rivière au-dessus d’une jolie cascade et sommes arrivés sur une route en gravier contre une paroi percée de tunnels datant de la première guerre mondiale. Sur notre droite, un petit sentier descendait vers la Soča et nous avons vu le vieux monsieur qui le gravissait d’un pas très lent. Comment diantre avait-il fait ?! Nous étions jusque-là plutôt fiers d’avoir retrouvé notre chemin grâce à son aide et avons réalisé que nous avions dû partir faux deux mètres après l’avoir quitté…
Parvenus à un pont, deux flèches indiquaient Kobarid mais sans indication de temps. Nous avons choisi de traverser ledit pont car il nous semblait que le village devait se trouver juste un peu plus loin sur l’autre rive. Par après, nous avons compris que l’autre chemin longeait paisiblement la rivière pour la traverser sur un magnifique pont ancien en contrebas, tandis que celui que nous avions choisi gravissait une colline pour nous conduire à un gigantesque mémorial italien en surplomb du village. Malgré tout, nous étions parvenus à Kobarid après trois longues heures de marche et étions heureux d’y faire une pause.
Nous nous sommes installés sur un banc en face du monument italien. Il s’agit de grandes arcades sur plusieurs niveaux, un peu comme un croisement entre des amphithéâtres et une pièce montée, qui contiennent les dépouilles de plus de 7000 soldats italiens tués dans la région durant la première guerre mondiale. Une église domine bien évidemment le gâteau et un chemin de croix y conduit depuis le village. Cet édifice a été construit en 1938 sous le régime de Mussolini et la lourdeur et la puissance du style fasciste sont aisément perceptibles. Bien que l’ensemble demeure esthétique, cela reste un peu trop pompeux et dramatique à mon goût.
Nous avons traversé Kobarid, qui semble être un village agréable et vivant, et y avons mangé une glace avant de suivre une piste cyclable. A midi, nous avons pique-niqué à côté d’une fontaine construite en 1917 lors de la création d’une ligne de chemin de fer permettant de ravitailler le front et dont il ne demeure que de rares vestiges.
Nous avons ensuite marché sur une route peu fréquentée jusqu’à la frontière, en hauteur de la rivière Nadiža. Ce tronçon n’était évidemment pas des plus palpitants, mais aucun sentier n’ayant été aménagé dans la forêt ou sur les rives du cours d’eau, nous n’avions pas d’alternative. Après une heure environ, nous avons franchi la frontière et avons voulu traverser la rivière qui s’appelait désormais Natisone pour rejoindre un chemin de randonnée. Durant de longues secondes, nous sommes restés dépités devant le pont condamné, émettant des petits “han !” de désarroi. Continuer sur la route ne nous réjouissait absolument pas, d’autant plus qu’il faisait très chaud. Nous avons alors décidé de traverser la rivière comme de véritables petits aventuriers intrépides ! Si le niveau de l’eau et le courant ne paraissaient pas du tout impressionnants, nous étions plus dubitatifs quant à la manière de franchir le haut mur en béton qui soutenait l’autre rive. Nous avons repéré des rochers qui permettaient un passage, avons enfilé nos sandales et nous sommes avancés dans l’eau. J’aurais beaucoup aimé écrire “enfoncés dans l’eau” mais cela aurait été fort exagéré… Hormis une glissade fortuite sur les pierres couvertes d’algues et qui aurait mouillé toutes nos affaires, la traversée ne comportait pas de réel risque. Nous avons déposé nos sacs sur un rocher et je suis retournée chercher Logan, terrifiée car l’eau arrivait au-dessus de ses petits coudes. J’ai saisi son harnais pour l’empêcher de repartir en arrière et, une fois proche de la rive, elle s’est empressée de finir seule la traversée. Nous avons ensuite pu monter de rocher en rocher en nous passant les sacs jusqu’à atteindre le sommet du mur et, hallelujah, le chemin de randonnée.
Un panneau indiquait que notre destination se trouvait à 1h40 de marche. Nous avons consulté les horaires de bus et calculé que nous devions gagner 10 minutes par rapport aux estimations. Nous nous sommes donc engagés sur le sentier d’un bon pas et étions heureux de voir qu’il était très bien balisé, des traits de peinture marquant de nombreux arbres. Rapidement, nous avons toutefois réalisé que personne ne doit emprunter ce tronçon. Le chemin est peu marqué et, partie en tête, je me débattais avec des dizaines de toiles d’araignées. Même si nous n’en avons vu que deux, il semblait évident aussi que cette forêt humide regorge de serpents mais il nous était impossible de voir où nous mettions les pieds tant les herbes étaient parfois hautes. Des troncs d’arbres barraient régulièrement le chemin à différentes hauteurs : nous avons ainsi pu les enjamber, nous hisser dessus ou perfectionner notre maîtrise du limbo avec un sac-à-dos. Si on ajoute à cela les rochers à franchir, les montées et descentes incessantes, le sol irrégulier et la végétation dense, on comprend aisément que la traversée de cette jungle s’est révélée épuisante. Nous étions soulagés d’en sortir et d’atteindre Stupizza !
Nous avions encore une belle avance sur le bus et j’en ai profité pour découvrir le village. Cela s’est révélé très rapide puisqu’il n’y a qu’une poignée de maisons alignées de part et d’autre de la route. La plupart des maisons sont abandonnées et menacent de s’écrouler, certaines d’entre elles ont mis leurs menaces à exécution et entre elles se tiennent enfin les rares demeures habitées. Quelques fleurs aux fenêtres ne suffisent pas à apporter glamour et charme à ce hameau et d’ailleurs la plupart des habitants ne se donnent plus cette peine. Si ma description vous séduit, sachez qu’il y a plusieurs maisons en vente à Stupizza, y compris une qui ne comporte qu’un seul mur et fait illusion le long de la route, puisque ledit mur se tient presque droit entre les deux maisons voisines.
Le bus est arrivé à l’heure et le chauffeur n’a pas daigné nous vendre de billets. Nous avons ainsi voyagé gratuitement jusqu’à Cividale del Friuli, la première vraie ville que nous voyons durant ce voyage et où nous dormirons trois nuits. Puisque les bus ne circulent pas le dimanche, nous profiterons de visiter la ville demain et reviendrons à Stupizza lundi pour marcher jusqu’à Cividale.