Comme le premier bus pour Einruhr n’arrivait que vers 10h30, nous avons décidé de parcourir l’étape du jour à rebours. Cela nous semblait également une meilleure idée après avoir observé les prévisions météo, car ils annonçaient une forte pluie toute la matinée et une possible amélioration dans l’après-midi. L’itinéraire offrant un raccourci non négligeable entre Einruhr et Vogelsang au détriment de beaux points de vue sur le lac, nous pouvions ainsi avancer et décider en milieu de journée s’il s’avérait préférable d’écourter l’étape. Nous étions également avantagés au niveau du dénivelé puisque la grande montée devenait une grande descente.
Nous sommes partis vers 9 heures et avons marché dans la forêt sous la pluie jusqu’à l’orée d’un premier village avant de poursuivre à découvert sur les sommets de collines balayées par le vent. Pascal me dit que c’était joli, mais avec la pluie sur mes lunettes et la buée causée par la montée en K-way, je ne saurais en témoigner.
Nous avons ensuite atteint le complexe de Vogelsang. Jusqu’à hier, nous croyions que c’était un centre pour la protection des oiseaux dans le parc national de l’Eifel. C’est en réalité quelque peu différent : il s’agit d’un des plus grands complexes nazis encore existants. Il a été construit en 1934 pour la formation des officiers supérieurs nazis et a donc servi d’école pendant quelques années jusqu’au début de la guerre. Il a ensuite été occupé et utilisé par l’armée britannique, puis belge jusqu’en 2005. Depuis, il accueille différents musées et expositions, ainsi que des institutions. Il y a effectivement également le Centre du parc national de l’Eifel, mais qui n’a rien à voir avec de quelconques oiseaux. Le musée principal vise à expliquer pourquoi et comment l’idéologie nazie s’est propagée et n’est pas un site en mémoire de ses victimes, ce qui en fait un site plutôt atypique. Nous aurions beaucoup aimé consacrer quelques heures à sa visite mais avec Logan ce n’était évidemment pas optimal.
Nous avons néanmoins fait une pause et bu un café dans le restaurant panoramique, bénéficiant d’une vue imprenable sur le lac de retenue Obersee. C’est un peu spécial de se retrouver dans ce qui a servi autrefois de mess ou baraque à de futurs dirigeants nazis, d’arpenter les mêmes allées et d’apprécier les mêmes paysages. Je trouve intéressant que les bâtiments n’aient pas été rasés et qu’ils soient aujourd’hui utilisés dans un contexte d’éducation, de transmission et de documentation. L’Histoire est à la fois ironique et fascinante. Les époques passent avec leurs idées, se suivent, s’effacent, se répètent ou s’oublient. Le passé peut ainsi rendre un bête café inspirant ou dérangeant, amer ou savoureux. Lorsque j’ai fait part de mes réflexions à Pascal, qui est parfois aussi sensible qu’une gourde en alu, il a haussé les épaules et déclaré qu’il trouvait le café immonde mais pas philosophique.
Nous avons repris la route en même temps que le soleil pointait ses timides rayons. Nous sommes descendus le long de plusieurs bâtiments avant de rejoindre l’itinéraire de l’Eifelsteig qui, pour des raisons incompréhensibles, passait en bordure du site au lieu de le traverser et de conduire les marcheurs au moins jusqu’au restaurant. Mais nous commençons à comprendre que l’Eifelsteig se veut un sentier nature et évite aussi bien que possible toute agglomération ou activité humaine.
Après un passage en forêt, nous avons rejoint le sommet des collines et découvert l’église abandonnée de Wollseifen. Ce petit village avait été habité jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand il a dû être évacué avec l’avancée du front allié. Le village a été presque entièrement détruit et les habitants sont revenus à la fin des hostilités pour tout reconstruire. Moins d’une année plus tard, les Britanniques ont contraint la population à s’en aller définitivement afin d’utiliser les lieux comme terrain d’entraînement. Ils ont mis le feu à l’église lors d’un exercice et ont ensuite passé la main aux troupes belges. Il ne reste désormais pas grand-chose de ce village hormis l’église vide, une ou deux maisons en ruines et quelques baraques plus modernes abandonnées.
Un peu plus loin, nous sommes passés au milieu d’un grand troupeau de moutons. Logan était survoltée et les brebis couraient de part et d’autre autour de nous. Nous avions alors une belle vue sur le complexe de Vogelsang et, avec tous ces moutons au milieu de buissons de genêt et le ciel enfin bleu, la carte postale était parfaite !
Comme la météo était désormais clémente, nous n’avons pas hésité à emprunter le tracé officiel plus long. Nous sommes donc descendus en direction du lac et avons pu profiter de beaux points de vue sur ses lacets. Nous avons d’ailleurs déniché un promontoire révélant une vue à couper le souffle et avons décidé de dîner là. Les nuages qui masquaient et révélaient le soleil en défilant à grande vitesse offraient de plus des jeux d’ombre et de lumière incroyables.
Nous avons ensuite continué sur une petite route le long du lac jusqu’à Einruhr. L’itinéraire proposait de grimper dans des champs pour éviter complètement le village mais nous ne comprenons à nouveau pas cette décision. La rue que nous avons empruntée est pittoresque, au milieu de maisons en colombages toutes plus ravissantes les unes que les autres, et ne fait que quelques centaines de mètres. Il s’agit vraiment d’un petit village charmant, pas d’une banlieue mal famée ou d’un axe à grand trafic.
Nous avons eu le temps de demander un tampon pour nos crédentiales à l’office du tourisme et de boire un verre avant de prendre le bus pour rentrer à Gemünd.