Après un rapide déjeuner, nous avons quitté le gîte vers 7h30. Toute la matinée, nous avons marché dans la forêt sur des sentiers qui montaient et descendaient tranquillement. Des traces d’animaux étaient emprisonnées dans la boue et nous essayions de deviner à qui elles appartenaient. Le seul événement à signaler est la traversée d’un ruisseau dont l’eau nous arrivait aux genoux. Malheureusement pour nos lecteurs, les pierres n’étaient ni glissantes ni coupantes et aucun crocodile n’a surgi de l’ombre pour nous dévorer. Au contraire, l’eau fraîche était fort agréable et nous voir dans l’eau a beaucoup amusé Logan.
Une grosse averse nous a surpris à la sortie du bois. A ce moment-là de la journée, nous souhaitions encore éviter d’être mouillés et nous nous sommes abrités sous les échafaudages d’une des seules maisons aperçue sur le parcours. La pluie n’a duré qu’une dizaine de minutes.
Nous avons ensuite suivi une petite route jusqu’à Stia, où nous sommes arrivés vers 11h30. Après avoir parcouru deux fois le centre historique, soit un aller-retour sur la place devant l’église, nous nous sommes installés sur la terrasse d’un restaurant. Bien que nous ayons parlé en italien tout le long, la serveuse s’adressait à nous comme si nous étions les derniers des idiots : elle mimait tout et parlait très fort en articulant exagérément. Nous avons eu droit au mime d’un grand ruban alors qu’elle disait “TA-GLIA-TE-LLE” ou d’un petit carré illustrant les “RA-VIO-LI”. Elle était un peu plus empruntée pour mimer les sauces alors elle a articulé encore mieux et haussé la voix jusqu’à crier “SU-GO”. Ce n’était plus très compréhensible mais par chance nous l’avions entendue annoncer le menu aux travailleurs de la table d’à côté à qui elle parlait normalement.
Le service était d’une lenteur affolante et nous avons hésité à partir sans payer la cinquième fois que la serveuse est passée devant notre table en nous ignorant. Au final, cela nous a pris plus de deux heures pour un plat de pâtes et un dessert… Nous n’étions bien sûr pas pressés, mais la pluie a commencé à tomber peu avant notre départ et nous nous disions que nous aurions pu marcher une bonne demi-heure de plus au sec si nous étions repartis plus tôt.
Rapidement, la pluie a toutefois cessé et nous avons retiré nos K-ways. Quelques minutes plus tard, nous avons pu les remettre alors que la pluie reprenait. Il faisait plutôt chaud et le chemin montait, aussi transpirions-nous beaucoup avec les K-ways et les enlevions-nous dès que possible. Cela a continué ainsi pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce que nous abdiquions et décidions de les retirer définitivement, puisque nous allions de toute façon être mouillés.
Chemin faisant, nous avons vu un faisan. Il y avait également dame faisane mais la mentionner dans la phrase précédente lui aurait fait perdre tout son lyrisme.
Après ce grand moment d’émotion à la vue de ce volatile que nous avions tant cherché lors de notre marche vers Compostelle, les choses ont commencé à se gâter. Nous avons dû marcher dans de hautes herbes qui ont très vite gorgé nos chaussures d’eau. A chaque pas, un délicat splouich se faisait entendre. La pluie a également redoublé et nos chapeaux, shorts et t-shirts devenaient vraiment très mouillés. Malgré tout, nous conservions notre légendaire bonne humeur et je trouvais encore pour ma part l’étape plutôt amusante.
Nous avons fait une courte pause à Lonnano dans un abribus inondé, les pieds dans une flaque. Le banc était sec mais c’était ridiculement inutile puisque nous avions déjà les fesses trempées. Après quelques minutes à observer les gouttes couler de nos chapeaux dans la gouille, nous avons commencé à avoir froid sommes repartis.
Le chemin s’enfonçait ensuite dans la forêt où les branches s’amusaient à déposer autant d’eau que possible sur nos vêtements. A plusieurs reprises, nous avons dû enjamber des arbres couchés en travers du chemin. L’un d’eux était cependant trop haut et une piste avait été creusée sur la gauche par les précédents promeneurs ayant contourné l’obstacle. Impossible de les suivre tant c’était glissant ; nous avons retiré nos sacs et sommes passés à quatre pattes dans la boue sous le tronc.
Sur la carte, nous avions repéré un raccourci. Le sentier était néanmoins si peu visible que nous sommes restés sur l’itinéraire officiel. Ce n’était pas le moment de nous perdre en forêt !
Lorsque nous avons quitté le dérisoire couvert des arbres, nos shorts étaient plaqués à nos cuisses, nos chapeaux dégoulinaient et nos chaussures libéraient des gorgées d’eau à chaque pas. Heureusement, nous étions bientôt au bout de nos peines. Du moins le croyions-nous.
A deux kilomètres environ de notre destination, un panneau indiquait le sentier qui menait directement au gîte. Nous avons traversé un champ dans la direction annoncée mais ne trouvions pas de chemin à l’autre bout. Après plusieurs passages dans le champ, nous avons finalement repéré une piste entre deux arbres et nous nous sommes enfoncés dans des fourrés. Et des ronces. Beaucoup de ronces. Quelques dizaines de mètres plus loin, la piste a disparu et nous avons été contraints de traverser des buissons (souvent épineux, cela va de soi) pour rejaillir des fourrés dans un pré. A cet instant, plus aucune partie de nos vêtements n’était sèche, nos jambes et nos avant-bras saignaient, et nous étions plantés au milieu d’un pré. Nous avons décidé de remonter vers une ligne électrique, déduisant qu’elle devait sans doute apporter du courant à une habitation. Ensuite, nous avons sorti la carte pour essayer de voir où aller et nous avons retrouvé un sentier. Il semble qu’il s’agissait de celui que nous aurions dû emprunter et que nous n’avions pas trouvé, puisque aucun autre ne passait à cet endroit. Nous ignorons encore d’où il était parti, mais il avait l’air bien plus accueillant et inoffensif que la voie que nous avions suivie…
Nous sommes arrivés au gîte avec des herbes collées sur les mollets, des coupures partout, détrempés. Nous ne nous réjouissions que d’une chose : sauter sous la douche et enfiler des habits chauds et secs !
Notre moral a pris un sacré coup quand nous avons réalisé qu’il n’y avait personne. Nous avons tenté de téléphoner, mais nous n’avions presque pas de réseau et la personne ne répondait pas. Bien qu’abrités sous le porche, nous avons vite été frigorifiés de ne plus bouger. Après une demi-heure, nous avons pensé que peut-être personne ne viendrait et nous avons cherché un plan B. Pour que la situation soit bien claire, nous étions devant une maison complètement isolée au milieu de la forêt. Le prochain village sur notre itinéraire se situait à une dizaine de kilomètres. Il y avait bien le hameau de Valagnesi plus proche ou Lonanno à 45 minutes environ avec quelques hébergements, mais nous ignorions s’ils avaient des disponibilités et n’avions pas de réseau pour les contacter. Revenir sur nos pas et repartir dans ces conditions sans savoir si nous trouverions une chambre nous paraissait considérablement décourageant. Nous avons décidé de nous changer pour au moins enfiler des t-shirts secs et un pull, mais nous étions tellement mouillés que cela ne nous a pas réchauffés. Nous avons alors essayé d’ouvrir toutes les portes et en avons trouvé une qui n’était pas verrouillée. Nous nous sommes engouffrés dans une cuisine qui donnait sur un petit salon et une toilette. Pascal s’est entièrement changé mais j’ai préféré attendre encore un peu avec mes chaussettes et mes shorts ridiculement plaqués puisque de toute façon je ne sentais plus mes pieds depuis belle lurette et qu’enfiler des chaussettes sèches ne les auraient pas réchauffés. Alors que nous mangions des biscuits aussi abandonnés que nous et que nous commencions à élaborer des plans pour la nuit (chauffer de l’eau, utiliser les linges de cuisine pour se laver et se sécher, dormir sur le canapé et la banquette, etc.), nous avons reçu un message de la propriétaire qui nous annonçait qu’elle arriverait dans 10 minutes. Nous sommes ressortis et l’avons attendue un bon quart d’heure supplémentaire. Finalement, elle est arrivée à 17h45, soit 1h15 après nous. Je dois avouer que nous l’avions beaucoup insultée durant cet intervalle. Nous aurions aimé lui cracher notre haine sincère en la voyant débarquer, peut-être même lui arracher les yeux, mais évidemment nous n’en avons rien fait. Premièrement, nous ne savons pas vraiment cracher notre haine, sincère ou non, en italien. Deuxièmement, nous ne pouvions plus suffisamment bouger nos doigts pour lui arracher les yeux. Troisièmement, nous sommes plutôt gentils et comme elle s’est excusée au moins dix fois en nous découvrant si miteux nous ne lui en voulions déjà plus. Faibles de nous. Elle nous a expliqué qu’elle était institutrice et ne prenait pas son téléphone au travail. Elle pensait que nous arriverions bien plus tard et ne s’était pas inquiétée avant d’arriver chez elle après les cours et voir nos messages.
Nous n’y avons pas pensé sur le moment, mais après coup nous avons réalisé à quel point nous étions chanceux d’avoir perdu autant de temps au restaurant à midi. Si nous avions pu partir une heure plus tôt, nous aurions attendu une heure de plus comme des idiots devant le gîte et là je crois que nous aurions pleuré. Enfin, peut-être pas parce que ça nous aurait encore plus mouillés, mais nous aurions dépéri.
La douche m’a permis de retrouver peu à peu des sensations dans les membres. Des décharges électriques parcouraient mes mains comme si j’y avais branché des électrodes.
Nous avons ensuite vidé les sacs : l’eau s’y était infiltrée par le dos non protégé et tout était humide à l’intérieur.
Nous avons soupé tous les trois et avons passé une soirée très agréable. Ivana s’est révélée être une excellente cuisinière et une compagnie fort intéressante. De retour dans notre appartement, nous avons allumé tous les radiateurs au maximum dans l’espoir de faire sécher nos vêtements et bourré nos chaussures de papier journal. Même Logan était encore trempée, la pauvre !