Ciao Umbria, buongiorno Lazio !

Après un bon déjeuner à l’hôtel, nous avons quitté sans grand regret Piediluco. Nous avons marché un petit moment au bord du lac jusqu’au centre national d’aviron, malheureusement sans apercevoir d’athlètes à qui nous aurions pu souhaiter bonne chance pour les Jeux Olympiques de Paris, puis nous avons pénétré dans une forêt. C’est plus ou moins à cet instant que nous sommes également entrés dans le Latium mais aucune indication ne nous a permis de savoir quand précisément. Nous nous sommes cependant doutés avoir changé de région quand le balisage est devenu plus rare.

Labro

Depuis Piediluco, nous avions en ligne de mire le ravissant village perché de Labro et nous savions donc à quoi nous attendre en parvenant au pied de sa colline. La montée s’est révélée longue et raide mais la récompense surpassait de loin nos efforts ! Le petit village est tout à fait charmant et magnifiquement retapé. Ses ruelles pavées et ses escaliers sinueux conduisent à une jolie place entre les remparts, devant l’église. Celle-ci possède quelques fresques hideuses mais plutôt comiques. Sans doute les grands artistes de l’époque n’ont-ils pas souhaité grimper là-haut avec tout leur matériel et la paroisse s’est-elle contentée d’engager le sympathique Pietro, boulanger mais artiste à ses heures perdues, pour décorer son église.

Malgré tout, Labro reste une petite pépite et je rêverais d’y vivre. Pascal n’a cessé de tenter de briser mes rêves en listant les inconvénients (porter les courses, amener un nouveau canapé, aller promener le chien, etc.) mais un seul argument terrassait tous ces désagréments : c’est trop joli.

Puisque nous avons déjà réservé un hébergement ce soir, nous n’avons toutefois pas pu nous établir définitivement à Labro et nous avons poursuivi notre marche à travers un bois. Au village suivant, nous avons fait une pause sur la terrasse d’un café afin de reprendre des forces pour la longue ascension qui nous attendait.

L’arbre parapluie

Les quatre kilomètres suivants nous conduisaient effectivement 500 mètres plus haut. Ils se découpaient en cinq paliers, les replats nous permettant de reprendre notre souffle. Par chance, le chemin se situait en grande partie à l’ombre et sa partie la plus pentue était goudronnée afin de rendre la grimpette plus aisée. Une jolie petite chapelle trônait au sommet. Elle a été construite en 2000 à partir d’une ancienne masure utilisée par les bergers afin de marquer le nouveau millénaire et l’importance de ce lieu vis-à-vis de notre cher François d’Assise. En effet, une centaine de mètres plus bas se trouve un hêtre ancestral sous lequel François se serait abrité lors d’un orage. Ou plutôt, un hêtre ancestral qui aurait abrité François en plaçant ses belles branches au-dessus de sa tête pour le protéger des éléments. C’est là que réside la différence entre un saint et un promeneur lambda égaré dans une forêt qui se cache sous un arbre pour éviter la foudre. Comme celui-ci lui avait sauvé la mise, François avait remercié et béni l’aimable feuillu et voilà pourquoi huit siècles plus tard notre chemin vers Poggio Bustone passait vers le vieil hêtre très en hauteur.

Pour être tout à fait honnête, nos connaissances fort limitées en botanique et en vocabulaire végétal étranger nous ont contraints à vérifier quelques heures plus tard à quelle essence nous avions affaire. Sur le moment, nous nous sommes dit “Oh ! en voilà un vieil arbre tout tordu !” et nous avons décidé de pique-niquer sur le muret face à lui. Ce n’est pas tous les jours qu’on mange devant l’un des plus vieux quel-que-soit-cet-arbre au monde, pardi !

Pour la suite du trajet, notre guide proposait de revenir sur nos pas et suivre une route sur plusieurs kilomètres ou emprunter un raccourci assez raide à partir de la chapelle. Ledit raccourci était un itinéraire balisé et nous voyions qu’il avait été parcouru par de nombreuses personnes auparavant, aussi avons-nous choisi cette option plus rapide. Une partie de la descente s’est effectivement révélée un peu scabreuse et Pascal a fini deux fois sur les fesses, mais rien de bien terrible.

Dans la forêt en contrebas, nous avons traversé puis longé une jolie rivière qui invitait à pousser la chansonnette. J’aurais beaucoup aimé entonner les grands classiques de Lucio Battisti afin de me préparer à sa rencontre (voir quelques paragraphes plus bas) mais je n’en connais malheureusement aucun. Je me suis donc résolue à chanter d’autres airs moins appropriés mais tout aussi guillerets. Cela a dû beaucoup plaire à une vipère, car elle ne daignait pas quitter le chemin. Nous sommes restés deux bonnes minutes à la regarder en tapant du pied pour signaler notre présence sans l’effaroucher, quand enfin elle s’est décidée à se déplacer sur le côté.

Poggio Bustone, patrie de Lucio

Le balisage était un peu moins précis que les derniers jours et nous n’étions pas sûrs d’être toujours sur la bonne voie quand nous nous sommes engagés sur une piste très étroite encombrée de ronces, de cactus et de hautes herbes. Pascal a alors trouvé un billet de 10 euros par terre et nous avons pensé que même si nous étions perdus, au moins étions-nous riches. C’est toujours mieux d’être riche, à choisir. En quittant ce sentier sauvage, nous avons aperçu les premières maisons d’un village. Selon toute probabilité il s’agissait de Poggio Bustone mais puisque nous ne voyions plus aucune balise depuis un bon kilomètre nous n’aurions pas été complètement surpris qu’il s’agisse d’un tout autre endroit. C’est en passant devant le cimetière que nos doutes se sont envolés : les tombes que nous apercevions étaient toutes au nom de Battisti. 

Si d’autres personnes qu’Isabelle (que je salue) lisent ce blog, peut-être est-il nécessaire de préciser enfin qui est ce mystérieux Lucio Battisti. Pour faire simple, c’était un chanteur italien fort en vogue au siècle passé. L’année dernière, nous avions croisé un père et sa fille qui parouraient la Via di Francesco en pèlerinage non pas vers Assise ou Rome mais vers Poggio Bustone, lieu de naissance de leur héros. Ils nous avaient parlé de Lucio Battisti avec des étoiles dans les yeux et notre réaction (“Ah… Lucio qui ?”) les avait un peu décontenancés. Ils nous avaient alors cité les titres de ses plus grandes chansons, certains que cela éveillerait forcément d’heureux souvenirs, mais ma foi, non. Rien du tout.

Cette année, en décidant de repartir sur la Via di Francesco, nous étions contents de pouvoir enfin rallier ce haut-lieu de la musique italienne. A l’entrée du village, nous avons découvert avec émotion la statue de ce grand homme. L’émotion venait peut-être surtout du fait que nous étions alors convaincus d’être au bon endroit. Nous sommes passés rapidement devant un petit musée fermé à son honneur et la maison où il est né et a vécu les trois premières de sa vie. En arpentant le reste du village, nous n’avons pu nous empêcher de penser que s’il avait passé là le reste de sa vie, il n’aurait sans doute jamais rien composé de bien poétique. Lucio Battisti a pu devenir Lucio Battisti car ses parents ont décidé de quitter Poggio Bustone. Je ne sais toujours pas ce que racontent ses chansons, mais je suppose que si elles avaient parlé d’escaliers, d’ennui, de ruelles sales et de maisons délabrées, le succès aurait été moindre.

Nous avons rapidement trouvé notre gîte au centre du village. Après nous être douchés et avoir déposé nos affaires, nous sommes ressortis faire un petit tour. Le village, comme vous pouvez vous en douter, ne nous a pas particulièrement séduits. Il est très ancien mais n’a rien de charmant. En fait, il est juste vieux, miteux et vertical avec des escaliers partout. Sa population doit avoir en moyenne 103 ans et nous nous sommes demandés en apercevant le Centre des Anciens face à l’église s’ils y acceptaient les jeunets de 85 ans. Sur une des places, une dizaine de bancs accueillaient des papis joyeux dont nous ne comprenions pas du tout l’accent. Nous nous sommes installés au bar en face pour boire un soda et écrire quelques cartes postales parmi la population locale, très bruyante et peu raffinée. Quelques marcheurs complétaient cette assemblée. Nous sommes étonnés d’en rencontrer si peu en chemin alors que nous en croisons plusieurs dans les villes ou villages où nous nous arrêtons.

De retour à notre chambre, Pascal a lu tandis que j’écrivais. Logan était fatiguée mais ne parvenait pas à s’endormir car les voisins braillaient dans la rue. Il s’agissait de trois jeunes avec de délicieuses voix criardes, sans doute à moins de deux mètres l’un de l’autre mais pouvant être entendus jusqu’à Naples. Vive l’Italie !

Le soir, nous avons soupé dans une minuscule osteria à deux pas et quelques marches de notre chambrette. La cuisine était très originale et réellement excellente ! Nous conseillons vivement cet établissement à tous ceux qui désirent maintenant se rendre à Poggio Bustone, et j’imagine qu’à la lecture de cet article ils sont nombreux.

La seule anecdote croustillante que j’ai oublié jusqu’ici de relater sur Poggio Bustone est que la porte d’entrée historique de la ville se nomme la “Porta del Buongiorno” car François d’Assise, toujours courtois, a franchi cette porte en 1208 et salué la population du bourg en disant “Buongiorno, buona gente !” A nouveau, nous pouvons constater ici la différence entre un saint et un touriste lambda qui salue les gens dans la rue mais n’a pas grande incidence sur les noms de celles-ci. Je me demande par contre combien de personnes parmi celles que nous avons croisées se souviennent de ce grand événement.