Jusqu’à Miss Marple

L’Eifelsteig attire chaque année des dizaines de milliers de marcheurs qui réalisent plus ou moins fidèlement les étapes proposées. De nombreux services sont disponibles, comme le transport des sacs d’un hôtel à l’autre ou des tours organisés avec toutes les réservations effectuées. Pour des raisons absolument incompréhensibles, une des étapes est le hameau de Mirbach avec très peu d’hébergements et un service de bus risible. Les jours de semaine, il est possible d’emprunter le bus scolaire jusqu’à Hillesheim et les week-ends d’été une navette circule entre Blankenheim et Mirbach. Celle-ci ne propose cependant que quatre courses journalières, la première arrivant à 10h10. Aucun moyen d’accéder plus tôt à ce village sans commander un taxi, et bonne chance aux marcheurs qui arrivent ici en semaine ! L’étape est en outre l’une des plus longues du voyage avec plus de 26 kilomètres, ce qui signifie que la plupart des gens préféreraient l’entamer de bonne heure. Comme cela nous embêtait de débourser une cinquantaine d’euros pour un taxi, nous avons décidé de prendre le premier bus et d’écourter l’étape. Tant pis pour la petite cascade et l’abbaye de Niederehe. Au final, nous avons peut-être été gagnants au change car il a plu très fort jusqu’à 9h30. Nous avons pour notre part été complètement épargnés en partant plus tard.

Nous sommes arrivés à Mirbach en même temps que Stephan et Angelika, le couple d’Allemands avec qui nous avons soupé hier. Nous avons parcouru ensemble quelques centaines de mètres puis nous avons accéléré le pas et les avons petit à petit distancés. Logan était complètement déchaînée, ce qui nous a confortés dans l’idée que son jour de repos hier lui était bénéfique. Elle se roulait dans les prés, courait comme une folle et me sautait dans les jambes en s’assommant à moitié contre une de mes bouteilles en aluminium.

Rapidement, nous avons quitté les champs pour entamer plus d’une heure de marche plutôt monotone sur une route forestière. Nous avons fait une pause à la sortie du bois et continué dans de nouveaux champs jusqu’au moment où nous avons quitté l’Eifelsteig pour notre grand raccourci. Celui-ci rejoignait Kerpen et retirait six kilomètres à l’étape. Nous étions heureux de pouvoir réfléchir un peu et chercher notre chemin dans les fourrés, prêts à dégainer machettes et compas. Quelle ne fut pas notre déception en découvrant un grand panneau indiquant Kerpen et un large sentier balisé ! Nos rêves d’aventure, de rencontres fortuites avec des créatures aussi ténébreuses que sauvages et de vie à la Robinson Crusoé demeuraient inaccomplis.

Nous sommes donc trop aisément arrivés à Kerpen, un village absolument pittoresque dominé par un superbe château médiéval. Toutes les maisons sont soignées, les jardins fleuris et parfaitement entretenus, les rues propres et calmes. Un petit village où les gens doivent sortir le matin et se saluer avec bonhommie, s’enquérait de la santé de Fräulein Müller et se congratulant sur la belle floraison des rosiers, très tôt pour la saison. Plusieurs rues et monuments rendent hommage à un certain Fritz von Wille, peintre du siècle dernier qui a coulé des jours heureux à immortaliser la région.

Nous avons bu un café et mangé un gâteau dans le seul café du village avant de repartir à travers champs. Après un quart d’heure seulement, nous avons trouvé une jolie place de pique-nique avec une vue remarquable sur la campagne et le château et avons décidé qu’il s’agissait du lieu idéal pour dîner et venir à bout de notre conserve de choucroute. Nous n’avions pas très faim puisque nous venions de manger du gâteau, mais nous avons malgré tout admis que ce n’était pas si terrible et qu’il était important de vivre pleinement l’expérience allemande. Peut-être assouvissions-nous là un peu notre soif d’aventure ?

Nous avons contourné la Weinberg, qui n’a de montagne du vin que le nom, car aucune vigne ne semble avoir jamais poussé sur ses coteaux. Nous avons ensuite traversé le village de Berndorf avant de poursuivre dans une jolie campagne vallonnée jusqu’à Hillesheim. La petite ville est réputée comme “Capitale du crime” car des romans policiers se déroulent dans la région et que plusieurs établissements proposent des thématiques en lien avec la littérature policière. Nous dormons dans le Krimihotel, qui possède des chambres à thèmes sur des détectives ou des livres. Nous avons hérité de la chambre Miss Marple avec un mobilier un peu kitch et une décoration en lien avec cette brave Jane.

Nous buvons actuellement un thé avec des scones, comme Miss Marple, dans le Café Sherlock. En réalité, c’est surtout moi qui bois un thé car Pascal est un peu moins sensible à l’ambiance et se contente d’une bière-limonade… A l’étage supérieur, des milliers de livres policiers garnissent des étagères sans fin entre des jeux de société et plusieurs petites expositions. C’est franchement amusant, même si le jazz commence à nous taper sur le système et que nous allons partir à la fin de cette phrase.