L’étape du jour était annoncée comme une des plus belles du voyage, avec de magnifiques vues sur le lac, les montagnes et la vallée. C’était sans compter la pluie et le brouillard.
Nous avons bu un cappuccino au café rustique du village et mangé une pomme pour tout déjeuner avant de quitter le bourg et traverser le lac par un pont à l’air un peu fragile, sous la pluie qui commençait à tomber. Nous devions ensuite entamer une longue montée de plus de cinq kilomètres entre forêts et alpages. Juste après le pont, nous avons fait la connaissance de Vincent, marcheur français fort sympathique. Nous avons bavardé durant quelques centaines de mètres mais, comme nous avancions plus vite, il a suggéré que nous poursuivions à notre rythme.
L’ascension était assez régulière et sans grande difficulté, ce qui nous a permis de progresser d’un bon pas. Nous avons dépassé trois pèlerins italiens peu avant le sommet, mais j’avais alors tant de buée sur les lunettes qu’il m’aurait été impossible de les décrire. La pluie a redoublé d’intensité à ce moment et en quelques minutes nous étions trempés. L’eau s’était infiltrée dans nos chaussures et nos shorts nous collaient à la peau. Un brouillard épais dissimulait tout paysage et un vent froid s’est levé pour finir de nous glacer jusqu’aux os.
Parvenus au sommet d’un alpage, nous n’apercevions plus les balises. Des poteaux en bois étaient disposés pour indiquer le chemin, mais ils se trouvaient trop éloignés les uns des autres pour que nous les distinguions de loin. Le brouillard ne simplifiait de plus pas la situation et ce jeu de piste inattendu ne nous a pas autant enchantés qu’il aurait dû. Nous nous séparions pour arpenter cet alpage chacun de notre côté, appelant l’autre quand nous trouvions un repère. Heureusement, nous avons vite rejoint une piste mieux marquée et la pluie a cessé. Quelques vaches ont détalé à notre vue, ce qui nous a également soulagés car nous n’aurions pas aimé avoir à les éviter s’il leur était venu à l’idée de courser Logan.
A 11 heures, nous avons entendu les cloches d’une église toute proche sonner. Tout à coup le brouillard s’est levé et nous avons aperçu le village quelques centaines de mètres en contrebas. Presque aussitôt, le voile blanc l’a à nouveau dissimulé à notre regard. Face à nous, le spectacle était à la fois mystique et saisissant : quelques percées laissaient apparaître une vallée, un village au loin, un champ touché par un rayon de soleil, puis tout s’effaçait aussi rapidement. Nous n’avons certes pas pu admirer la vue exceptionnelle annoncée par le guide, mais nous sommes heureux d’avoir profité de ces brefs fragments lumineux et poétiques.
Au village de Pozzaglia Sabina, nous nous sommes empressés de rejoindre le bar pour nous réchauffer un peu et manger un panini. Les Italiens et Vincent sont arrivés un peu plus tard, dans le même état lamentable que nous. Nous avons parlé de Manfred, que personne n’a vu aujourd’hui alors qu’il s’est mis en route peu avant nous. Nous en avons déduit qu’il avait dû suivre l’itinéraire des cyclistes, certes plus long mais avec beaucoup moins de dénivelé. Vincent, qui a dormi dans le même gîte hier, nous a dit qu’il était apparemment blessé, ce qui explique sans doute son pas indécis et son rythme si lent.
Après près d’une heure de pause, nous étions toujours autant mouillés mais au moins un peu réchauffés et restaurés. Il nous restait alors une bonne heure de marche sur une petite route forestière. Nous sommes restés avec Vincent, nous séparant uniquement avant Orvinio quand il a souhaité suivre l’itinéraire qui s’enfonçait dans les hautes herbes tandis que nous avons continué sur la route, un peu plus longue mais au sec.
Orvinio est également un village classé parmi les plus beaux d’Italie. Nous n’avons néanmoins pas eu le loisir de le visiter en raison d’une incompréhension de ma part. Quand nous recherchions un hébergement dans ce village hier, la dame avec qui j’avais parlé au téléphone m’avait expliqué qu’avec le chien nous pouvions uniquement rester à l’ostello et que nous devions l’appeler quand nous arriverions à Orvinio. C’est ce que j’ai fait et elle m’a répondu que Maurizio arrivait. Maurizio est effectivement arrivé quelques minutes plus tard en voiture et nous avons alors compris que l’ostello se trouve à trois kilomètres d’Orvinio, sur l’itinéraire que nous aurions dû emprunter demain. Nous étions un peu embêtés car nous aurions préféré dormir à Orvinio, mais puisque c’était impossible nous aurions souhaité du moins visiter ce village et nous rendre ensuite tranquillement à pied jusqu’à l’hébergement. Mais voilà que Maurizio était venu spécialement nous chercher. Il aurait été très impoli et ingrat de notre part de lui demander de nous laisser marcher et de revenir une heure plus tard nous accueillir au gîte, ainsi avons-nous volontiers accepté son aide. Il nous a conduits jusqu’à un lieu complètement isolé sur une petite clairière au milieu des bois. Il s’agit visiblement d’un centre pouvant accueillir de grands groupes mais nous y sommes seuls ce soir.
Nous trouvons un peu dommage de nous retrouver que les deux dans ce lieu coupé du monde alors qu’il doit y avoir une bonne ambiance au restaurant d’Orvinio avec le petit groupe de pèlerins que nous avons rencontré. Qui plus est, la météo est restée changeante tout l’après-midi et puisque tout est mouillé nous n’avons pas pu rester dehors. Nous nous sommes donc un peu embêtés et aurions préféré nous trouver dans un village un peu plus animé. Toutefois, les lieux sont d’une propreté impeccable et plutôt confortables, ce qui rend notre séjour agréable malgré tout. Nous avons pu utiliser l’immense cuisine professionnelle, parvenant avec brio à faire des bruschette dans une poêle géante sur des flammes vives et préparant des pâtes que Pascal a un peu trop joyeusement pimentées. Nous buvons maintenant un dernier thé avant d’aller rejoindre les bras de Morphée.