Nous avons déjeuné dans la grande cuisine vide de notre grand hébergement vide avant de descendre la petite route d’accès à l’ostello et rejoindre le chemin. Maurizio nous avait expliqué que nous pouvions couper à travers champs et longer l’orée des bois, mais cela nous semblait plus sûr de suivre un itinéraire officiel. En passant devant un vaste jardin, un homme qui promenait d’adorables chiots nous a interpellés. Il nous a prévenus que du poison avait été répandu dans la montagne pour tuer les loups et qu’il était plus prudent de garder Logan en laisse et à l’oeil. Nous avons donc parcouru plusieurs kilomètres en forêt en veillant à ce que Logan ne s’éloigne pas et ne renifle rien de suspect. Par chance, elle n’est pas pénible à promener en laisse mais c’est néanmoins bien moins plaisant que lorsqu’elle gambade librement.
Le chemin n’était pas particulièrement bien balisé et nous avons hésité à quelques bifurcations, profitant à un moment que les trois Italiens que nous venions de rattraper regardent la direction sur leur GPS pour les suivre. Il s’agit clairement d’un comportement de petit joueur et nos esprits de grands aventuriers ne cautionnent évidemment pas cela, mais il aurait été stupide que nous sortions nos compas et sextans alors que John-John nous disait “c’est par là”... Aventuriers certes, mais futés surtout.
Le prochain rebondissement va sans doute contredire cette dernière affirmation, même s’il implique un grand serpent.
Parvenus dans une petite localité qui accueille un musée sur l’aigle royal, nous avons suivi le balisage sans y prêter grande attention. Nous nous trouvions alors à deux kilomètres environ de Licenza, le village où nous avions prévu de dîner. Après une dizaine de minutes sur une petite route, nous commencions à trouver la direction curieuse et nous avons sorti le guide pour y observer la carte. La direction ne semblait en effet pas tout à fait concorder mais aucun autre chemin n’était dessiné, aussi avons-nous continué sur cette voie. Au bout de quelques centaines de mètres, nous nous sommes trouvés face à une longue couleuvre bronzant au milieu de la route. Elle ne daignait pas s’en aller, la bougresse, malgré nos demandes courtoises et nos impétueux tapements de pied au sol. Après quelques minutes, qui ont peut-être duré une poignée de secondes, j’ai décidé de passer rapidement dans son dos et Pascal m’a courageusement suivie. Voilà pour l’aventure. Un peu plus loin, nous avons retrouvé des balises qui nous amenaient le long d’un torrent dans la forêt et qui pouvaient plus ou moins coïncider avec le plan du guide. Toutefois, après un bon quart d’heure, nous étions convaincus qu’il y avait anguille sous roche. Il nous est toujours difficile d’estimer avec précision la distance parcourue, mais avec l’expérience nous savons plus ou moins si nous avons marché un, deux ou trois kilomètres. A cet instant, nous savions donc que nous avions déjà marché bien plus de deux kilomètres et que nous n’étions pas du tout sur le tracé mentionné dans le guide. Cependant, les balises du chemin de San Benedetto restaient présentes à chaque intersection et il n’y avait toujours aucun autre sentier sur la carte qui correspondait à ce que nous réalisions. Nous avons donc continué sur cette voie, très plaisante au demeurant, faisant confiance au balisage et pensant que nous verrions bien où nous arriverions. Au bord d’une petite cascade, tandis que Pascal essayait de nettoyer Logan qui avait peu avant eu la brillante idée de se rouler dans du fumier, nous avons été dépassés par un Allemand (il en présentait toutes les caractéristiques) au pas véloce et à l’air sûr de lui. Nous étions quelque peu rassurés de constater que nous n’étions pas les seuls idiots à nous être engagés dans cette forêt alors que visiblement il y avait une autre option bien plus brève vers le musée de l’aigle. Arrivés au croisement avec une route importante, nous n’avons pas vu de balise et avons décidé de suivre l’Allemand qui s’était lancé sans la moindre hésitation sur la route. Plus tard, nous avons découvert qu’il y avait un sentier caché sur la gauche et que ledit Allemand n’avait pas la moindre idée de là où il allait.
En fin de compte, malgré les tentatives d’empoisonnement de Logan, un long détour, une rude lutte contre une couleuvre et la tromperie d’un Allemand fourbe, nous sommes arrivés à Licenza. Nous avons pique-niqué sur une place animée et peuplée de nombreux chats et chiens errants avant de boire un café dans un petit bar.
Après une bonne heure de pause, nous sommes repartis en décidant de ne pas visiter le centre historique de ce village très étiré. Nous sommes descendus d’une centaine de mètres avant de suivre une montée dans les bois, jusqu’à des alpages et une route blanche plutôt plate au milieu de genêts en fleurs. A Pian di Papa, une prairie sans intérêt nommée ainsi suite à une visite du Pape Jean-Paul II, nous avons entamé la descente jusqu’à Mandela, qui n’a pas été nommée ainsi suite à une visite de cet admirable Nelson. Le village est petit et peu animé, sans grand charme malgré l’ancienneté de la plupart de ses maisons. Celles-ci sont plutôt en mauvais état et bon nombre d’entre elles sont à vendre. Une quantité effarante de chats repoussants et certainement centennaires l’habite. Ils semblaient malades, séniles et abrutis par la chaleur, bien qu’il ne fasse pas très chaud mais il aurait été mesquin de les traiter d’abrutis. Logan n’en a heureusement pas aperçu la moitié, pensant sans doute qu’il s’agissait de vieilles serpillères oubliées ça et là.
Nous avons trouvé un petit appartement pour ce soir après plusieurs appels infructueux. Les gens sont toujours très sympathiques et ils nous donnent volontiers le numéro d’un autre hébergement quand ils sont déjà complets ou n’acceptent pas les chiens. On nous avait ainsi dirigés vers Nino’s Pub, nous précisant au cas où nous étions stupides que “ça s’appelle comme ça parce que c’est chez Nino et il a un pub.” Nino a aussi des chambres à louer mais elles ne s’appellent étrangement pas Nino’s Rooms. Quoi qu’il en soit, nous étions contents de trouver un hébergement à Mandela et le confort de ce petit appartement allait bien au-delà de nos espérances. Nous nous sommes douchés et avons profité de la machine-à-laver pour faire une lessive. Nous sommes ensuite ressortis faire un tour du village. Les églises étaient fermées, le château semble à l’abandon et ce n’est pas si grand, ce qui fait que quelques minutes plus tard nous étions de retour et nous avons décidé d’aller boire une bière au pub (oui, celui de Nino).
L’Allemand est arrivé peu après et nous l’avons invité à se joindre à nous. Il s’appelle Torsten et vient d’un village non loin de Berlin. Il ne comprenait pas comment nous avions pu deviner sa nationalité et nous avons dû lui expliquer qu’il s’agit là d’années d’expérience à côtoyer des pèlerins allemands. Nous avons finalement passé la soirée ensemble, mangeant d’excellents hamburgers et parlant de tout et de rien. Une belle rencontre et une soirée fort sympathique !