Dernière étape allemande

Nous avons longé la route sur près de 3 kilomètres avant d’atteindre Markdorf, ne suivant ainsi pas le chemin de Saint-Jacques qui passait dans les hauteurs et se révélait plus long. Nous aurions suivi cet itinéraire si le chemin piéton et cyclable le long de la route n’avait pas été aussi large et séparé d’elle par des arbres et buissons.

Markdorf est un joli village, à l’image des localités que nous traversons ces derniers jours. Nous n’avons toutefois pas pris le temps de le visiter et avons poursuivi notre chemin. Nous avons une nouvelle fois longé une route assez importante pendant quelques kilomètres, dans des conditions moins plaisantes qu’auparavant car nous marchions dans les herbes sur le bord de la chaussée. C’était cette fois l’itinéraire officiel et non pas une de nos fainéantises…

Dans la forêt

Nous avons ensuite quitté la route pour nous enfoncer dans une belle forêt, sur un sentier large et bien entretenu. Dommage qu’il y avait des limaces, sinon j’aurais gambadé gaiement dans ces bois en chantonnant des comptines…

Le balisage est bien meilleur depuis Weingarten et nous ne nous perdons plus à tout bout de champ. Les mêmes coquilles que l’on retrouve en France annonçaient depuis cette forêt le chemin de Saint-Jacques, avec un petit panneau explicatif qui permettait au promeneur de comprendre la direction selon le sens de la coquille et non plus de la déduire au hasard comme nous l’avions fait jusqu’à maintenant.

La forêt s’est écartée (pas comme la mer de Moïse, elle était déjà écartée avant notre passage car nous ne fuyions pas vraiment l’Egypte) et nous avons profité du joli couvert du club de modélisme du coin pour faire une pause. Nous avons été attentifs à ne déranger aucun nid de guêpes et Logan a pu dormir sereinement.

Le chemin nous replongeait ensuite dans la forêt, laissant par moments places à de beaux vergers et de petits patelins déserts. Nous avons progressé une dizaine de kilomètres ainsi, il ne faisait pas trop chaud, c’était très plaisant et nous n’avons pas vu le temps passer.

Meersburg

Nous sommes arrivés à Meersburg depuis les hauteurs, ne voyant pas le Lac de Constance qui se trouvait pourtant juste en contrebas de l’autre côté de la ville. Depuis hier, nous n’avons aperçu le lac qu’à de rares reprises au loin. Il représentait une étape très importante pour nous puisqu’il signifiait la fin de notre périple en Allemagne. J’étais émue en pénétrant dans la vieille ville de Meersburg, puis en apercevant enfin le lac entre deux rangées de maisons, si près, calme et magnifique. Voilà, nous l’avions fait, nous avions marché de Nuremberg au Lac de Constance. Le premier tronçon de notre voyage touchait à sa fin.

Meersburg est une ville tout en pente, avec des jolies rues pavées bordées de maisons colorées et charmantes. Des centaines de touristes, avec une grande proportion d’Espagnols, se promenaient dans la ville, prenaient des photos, visitaient les boutiques. Les rues étaient littéralement bondées et nous peinions parfois à nous frayer un chemin. Une fois de plus, nous avons arpenté une ou deux rues mais pas plus. Il nous restait encore des kilomètres à parcourir et, avec les sacs-à-dos et Logan attirée par tant d’odeurs et de congénères, jouer aux touristes n’était pas des plus agréables. Nous sommes descendus au bord du lac, que nous avons longé jusqu’au ferry.

Traversée du lac

Nous avons demandé au personnel sur le quai où acheter les billets et un gros homme un peu bourru nous a indiqué qu’il faudrait payer à bord. Nous sommes montés sur le bateau, avons pris place sur le pont à l’avant, espérant que nous étions sur le bon ferry car nous n’avions même pas vérifié cette information. Nous nous sommes dit que dans tous les cas nous devrions traverser le lac. Je devais aller aux toilettes et ai réalisé qu’elles se trouvaient deux étages plus bas, sous le parking des voitures. Un étage de ferry c’est plus grand qu’un étage de maison, il y  a plus que 15 marches. Moi qui pensais profiter de la traversée pour reposer mes gambettes… Quand je suis remontée, le bateau naviguait déjà fièrement en direction de la rive opposée. C’était bon signe, il n’avait pas changé de cap pour remonter le Rhin et les chances qu’il aille où nous voulions aussi nous rendre augmentaient.

Un contrôleur est passé entre les bancs, marmonnant des paroles inaudibles. Nous lui avons fait signe deux fois pour acheter nos billets, mais il ne nous a pas regardés et a continué sa promenade. Bon, merci pour la traversée gratos ! Moins de quinze minutes plus tard, nous arrivions à Staad. Je serais bien restée une heure en plus sur ce bateau, faisant encore au moins un aller-retour gratuit pour me reposer un peu, profiter du beau temps et de la sensation de plénitude qui m’habite quand je suis sur l’eau. Mais nous sommes descendus là. Triste vie.

Staad

5 kilomètres environ nous séparaient encore de Constance, ville où nous avions prévu de dormir. Nous nous sommes perdus une fois dans Staad car une coquille indiquait la fausse direction. Quand nous sommes arrivés sur le quai d’où nous avions débarqué cinq minutes plus tôt, nous avons fait demi-tour, un peu dubitatifs.

Le chemin nous a conduits sur une colline au sommet de laquelle se trouvent deux chapelles. La première est normale : petite, blanche et mignonne. La seconde, à quelques mètres seulement, est une chapelle ouverte en bois. C’est en gros un grand couvert avec un clocher et des bancs d’église au lieu des tables de pique-nique. Pas d’autel par contre. D’après ce que nous avons entendu des explications d’une grand-mère à son petit-fils, ils ouvrent la porte située à l’arrière de la chapelle normale pour célébrer la messe et un autel doit se cacher là. Il y avait effectivement une grande porte qui ne conduisait pas à l’intérieur de cette chapelle, puisqu’une fois à l’intérieur on n’aperçoit qu’un mur au fond.

Nous avons décidé de dîner dans cette chapelle ouverte. Le cadre atypique nous a plu, tout comme les nombreux bancs à l’abri. Nous nous sommes installés sur la dernière rangée et avons mangé tranquillement. Nous avons également profité de la pause pour visiter la chapelle normale. Des fresques du XIVe avaient été mises au jour et restaurées sur ses parois latérales ainsi que derrière l’autel. Il n’y avait pas d’éclairage donc je ne suis pas certaine d’avoir bien vu, mais ça m’a paru très moche. Par contre, liesse ultime, la corde de la cloche se trouvait juste derrière la porte d’entrée, pile à ma hauteur, s’avançant vers moi comme une invitation. J’ai accepté celle-ci avec grand joie, remarquant qu’il était 13h15 et qu’il fallait sonner un coup. J’ai tiré d’abord doucement sur la corde mais aucun son n’a retenti. Une deuxième fois un peu plus fort, toujours rien. J’ai tiré de toutes mes forces une troisième fois et trois belles sonneries sont parvenues à mes oreilles enchantées. Tant pis pour les gens qui ont cru que c’était 13h45, ils seront pour le coup arrivés en avance à leurs rendez-vous.

Constance

Nous nous sommes égarés une nouvelle fois en repartant mais avons vite retrouvé le chemin un peu plus loin. Nous avons alors traversé une petite forêt qui semblait plutôt faire office de grand parc. Nous avons croisé plus de monde là que durant nos deux semaines de marche dans la nature. Des promeneurs de chiens, des joggeurs, des groupes de personnes âgées en balade, etc.

La traversée de ce parc/forêt s’est déroulée très rapidement et nous avons quitté les bois pour arriver au bord du lac. Bienvenue à Constance, dernier bastion allemand de notre périple !

Logan est toujours intéressée par l’eau. Nous l’avons amenée sur une petite plage, pensant qu’elle serait heureuse de tremper ses pattes. Au lieu de cela, elle a aboyé sur les vaguelettes minuscules qui caressaient les galets. J’ai enlevé mes chaussures et me suis avancée dans l’eau qui était vraiment très agréable. Logan, très courageuse, m’a suivie avant de ressortir de l’eau et pleurer ou gronder à chaque fois qu’une vague s’approchait.

Nous avons suivi la rive du lac sur quelques centaines de mètres. Elle est très bien aménagée, interdite aux véhicules à moteur, avec des quantités de bancs, de fleurs et de coins verts. Quelques restaurants et bars situés juste de l’autre côté des pistes cyclables proposent des terrasses qui doivent faire fureur dès que le soleil est au rendez-vous !

Un pont nous a permis d’enjamber le Rhin et rejoindre le centre-ville. Nous avons toutefois attendu avant de nous rendre dans le centre historique car nous n’avions pas encore d’hébergement pour la nuit et avons préféré aller directement à l’office du tourisme. Il y a un festival important à partir de demain et tout semblait plein ou hors de prix quand nous avions regardé ces derniers jours. Nous étions certains de repartir bredouilles, comme à Ulm, mais avons tenté notre chance. Pour être sûrs de bien tout saisir nous avions décidé de parler en anglais. J’ai alors dit à la dame au guichet : “Hello! Wir sind auf den Jakobsweg…” Le temps de réaliser que je parlais en allemand, c’était trop tard pour changer. Cela fait bientôt trois semaines que nous parcourons l’Allemagne et j’en perds mon anglais. Pourtant, c’est une langue que j’utilise encore souvent, en lisant, chantant ou même parfois en parlant avec Pascal. Mais à chaque fois que j’ai voulu parler anglais à quelqu’un c’est devenu risible en moins d’une phrase. Comme la fois où je voulais acheter une bande pour Logan en pharmacie et que j’ai dit : “My dog has verletzt, uh… hurt its paw. Do you sell bandages, vielleicht?” Au moment où les mots quittent ma bouche je me rends compte de la catastrophe, mais c’est trop tard. Et j’applique la grammaire allemande à l’anglais, ce qui ne fonctionne pas du tout. Non non non ! Bref, j’ai donc parlé en allemand et la dame nous a trouvé un hôtel dans notre budget en moins d’une minute. L’hôtel se situe par contre à Kreuzlingen, en Suisse.

Nous n’avions pas prévu d’arriver en Suisse ce soir et dans mon esprit la frontière devait être franchie demain. Mais Kreuzlingen et Constance sont collées, fusionnées même, donc aller jusqu’à la prochaine ville consiste simplement au final à changer de quartier. La gentille dame a réservé une chambre à mon nom puis a caressé Logan un moment, pour le plus grand bonheur des gens dans la file d’attente qui commençaient à s’impatienter.

Kreuzlingen

Nous avons alors franchi la frontière. Nous nous sommes tapé dans la main une fois en Suisse en nous félicitant, avant de réaliser que cela pouvait paraître suspect pour les douaniers juste derrière nous…

Nous sommes donc arrivés en Suisse. Je ne m’étais pas préparée à ça, pour moi l’émotion de la journée se limitait à arriver au Lac de Constance. J’avais imaginé dormir à Constance tout en sachant que la Suisse se trouvait quelques rues plus loin, pouvoir effleurer ce prochain objectif, le début de la nouvelle aventure qui nous attendait en terre helvétique. Cela m’a donc fait bizarre de me retrouver en Suisse dans l’après-midi. C’était amusant de retrouver tous ces petits détails qui semblent tellement normaux tout à coup qu’ils nous frappent : les panneaux de signalisation, les prix annoncés en francs, les lignes sur les routes, les enseignes, les poubelles chaque vingt mètres, les pâtisseries dans les boulangeries, les boîtes aux lettres, etc. Après cinquante mètres nous nous sentions à la maison, ce qui nous paraissait aberrant car nous étions dans la même rue que deux minutes auparavant, quand nous avions l’impression d’être en vacances. C’est un sentiment très particulier. Cela m’a fait me poser des dizaines de questions sur le nationalisme, le ridicule des frontières, est-ce que l’abonnement général suisse est valable sur tout le parcours de bus entre Kreuzlingen et Constance ? Qu’est-ce qui se passe si tu oublies tes papiers quand tu vas faire ton jogging dans la rue en-bas de chez toi qui n’est pas dans ton pays ? Est-ce qu’ils ont des accords spéciaux entre hôpitaux pour le rapatriement si tu te casses une jambe dans l’autre pays ? Est-ce que c’est du trafic d’enfants si une nounou promène les bébés qu’elle garde dans l’autre pays ? Je ne vais pas vous faire la liste de toutes mes questions, je crois que j’ai déjà assez abusé de la patience de Pascal…

La fête de la rue dans lequel se trouve notre hôtel a lieu ce soir. Quand nous sommes arrivés, du monde s’activait à monter les stands. Tous, sans exception, nous ont salués. Nous sommes restés stupéfaits. En Allemagne, la plupart des gens ne nous répondaient pas quand nous les croisions et les saluions sur un chemin étroit entre deux villages de campagne minuscules. Nous nous amusions à tous les saluer pour les embêter. Là, dans une ville relativement grande, tout le monde nous adressait un chaleureux “Grüezi mittenand!”

L’hôtelier qui nous a accueillis était italien. La réservation a été faite à mon nom et quand nous sommes arrivés, il nous a dit en italien : “Ah ! Galloni ! Des Italiens ! D’où venez-vous ?” Du Valais. Il a eu l’air surpris, a froncé les sourcils et a dit que mon nom était italien, donc j’étais italienne et pas valaisanne. Il nous parlait tout en italien, à Pascal aussi. Pour le coup, je suis étonnée d’avoir aussi bien parlé car je ne m’étais pas du tout préparée à ça et vu la peine que j’ai à parler anglais, j’ai été surprise que ce ne soit pas la même galère en italien. Quelques mots allemands se sont greffés dans la discussion malgré tout mais avec des r roulés c’était charmant. Je lui ai expliqué que nous parlions français en fait mais il n’a pas écouté. Quand on a des Galloni (Pascal aussi à ses yeux) face à soi, on parle en italien. Basta.

Tampons

Il était dans tous les cas ravi d’accueillir deux Italiens et nous a donné les clés. Nous avons à peine posé les affaires et Logan, rinçage ultra rapide sous la douche avant d’enfiler des habits secs, et nous sommes ressortis. Nous voulions un tampon de la cathédrale de Constance dans nos crédenciales. Elle fermait à 17 heures, il nous restait quarante minutes. Nous avons regardé les horaires de bus qui bien sûr nous apprenaient qu’un bus venait de partir, nous sommes demandés si nous aurions pu faire valoir nos abonnements demi-tarif sur un bout du trajet et sommes finalement partis à pied. Une dame vendait les billets pour monter dans le clocher et nous a fait les tampons. Elle a trouvé hilarant que Logan ait une crédenciale, prétextant n’avoir jamais vu ça.

Nous avons marché plus tranquillement au retour, flânant un peu dans les belles rues de Constance, avant de repasser la douane. Je voulais un tampon de la douane suisse. C’est le tout premier tampon helvétique qu’on peut obtenir, il n’y a pas de Suisse avant ça, et je ne voulais pas faire le premier tampon ailleurs que là, à la douane de Kreuzlingen.

Il n’y avait qu’un bureau ouvert et c’était la douane allemande. Nous avons pensé qu’ils pourraient peut-être nous aider comme il n’y avait pas un seul garde-frontière suisse présent. La douanière m’a dévisagée d’un air à la fois blasé, atterré et hautain quand je lui ai formulé dans mon meilleur allemand ma demande, pleine d’entrain et un grand sourire aux lèvres. “Euh… si jamais nous on est la douane allemande…” Je n’ai rien perdu de ma bonne humeur et lui ai répondu : “Oui, ça j’avais vu (je n’ai pas mentionné la teinte vomi de son uniforme qui nous avait mis sur la piste). Mais où donc pourrions-nous alors trouver des (sans doute plus avenants) douaniers suisses ?” Elle nous a indiqué un autre poste 200 mètres plus loin et nous nous y sommes rendus. Effectivement, il y avait des Suisses, élégants dans leurs tenues bleu ciel. Un charmant jeune homme nous a accueillis, je lui ai répété ma tirade et son visage s’est fendu d’un large sourire. C’est la première fois que des pèlerins lui demandent un tampon et il a trouvé ça fantastique, encore plus en apprenant que nous étions suisses et que nous étions partis d’Allemagne pour des raisons qui nous dépassent également. Il était navré de ne plus avoir de jolis tampons, ceux-ci ayant été supprimés depuis Schengen. Il a malgré tout sorti une dizaine de tampons différents, un collègue est venu l’aider à choisir la plus belle couleur d’encre, il a fait plusieurs essais sur une feuille pour que nous choisissions notre préféré et s’est appliqué à les faire en appuyant bien pour que tout soit lisible. Il était encore plus hilare quand il a tamponné la crédenciale de Logan et a vu la petite empreinte de patte en guise de signature.

Nous sommes repartis enchantés, après un échange extrêmement jovial et avec nos précieux tampons suisses en poche.