La vallée de la Lieser

Nous n’avions pas compris si le déjeuner était compris ou non avec la chambre que nous louions pour la nuit. Quand j’ai interrogé la dame hier en arrivant, elle est restée assez évasive, indiquant qu’il y avait des cafés au village mais que si on le voulait elle pouvait aussi préparer un déjeuner. Nous avions alors décliné sa proposition et, ce matin, nous avons été acheter croissants et cafés à la boulangerie au coin de la rue. Nous avons également acheté des sandwichs pour midi, car en lisant le guide nous avons découvert qu’il n’y aurait plus de commerces avant 66 kilomètres et que nos provisions risquaient d’être un peu courtes. Nous étions contents d’avoir fait des achats en quantité à Daun puisque, contrairement à ce que laisse penser l’auteur du livre, Manderscheid n’a pas vraiment de commerces. Nous aurions été très empruntés si nous avions dû acheter là pour trois jours de nourriture !

Nous avons quitté le village vers 8h30 et avons pu admirer les deux grands châteaux avant de pénétrer dans la forêt dans la vallée de la Lieser. Le chemin ressemblait à ce qu’on trouve chez nous le long des bisses : une petite piste plutôt régulière. Ne manquait que le bisse, la rivière étant bien loin en contrebas. C’était néanmoins très joli et plus agréable que les routes forestières sans cachet que nous avons souvent suivies durant ce voyage. Des cabanes étaient de plus présentes le long du parcours pour faire des pauses et apprécier la vue sur la vallée.

Nous avons traversé la rivière après cinq kilomètres pour entamer une ascension assez raide sur un chemin étroit dévoré par les ronces et les orties. Comme il avait plu jusqu’à tôt ce matin, les herbes étaient détrempées et nous bientôt aussi. Personnellement, cela ne m’affectait nullement et je n’avais cure des épines qui me griffaient les bras et les mollets. Par contre, je pestais contre tous ces végétaux qui entravaient ma vision du sol et donc des limaces ! Car avec ce temps elles étaient bien sûr de sortie et il n’est pas question que je marche sur une de ces terribles créatures !

A la fin de ce chemin semé d’embûches, nous avons atteint un lieu modestement nommé “Schöne Aussicht” (belle vue). Nous avons dû ressortir le guide pour vérifier si nous étions bien arrivés. Il y a effectivement une large trouée dans les arbres qui offre une vue sur les arbres d'en face, mais de là à qualifier cela de “belle vue”, il y a de la marge. Nous ne nous sommes d’ailleurs pas attardés, préférant continuer à marcher et trouver un plus bel endroit pour faire une pause.

Nous avons traversé une nouvelle fois la Lieser et entrepris une deuxième montée raide jusqu’à Burgberg. Il y avait là une table de pique-nique en piteux état mais un panneau signalait une cabane à 300 mètres. Comme tout était mouillé et qu’il n’y avait pas la moindre agglomération avant plusieurs kilomètres, nous avons décidé de nous y rendre. Et quelle bonne idée ! La cabane en question était, de même que toutes celles vues dans la matinée, absolument superbe. Et la vue depuis là valait réellement le détour. Nous y avons fait une pause avec plaisir, mangeant des pains au chocolat tout en chantant du Joe Dassin (les paroles de cette chanson sont vraiment extraordinaires). Nous avons aussi étudié la carte et décidé de modifier la suite de l’itinéraire pour passer par un village et voir un peu de goudron et quelques maisons au lieu de rester dans la forêt.

Nous avons suivi ce plan et sommes ainsi arrivés à Grosslittgen vers 12h30. Cela nous a permis de boire un café au chaud dans une petite boulangerie et d’aller aux toilettes. Nous avons ensuite traversé le village et retrouvé l’itinéraire de l’Eifelsteig alors que la pluie commençait à tomber. Elle n’était heureusement pas très forte et nous n’avons pas mis longtemps à arriver à l’abbaye d’Himmerod. Une fois là-bas, nous nous sommes installés sur un banc pour manger et visiter à tour de rôle les lieux. La pluie a cependant redoublé d’intensité à ce moment, aussi avons-nous décidé de nous abriter sur la terrasse couverte du café. Nous avons acheté à boire et la dame a gentiment accepté que nous pique-niquions.

Tandis que Pascal restait avec Logan, j’ai été visiter l’impressionnante église. Nous nous attendions à un décor baroque chargé, mais elle est en réalité extrêmement sobre. Ses colonnes de pierre rouge semblent hautes de cent mètres et j’ai émis un petit “woah” en poussant la porte. Des gens faisaient des essais sur l’orgue et ma visite a donc été ponctuée de brefs instants tantôt solennels tantôt joyeux. Au moment où je partais, la musique est devenue extrêmement intense et j’ai eu l’impression d’être l’héroïne d’un grand film qui sortait avec panache et fierté après avoir traversé tant d’épreuves avec une bravoure inégalée. Dramatique à souhait, c’était grandiose. Et puis j’ai débarqué sur le parvis, un panneau indiquait la direction de la poissonnerie et l’ambiance est vite retombée. (Oui, il y a une poissonnerie dans l’abbaye.) 

J’ai fait un détour par le cloître avec la sensation d’être une intruse : pas d’autres visiteurs, les couloirs mal éclairés dans le bâtiment et le mot “Klausur” en caractères gothiques sur une porte sévère. A nouveau, j’ai poussé un petit soupir de satisfaction en découvrant le très joli cloître et ses voûtes. J’ai ensuite pénétré dans le jardin et ai cru m’asphyxier ! Une épaisse fumée à l’odeur atroce brouillait l’air. Elle sortait d’une cheminée et je me suis demandée s’ils voulaient rejouer le récent Concile et émettre de la fumée noire pendant quelques jours. Pascal a remarqué qu’une camionnette à l’extérieur appartenait à une sorte de service de contrôle du feu et nous pensons donc qu’il s’agissait de tests des conduits, mais dans tous les cas ni lui ni moi ne nous sommes attardés dans le jardin enfumé.

Nous avons croisé un couple de marcheurs que nous avions déjà vus quelques fois. Ils nous ont dit qu’ils terminaient là leur voyage débuté à Hillesheim. C’est également le cas de deux femmes croisées ce matin et que nous voyions depuis l'abbaye de Steinfeld. Angelika et Stephan ont aussi décidé d’arrêter leur marche et la dame hollandaise bavarde finissait hier. Le père et sa fille faisaient un jour de pause aujourd’hui. Nous ne reverrons donc probablement personne de connu sur les dernières étapes, c’est assez curieux. Contrairement à nos derniers voyages, nous n’avons toutefois pas créé de réel lien avec les autres marcheurs et cela ne nous dérange donc pas vraiment.

Jusqu’à hier, nous avions suivi les étapes “officielles” de l’Eifelsteig. Aujourd’hui, l’étape s’arrête à Himmerod mais nous avons décidé de faire une dizaine de kilomètres supplémentaires pour accomplir le voyage en quatorze jours au lieu de quinze et pouvoir ainsi rentrer dimanche. Après nous être bien reposés et avoir visité l’abbaye, nous avons donc repris la route. Notre hôtel se trouvant quelques kilomètres en dehors de l’itinéraire, nous avons choisi de quitter l’Eifelsteig et de suivre un chemin dans la forêt. Comme nous n’avons pas de GPS ni accès à Internet, nous avions regardé la carte en ligne hier et pris quelques captures d’écran. Nous avons ainsi suivi des petites routes forestières et des chemins non balisés à travers bois, attentifs aux distances parcourues et vigilants aux intersections. C’était cependant plutôt simple et nous avons facilement trouvé notre hôtel.

Puisqu’il n’y a rien d’autre qu’une poignée de maisons dans ce village, nous avons soupé au restaurant de l’hôtel. On nous a servi une crème d’asperge en entrée, avec une crème chantilly parsemée de ciboulette. Une crème chantilly sucrée, s’il-vous-plaît !