Dans les collines eugubines

Nous avons à nouveau grillé le pain ce matin au déjeuner, cette-fois uniquement dans du beurre salé. Avec un peu de miel, c’était mangeable. Nous sommes ensuite partis une nouvelle fois tôt, vers 7h30, dans l’espoir d’éviter les grosses chaleurs et non les orages comme hier. Une fois dehors, nous avons été surpris de découvrir qu’il pleuvait. Cela n’a heureusement duré qu’une dizaine de minutes et le reste de l’étape s’est révélé très agréable, avec des températures élevées mais toujours quelques nuages dociles pour nous protéger du soleil.

Nous craignions une journée aussi ennuyeuse que l’arrivée à Gubbio hier puisque le tracé semblait très droit avec une bonne partie de route goudronnée. Finalement, c’était vraiment joli et nous avons eu beaucoup de plaisir tout au long de la marche. 

Nous avons quitté Gubbio en passant devant une petite chapelle où Saint François a dompté un loup qui terrorisait la populace. En échange de nourriture quotidienne offerte par les habitants, le loup a accepté de ne plus croquer de bétail ou d’humains. Il aurait même tendu sa patte à François pour conclure leur accord. Brave bête ! Si nous avons bien compris, c’est aussi là que s’était établie la première confrérie franciscaine avant qu’ils ne bâtissent une église bien plus vaste et cèdent celle-ci aux sœurs clarisses.

Nouvelles rencontres

Nous avons ensuite poursuivi par un petit chemin le long d’un canal avant d’atteindre Ponte d’Assi et un bar pour notre célèbre cappuccino matinal. Aujourd’hui, la serveuse avait fait de jolis dessins dans la mousse alors il était bien meilleur que les autres jours ! Peu après, nous avons rattrapé Katia, une Allemande vivant aux Philippines qu’il nous semble avoir déjà aperçue à deux reprises entre Florence et la Verna. Elle est très sympathique et joviale et nous avons marché un kilomètre avec elle, jusqu’à ce qu’elle décide de faire une pause et que nous continuions. Nous avons également croisé quatre autres marcheurs, tous italiens, avec qui nous avons échangé quelques mots et que nous avons astucieusement surnommés Brescia, Bergamo, Verona et Le-Très-Joli-Garçon. Pour ce qui est du dernier, nous l’avions déjà vu après Città di Castello avec celui que nous croyions être son père, mais soit il marchait simplement à ce moment-là avec un homme plus âgé et “le père et son fils” dont on nous a parlé sont d’autres pèlerins, soit c’est un fils indigne qui a abandonné son paternel, mais dans tous les cas nous (surtout moi) sommes certains qu’il s’agit du même jeune homme.

Quoi qu’il en soit, ils s’arrêtaient tous plus tôt que nous dans un hébergement religieux à donation libre. Nous avons atteint cet endroit vers midi et j’ai voulu aller voir à quoi ressemblait l’édifice qui paraissait très beau de loin. J’ai été malheureusement repérée par Antonio, un des bénévoles, qui souhaitait absolument m’inviter à visiter l’intérieur et dîner. J’ai décliné, précisant que mon compagnon et le chien m’attendaient au portail et que nous n’avions pas fini notre étape. Bergamo est arrivé à ce moment-là et Antonio s’est exclamé : “Ah super ! Maintenant qu’il est là vous pouvez venir manger !” J’ai expliqué que nous n’étions pas ensemble tandis que Bergamo s’installait et que j’allais partir, mais Antonio a insisté pour que je visite au moins la chapelle. Soit. Il m’a montré avec enthousiasme les fresques de je ne sais plus quel siècle et une cape (il existe sans doute un nom précis mais je suis très ignorante en la matière) de l’Ordre de Malte. J’ai essayé de prendre un air impressionné mais je crois avoir simplement dit “hin” d’un ton affligé. J’ai alors voulu me rattraper en ajoutant quelque chose de pertinent à cette grande discussion, mais je suis autant experte en templiers qu’en capes et tuniques alors j’ai voulu dire que le village où j’habitais était aussi lié à l’Ordre de Malte. Sauf qu’Antonio n’en avait absolument rien à faire et qu’il m'interrompait tout le temps :

- “Là où j’habite…
- Mais non, je n’habite pas ici !
- Certes. Mais là où j’hab…
- Je viens de Naples.
- Oh, c’est bien.
- Nous sommes deux couples.
- D’accord. Le village où je vis…
- Non, c’est très grand Naples, une très belle ville.
- Oui mais dans mon village, il y a…
- Nous sommes là juste une semaine. Bénévolement.
- IL Y A AUSSI UN ORDRE DE MALTE CHEZ MOI !
- Hin…”

A son tour de me regarder avec un air affligé. J’espère qu’il a ainsi réalisé que les capes maltaises ne constituent pas un sujet de conversation palpitant, mais j’en doute fort. Je suis sortie de l’église et Antonio s’est alors exclamé : “Ah ! Il est venu ! Maintenant qu’il est là vous pouvez venir manger !” Avec un brin de tristesse, j’ai entendu Le-Très-Joli-Garçon répondre que nous n’étions pas ensemble. Et finalement j’ai réussi à m’enfuir.

Après avoir marché dans la forêt, traversé une rivière et rapidement observé une chapelle apparemment importante pour Saint François mais qui n’offrait pas de place de pique-nique agréable, nous avons décidé de continuer jusqu’à Biscina et de manger là-bas. Peu avant l’arrivée, nous avons croisé une autre pèlerine germanophone. Elle était un peu illuminée. Elle s’est arrêtée et regardait alternativement Logan et nous d'un air interrogateur. Ensuite elle a demandé : “Hund ?” et nous sommes restés un peu circonspects. Qu’on confonde Logan avec un husky ou un border collie, ça arrive souvent. Mais qu’on demande si c’est un chien, ça c’est inédit ! Il y a tout de même quelques indices qui ne trompent pas… Nous avons simplement répondu “Ja” et la dame a eu l’air excessivement enchantée. “C’est le vôtre ! Vous marchez avec votre chien !” Nous avons alors compris qu’elle avait voulu nous demander si c’était notre chien, pas un chien. Comme quoi, les déterminants, ça change la vie !

Nous avons échangé quelques mots. Elle se rendait à l’hébergement religieux car elle a déjà parcouru ce pèlerinage dans l’autre sens et avait regretté de ne pas dormir là. Elle semblait véritablement portée par son enthousiasme et nous avons pensé qu’elle ferait mieux de rester prudente, car avec cet entrain mystique qui la poussait elle allait se casser la figure dans la descente qui l’attendait. Elle nous a quittés en nous souhaitant le traditionnel “Buon cammino !” auquel nous avons poliment répondu, puis a jugé bon d’ajouter “Pace e bene !” Nous avons tenté un sourire crispé et à nouveau nous avons dit “hin”...

Biscina

Arrivés à l’agritourisme, nous avons découvert que la réception n’ouvrait que deux heures plus tard. Nous nous sommes alors installés à une table dans le jardin pour manger face à un panorama époustouflant : les ruines de l’imposant château de Biscina, le lac de Valfabbrica en contrebas et des collines à perte de vue. Quelle beauté !

Une femme est arrivée une heure plus tard et nous a donné les clés de notre petit appartement. Comme hier, il possède une cuisine et nous avions emmené de quoi composer un souper simple mais bon. En chemin, j’avais également cueilli du romarin et du fenouil sauvage pour agrémenter la salade de tomates et le résultat était exquis.