Changement de décor

Ce matin, nous avons profité du déjeuner le moins équilibré, diététique et nourrissant qu’on peut concevoir : un donut et une tranche de gâteau à la confiture. Le tout accompagné d’un jus de fruits dont les Italiens ont le secret : une espèce de sirop coloré au goût de produits chimiques. Ainsi nourris et contentés, nous avons quitté notre charmante maisonnette pour retrouver le chemin sans passer par les inutiles détours suivis hier soir.

Nous avons traversé un joli pont roman et avons pénétré dans une belle forêt, croisant dans la montée Vincent, Monica et Valerio. La promenade était très jolie mais il ne s’est rien passé de particulier, hormis le bref passage où nous nous sommes trompés de chemin et où nous avons remonté le lit asséché d’une rivière envahi de lianes et de chenilles. Après être revenus sur nos pas, nous avons disposé des branches au sol pour indiquer à nos amis la direction à suivre.

Nous sommes ensuite passés sous un très bel arc romain qui servait autrefois de douane, puis nous sommes descendus dans des beaux alpages. Dans l’un d’eux, nous ne trouvions pas de balise et nous avons passé plusieurs minutes et à arpenter les lieux en quête d’un sentier à suivre. Quand enfin nous l’avons trouvé, nous avons à nouveau formé une croix au sol, cette fois-ci avec des pierres. Monica et Valerio nous ont remerciés par la suite, expliquant qu’eux aussi étaient confus à cet endroit et qu’ils avaient suivi la flèche.

Nous avons traversé de magnifiques prairies, dont les milliers de fleurs ravissaient abeilles, bourdons et autres insectes, avant de franchir un vaste enclos où paissaient paisiblement des chevaux et quelques poulains. Nous nous trouvions dans un petit coin de paradis, une nature apparemment apprivoisée avec respect, mais la bêtise humaine est décidément sans borne. Sur une petite route quelques mètres plus loin, je me suis penchée au-dessus du vide sur ma droite pour voir à quelle distance coulait la rivière que nous entendions en contrebas. Dans le talus étaient entassés des déchets de toute sorte : toilettes, bidons de peinture, sacs poubelle, pneus, barrières, etc. Quelle tristesse. Quelle bêtise. Les mots me manquent pour décrire ma colère et ma peine, mais peut-être ne sont-ils pas nécessaires.

Le chemin s’enfonçait peu après dans la forêt, où il devenait une piste étroite mais très plaisante à parcourir jusqu’à une petite église. Nous avons alors rejoint une route de montagne sur laquelle des motards s’amusaient à atteindre des vitesses affolantes en faisant vrombir leurs moteurs, dont le vacarme résonnait dans toute la vallée et contrastait tristement avec le chant des oiseaux. Après un bon quart d’heure, nous avons quitté le couvert des arbres et avons découvert un spectacle sublime juste avant Guarcino. Les paysages sont très différents de ce côté des montagnes. Ils s’ouvrent sur une vallée bien plus habitée, avec de nombreux villages et des sommets moins hauts aux contours doux. Le regard porte loin mais il s’accroche à de jolis reliefs, s’arrête sur la géométrie de quelques champs, les nuances de vert infinies. Le contraste est saisissant.

A Guarcino, nous avons acheté un excellent pain aux noix chez le boulanger pourtant fermé, suivant les conseils d’un habitant qui nous a dit de passer par l’arrière de la boutique. Nous avons pique-niqué sur un banc avant de boire un café dans le petit bar voisin. Celui-ci vend également des amaretti, biscuit aux amandes qui fait la fierté du village. Il s’agit d’une version bien plus grande que les amarettini que nous connaissons et, d’après la légende, la recette aurait été donnée aux villageois par un moine en remerciement de leur hospitalité. Nous en avons savouré un avec le café et en avons acheté d’autres pour nos amis marcheurs et notre thé du soir.

En repartant, nous avons parcouru le centre historique du village. Il nous a semblé plus accueillant et vivant que ceux traversés ces derniers jours, bien que tout aussi en pente et avec autant d’escaliers. Nous avons ensuite marché une heure dans la campagne sous de gros nuages noirs avant d’atteindre Vico nel Lazio, un bourg encore entouré par une belle muraille munie de vingt-cinq tours et cinq portes. Il aurait sans doute été intéressant de dormir dans ce beau village médiéval pour en découvrir les recoins et les boutiques, mais nous avons déjà pu en ressentir l’atmosphère et apprécier ses rues soignées, son charme et son caractère.

Logan ne montrait alors plus le moindre entrain et nous avons dû insister pour qu’elle nous suive sur les trois derniers kilomètres de l’étape. A l’entrée de Collepardo, un chat lui a subitement fait oublier toute fatigue et j’ai dû courir sur plusieurs dizaines de mètres en retenant la laisse pour l’empêcher de partir à ses trousses sans toutefois l’étrangler. Ainsi remotivée, elle nous a accompagnés de bonne grâce jusqu’au centre du village.

Nous avons loué pour la nuit un tout petit appartement au charme fou et au prix dérisoire. Puisque nous nous y sentons très bien et qu’il est bien équipé, nous avons choisi de cuisiner ici plutôt qu’aller au restaurant. Nous avons acheté quelques tranches de pizza succulentes et de quoi réaliser une salade, ainsi que du pain pour le déjeuner de demain matin. Tandis que je lavais les tomates, j’ai aperçu par la fenêtre Valerio. Nos quatre amis dorment dans le Bed & Breakfast en face, alors que les hébergements ne manquent pas dans ce village. Nous en avons profité pour leur donner les amaretti et leur faire visiter notre petit cocon d’un soir.