Winfried

Performants dès le matin

Ce matin, nous nous sommes levés un peu plus tard que d’habitude et sommes allés déjeuner vers 8 heures. Le buffet était tant alléchant que nous nous sommes laissés tentés par les spécialités locales en plus de nos traditionnelles tartines. C’est le meilleur déjeuner que nous ayons eu après celui au château d’Abenberg, mais celui-là défie toute concurrence.

Nous avons quitté l’hôtel trois quarts d’heure plus tard et devions retrouver le chemin. Nous sommes allés en direction de l’église car il passe normalement devant toutes les églises. Ce n’était pas le cas. Nous avons voulu alors la visiter, car elle est très atypique de l’extérieur, mais elle n’ouvre qu’entre 16h30 et 18h00. Bon, au moins ils sont sûrs de ne pas avoir trop de visites.

Comme nous ne voyions pas de coquilles, nous avons sorti notre guide qui disait de passer sur la place centrale. Nous avons réfléchi et nous ne nous souvenions pas avoir vu de place lors de notre brève balade de la veille. Nous avons donc emprunté une rue au bol, puis j’ai demandé la direction dans une boulangerie. La place centrale, c’est celle qui se trouve devant la porte de notre hôtel et que nous voyions depuis nos fenêtres hier et ce matin. Nous n’avions pas réalisé qu’il s’agissait d’une place, pensant que la rue s’élargissait simplement un peu, mais en y repensant il y avait quand même des indices : zone piétonne, suffisamment large pour avoir des terrasses de chaque côté et une grande fontaine au centre… Nous aurions probablement pu éviter le tour du pâté de maisons si nous avions eu un soupçon de jugeote.

Hürben

Nous avons gravi une petite colline, puis marché une bonne heure dans la campagne. A Hürben, nous avons rejoint Fritz qui a finalement marché plus loin que prévu hier. Nous avons fait une pause là et il a continué, mais comme il marche beaucoup plus lentement que nous nous étions certains de le rattraper plus tard. Ils ont mis en place un petit sentier de Saint-Jacques à Hürben, qui forme une boucle de 4 kilomètres environ. Des panneaux explicatifs permettent au promeneur de découvrir les lieux marquants de la voie du Puy-en-Velay puis du Camino Frances, avec photos et anecdotes. Si nous avions eu connaissance de ce “Jakobswegle” il y a trois ans, nous aurions pu marcher 2196 kilomètres en moins car ce sont les deux voies que nous avions empruntées. L’avantage, c’est qu’aujourd’hui nous n’avons pas eu besoin de suivre cette boucle car nous connaissions déjà les lieux.

Charlottenhöhle

Un kilomètre plus loin se trouvait un musée ainsi qu’une grotte préhistorique dans laquelle ont vécu des hommes il y a 35’000 ans. Nous voyions le musée et un joli parc pour enfants à une cinquantaine de mètres du chemin, donc nous avons décidé d’aller y jeter coup d’oeil. Nous avons pensé que s’il y avait quelque chose d’incroyable à 50 mètres, ce serait bête de ne pas faire le détour. Nous avons compris que la grotte se trouvait plus loin, sur une colline, aussi sommes-nous revenus sur nos pas. De retour sur le chemin, une flèche nous indiquait dix mètres plus loin qu’il fallait passer devant le musée. Youhou ! Nous sommes donc revenus en arrière pour retourner à l’endroit que nous venions de quitter. Le chemin nous faisait faire le tour du parc pour enfants, puis passer littéralement à travers le shop. Nous avons sauté cette étape et avons retrouvé les coquilles qui faisaient le tour du parking. Je pense que nous aurions pu gagner 200 mètres s’ils n’avaient pas décidé de nous faire visiter tout le complexe…

Bettelmannsgrab

Nous avons longé la route un moment, passé sous les ruines d’un château et suivi une petite rivière avant de nous enfoncer dans les bois. Nous avons retrouvé Fritz à un croisement. Le chemin de gauche faisait un petit détour de 300 mètres pour passer devant une tombe, puis rejoignait le chemin de droite. Je me suis dit que s’ils avaient mis des panneaux et créé un chemin pour une tombe, c’est qu’elle devait en valoir la peine, et nous avons pris la voie plus longue. Fritz est parti à droite et nous lui avons promis de lui montrer les photos et lui raconter tout ça.

Après une centaine de mètres, le chemin tournait légèrement et devenait anecdotique, les herbes foulées par trois gulus avant nous nous indiquant où passer. Une petit croix se trouvait sur notre droite, avec un poème. Nous avons suivi le passage tracé par les trois gulus, avant de ressortir au milieu d’une clairière. Pas de tombe, aucune indication. Peut-être était-ce la croix que nous avions vue juste avant ? J’ai posé mon sac et suis revenue sur mes pas. Effectivement. Au pied de la croix, en observant bien, on devinait une tombe complètement recouverte par les hautes herbes. Le petit poème parlait d’une tombe au milieu de la forêt et du chant des oiseaux et de l’hiver et blablabla. Donc ouais, c’était ça qu’ils mentionnaient dans le guide et qu’ils indiquaient sur les panneaux de randonnée. Une tombe délabrée et pas entretenue avec un petit poème tout pourri. Nous n’avons trouvé aucun renseignement sur la personne qui se trouve là-dessous, donc ça ne doit même pas être une personnalité sur la tombe de laquelle on pourrait vouloir se recueillir…

Le passage pour rejoindre le chemin devenait catastrophique après la clairière, du même acabit que celui d’hier dans les orties et les ronces. Sur 200 mètres environ, nous nous sommes frayés un chemin dans des herbes atteignant notre hauteur et des plantes aux feuilles épaisses et dentées qui nous griffaient de partout.

Franchement, merci pour le détour, nous irons mettre une superbe note sur Tripadvisor pour cette activité hors du commun !

Stetten

A Stetten, nous avons fait une pause sur un banc. Un petit chat gris et blanc nous a aperçus et est venu en courant et en miaulant vers nous, la queue droite, pour se faire câliner. Il avait l’air tout heureux, puis il a remarqué Logan et a fait le gros dos. Logan devient folle quand elle voit un chat et pleure tant qu’elle ne peut pas l’approcher pour jouer. Les deux se fixaient, le chat avec son poil hérissé, Logan qui couinait bêtement. Le matou a finalement détalé et Logan a continué de pleurnicher pendant encore cinq minutes. Nous avons décidé d’écourter notre pause et sommes partis.

Nous avons fait un saut à l’église sur le conseil de Fritz, que nous avons retrouvé un peu plus loin. Il y avait une réplique de la Madone noire d’Einsiedeln à l’intérieur, dans une petite chapelle située derrière l’autel. Nous pourrons voir dans quelques semaines si elle est identique lorsque nous verrons l’originale. Yeah !

Dans les bois, nous avons à nouveau été surpris par la quantité d’orties présentes au bord du sentier. Cela nous a alors rappelé ce brave Guillaume, pèlerin à moitié taré rencontré en France il y a trois ans. Il ramassait toutes les herbes qu’il trouvait en route et faisait des soupes le soir, invitant les autres pèlerins à sa table contre une participation financière. Il dispensait également des cours de yoga pour financer son voyage et était entré dans une colère noire quand j’avais refusé d’y participer. Il se baladait aussi avec une collection incroyable de graines, qu’il troquait à droite à gauche. Par exemple, il échangeait à un paysan des graines de courgettes contre trois pommes de terre. Nous avons pensé à ramasser plein d’orties pour en faire une soupe et une tisane ce soir, puis dire à Fritz : “Voilà ton souper, c’est 10 euros ! Si tu veux on peut faire le stretching aussi et c’est juste 5 euros en plus.” Mais bon, après nous avons réalisé que nous ne voulions pas forcément perdre un bras en cueillant des orties, alors nous avons abandonné cette idée.

Lindenau

Nous avions convenu avec Fritz de le retrouver pour un café à Lindenau. Dans notre guide, ils mentionnent un ancien hospice qui est aujourd’hui un restaurant avec le meilleur Biergarten de la région. Nous nous sommes rendus jusqu’à cet endroit et avons pique-niqué dans le Biergarten, consommant une boisson sur place. Fritz nous a rejoints un peu plus tard et nous avons parlé un moment. Nous avons ensuite marché ensemble jusqu’à Nerenstetten. Il restait un peu plus de 6 kilomètres, qui sont passés très vite car nous avons papoté tout le long. Comme Fritz marche lentement, nous n’étions pas fatigués en arrivant, ce qui est toujours agréable.

Nerenstetten

Nous logeons dans le même hôtel. Il n’y en a qu’un dans ce village, donc ce n’est pas réellement une surprise… L’endroit est tenu par un couple âgé. Ils me font un peu mal au coeur, car ils faisaient la lessive quand nous sommes arrivés, puis Monsieur s’occupait du service dans le petit restaurant pendant que Madame cuisinait. C’est un travail fatigant et ils doivent avoir une huitantaine d’années. J’espère vraiment qu’ils le font par plaisir et non par nécessité.

Mis à part ça, la chambre est très propre et fonctionnelle. Je ne vais pas continuer cette phrase parce que Pascal raconte des idioties à côté pour me distraire.

Fritz soupait là et nous l’avons rejoint pour boire un verre. J’ai bu un bon thé bien chaud, Pascal une bière blanche, et nous avons discuté un moment. Un long moment. En fait, Fritz fait partie de ces gens qui prennent un quart d’heure pour répondre à n’importe quelle question, puis qui se relancent tous seuls pour un autre quart d’heure, avant de lancer un nouveau sujet de discussion sur lequel ils débattent un long moment. Il a recommandé une bière et nous attendions qu’il la finisse pour remonter souper dans notre chambre. A chaque fois qu’il portait la chope à ses lèvres, il recommençait une nouvelle phrase et baissait son verre. Pascal et moi pensions très fort : “bois, bois, bois”, espérant que la télépathie opérerait, mais en vain. Fritz ne buvait jamais. Nous avons d’ailleurs appris qu’il s’appelle Winfried, mais pour la clarté du récit nous continuerons de le nommer Fritz. Vous avez toutefois le droit de rigoler, parce qu’il s’appelle quand même Winfried. On pourrait presque l’appeler Winfritz.

Il a la cinquantaine, est célibataire et n’a pas d’enfants. En 2012, il a attrapé une sorte de leucémie qui a attaqué ses os. Il a dû se faire remplacer une cervicale et ses hanches ont également souffert. Il est maintenant en rémission et récupère petit à petit sa mobilité.

C’était un peu long à notre goût, comme vous aurez pu le comprendre, mais je pense que ça lui a fait du bien de pouvoir parler. Je dois avouer n’avoir compris qu’un tiers de ses propos, car il y avait pas mal de bruit et qu’après une heure je peinais à me concentrer sur ce qu’il disait. Mais bon, il ne pose pas beaucoup de questions, donc il suffisait d’opiner du chef et dire “ja” et “ok” de temps en temps. Avec un sourire bêta, ça fonctionne toujours. Malgré tout, nous avons passé une chouette soirée en sa compagnie et c’est la première fois depuis dix jours que nous avons une vraie discussion avec quelqu’un d’autre que notre chien.

De retour dans notre chambre, nous avons perfectionné la fabuleuse recette imaginée hier. Mesdames et messieurs, je vous présente le poivrthon. C’est un doux mélange entre un poivron farci et un hot-thon (voir quelques étapes plus tôt pour le détail de la recette). Le principe est relativement simple : il faut mettre du thon dans un demi-poivron et l’agrémenter comme bon vous semble. Hier, nous avions ajouté un peu de fromage style Tartare à l’aïl, aujourd’hui c’était du pâté de thon (ouais, c’était thon sur thon comme ça…) et des petits cubes d’Emmental au goût de plastique qui s’est promené deux jours dans mon sac-à-dos au soleil. Un met d’une finesse rare et d’une complexité inouïe, qui peut être amélioré à l’infini. Peut-être sortirons-nous un jour un livre de recettes réalisées à partir de “trucs faciles à transporter, pas trop lourds, pas fragiles, qu’on trouve dans l’épicerie du coin et qui ne nécessitent aucun assaisonnement parce qu’on n’a pas”.