Pays mal plat

Nous avons déjeuné en compagnie des beaux-parents de la femme qui nous a accueillis hier. C’est en réalité eux qui tiennent ce petit établissement à pèlerins. C’est un couple à la retraite, très complices, l’oeil qui pétille. Ils sont vraiment rigolos et nous avons papoté près d’une heure à table en leur compagnie. Ils nous ont avoué recevoir presque un pèlerin par jour depuis 13 ans. Cette activité doit leur rapporter un petit revenu non négligeable en fin d’année. Nous nous demandons toutefois comment ça se fait que nous ne croisons personne s’il y a tant de monde en route.

Nous avons quitté le gîte peu après 9 heures et avons marché un moment dans la campagne avant de longer la rivière Murg sur plusieurs kilomètres. Le chemin en gravier s’est révélé très plaisant, ombragé et fréquenté par de nombreux promeneurs et joggeurs. La rivière était très peu profonde et Logan y a couru pendant un long moment. Nous l’avons ensuite quittée (la rivière, pas Logan) pour suivre un sentier qui montait sur les hauteurs par la forêt. Il a commencé à pleuvoir alors que nous nous trouvions dans les bois, abrités par les hautes branches qui interceptaient la grande majorité des gouttes. Comme la pluie n’avait pas cessé une fois que nous avons atteint l’orée de la forêt, nous avons couvert nos sacs et revêtu nos imperméables. Nous étions ainsi sûrs qu’il arrêterait rapidement de pleuvoir, ce qui a effectivement été le cas dès lors que nous avons mis un pied en dehors de la forêt.

Sainte Idda

A Fischingen, nous avons visité une église dédiée à Sainte Idda de Toggenburg, pauvre femme qui a survécu après que son odieux comte de mari l’a jetée par la fenêtre. C’est pourquoi elle guérit maintenant les pieds. Merci la religion. Ils en parlaient dans notre guide, mentionnant notamment qu’un trou dans la tombe de cette brave Idda est prévu pour que le visiteur y place ses pieds meurtris. Saint Idda les soigne alors dans toute sa bonté. Pas besoin de plus d’informations pour que nous décidions de visiter l’église !

Une fois à l’intérieur, j’ai été frappée par les nombreuses couleurs et les décorations très pimpantes, trouvant le lieu trop chargé et un peu kitsch mais néanmoins chaleureux et joli. Une ouverture sur la gauche permettait d’accéder à une chapelle colorée dans des teintes toutes différentes et dans laquelle se tenait une sorte d’exposition sur l’arche de Noé. J’ai failli attraper un fou rire en entrant tant c’était bizarre ! Il y avait une sorte de petit bassin avec un mannequin de femme habillé et plongé dans l’eau, noyé. Au-dessus de lui se trouvaient plein de tuyaux en plastique par lesquels coulait de l’eau. Des tubes lumineux clignotaient également et il y avait encore des panneaux routiers et des bouts de papier. J’ai trouvé ça juste curieux mais apparemment ça permettait au visiteur de comprendre et exprimer ce qui le noyait dans la vie de tous les jours. Il y avait encore d’autres ateliers, où l’on pouvait déposer une pierre dans un gros vase rempli d’eau pour oublier tous ses soucis, écrire une parole positive sur un bout de bois, des récits audio, etc. Il y avait une demi-douzaine de personnes visiblement très intéressées et impliquées donc j’ai tenté de dissimuler mon sourire amusé. Jusqu’à ce que je tombe sur la tombe de cette fameuse Sainte Idda de Toggenburg, podologue. Beaucoup de chichis autour de cette tombe, forcément, avec des dorures, des peintures, du marbre, etc. Et un trou dans le grillage puis dans la pierre avec un petit strapontin devant. J’aurais franchement rêvé glisser un pied dans la tombe de Sainte Idda, juste pour pouvoir dire “Ah ! J’ai un pied dans la tombe…”. Et puis ce n’est pas toujours qu’on met place ses petons dans un trou creusé exprès sous une pierre tombale. Malheureusement, le siège était occupé par un couple d’âge moyen qui paraissait croire plus au talent de guérisseuse d’Idda que moi. La femme, blonde, élégante, avait ses pieds dans la tombe et était soutenue par son conjoint, un homme un peu plus âgé avec des vêtements serrés qui moulaient ses pectoraux. Elle était larmoyante ; il avait l’air attristé et fronçait les sourcils d’inquiétude. Ils étaient déjà ainsi quand je suis rentrée et n’avaient pas bougé après cinq minutes. Je n’ai pas osé leur demander de se hâter car je voulais aussi avoir un pied dans la tombe, car il semblait vraiment que leur vie en dépendait. Ou alors c’est un gros canular et un petit malin lui avait chopé le pied, elle pleurait de douleur et ils étaient coincés là depuis deux jours, d’où l’air contrit du bonhomme qui avait proposé en riant à sa dulcinée d’essayer le truc rigolo. Mais je pense plutôt qu’elle devait vraiment avoir très mal aux pieds et je trouvais malvenu de la bousculer pour y planter aussi les miens qui n’ont presque plus de cloque…

A la diète

En repartant, nous commencions à avoir un peu faim et avons réalisé alors que nous avions mal calculé nos repas. Il ne nous restait assez à manger que pour un repas alors qu’il nous fallait dîner et souper sur nos réserves, peut-être même déjeuner. Nous avons passé en revue tout ce que nous possédions de comestible, laissant de côté Logan et ses croquettes pour le moment, et avons convenu de nos maigres repas. C’est alors que nous sommes passés devant une ferme qui vendait des framboises. Nous n’avons pas hésité une seule seconde et avons acheté une barquette d’excellentes et énormes framboises. Cela a complété notre dîner et nous a permis de garder une boîte de maïs pour le soir.

Hörnli

Nous avons dîné à Au, dernier village avant l’ascension du Hörnli. Il s’agit du premier col que nous passons depuis notre départ de Nuremberg, à 1133 mètres d’altitude, et de notre première étape avec un dénivelé conséquent. Le ventre presque plein, nous avons repris la route et sommes arrivés à un croisement. Le chemin de randonnée qui menait aussi au Hörnli continuait sur la route tandis que le chemin de Saint-Jacques nous faisait gravir des marches sur la droite. Nous avons pensé que le chemin de randonnée normal faisait peut-être un détour par des villages que nous n’avions pas besoin de traverser et avons gravi les marches. Une fois en-haut, d’autres escaliers montaient sur la gauche et le chemin continuait tout droit. Pas d’indications, nous avons continué tout droit. Au fur et à mesure que nous avancions, la trace s’affinait. Après quelques centaines de mètres, nous passions dans des hautes herbes et des framboisiers bien épineux nous lacéraient les mollets. Nous avons continué encore un peu, jusqu’à ce que des troncs d’arbres se trouvent en travers du sentier et qu’il nous soit impossible de distinguer une direction derrière eux. Pascal a proposé de faire demi-tour, car même si seulement une personne par jour passait ici, le chemin serait plus marqué. Nous sommes revenus en arrière, offrant nos jambes une seconde fois aux framboisiers et regrettant ne pas avoir mis nos pieds dans la tombe de Sainte Idda, et avons décidé d’emprunter la volée de marches. C’était la bonne direction. En gros, le chemin de randonnée devait contourner la colline et mener progressivement à son sommet en tournant autour, tandis que le chemin de Saint-Jacques conduit directement en haut. C’était raide ! Avec les sacs-à-dos, les montées se font vite sentir dans les cuisses et nous avons progressé avec un peu de peine parfois.

Nous avons rejoint le chemin de randonnée au sommet alors que nous sortions de la forêt et avons continué de grimper au milieu de prés. Nous avons alors quitté la Thurgovie pour nous trouver dans le canton de Saint-Gall. Le sentier s’enfonçait ensuite à nouveau dans les bois, en terre zurichoise cette fois, et un sombre idiot a eu l’agréable idée de terminer l’ascension par des marches très hautes. Pas juste une ou deux pour faire chauffer les cuisses, non, des dizaines et des dizaines de marches super hautes. Trop hautes. Trop nombreuses. Fieffé connard !

C’est donc en sueur que nous sommes parvenus au sommet du Hörnli, lieu où il n’y a rien du tout. Une petite buvette qui fermait quand nous arrivions, quelques bancs et une immense antenne. Ah, et un panneau qui nous expliquait qu’il s’agit du point de la triangulation fédérale de 1er ordre. Comme ça vous êtes aussi au courant. La vue n’est pas non plus incroyable, c’était bien plus joli à certains endroits pendant la montée. Comme vous pouvez le constater, nous vous recommandons vivement la visite, surtout si vous êtes passionnés de points de triangulation.

Nous sommes redescendus par un chemin très raide avec plein de cailloux ronds qui roulaient sous les pieds. C’était franchement dangereux par moments et j’allais à deux à l’heure, craignant de blesser à nouveau ma cheville ou y laisser un genou.

A mi-distance nous avons traversé une ferme qui elle aussi vendait des produits dans un petit cabanon en libre-service. Nous en avons profité pour acheter des cervelas, de la viande séchée des Grisons de Zurich et des saucisses. Au moins étions-nous alors sûrs d’avoir assez à manger ce soir !

Steg

Encore une demi-heure de marche, la descente est devenue moins périlleuse, et nous avons rejoint la ferme qui nous héberge ce soir. Nous avons choisi de dormir sur la paille, d’une part pour diminuer nos dépenses bien au-delà de notre budget depuis le début du voyage, d’autre part pour vivre une expérience un peu différente.

Nous avons été reçus par une femme dont je n’ai pas compris la moindre parole. Elle nous a conduits dans la grange, immense, et nous a montré notre paillasse. Un joli coin de foin sur lequel nous avons déposé draps et coussins qui sont fournis. Je n’ai encore jamais dormi dans une chambre aussi grande !

Pascal s’est amusé à appuyer sur le klaxon en caoutchouc du tracteur garé devant notre paillasse alors que nous nous installions. Le fermier a interprété cela comme une invitation à la discussion et est venu papoter un moment. Il parlait fort heureusement plus lentement que son épouse, faisant un effort apprécié pour que je comprenne ce qu’il disait. C’est un homme d’une cinquantaine d’années, maigre comme un clou, une petite moustache, un regard lumineux, souriant. Il dégage énormément de sympathie et semble avoir beaucoup d’humour. Malgré cela, je me demande s’il est heureux et j’avoue qu’il m’a fait un peu mal au coeur. Il nous a parlé de son métier de paysan comme d’un hobby à 100%, ajoutant que le reste du temps était consacré à l’entretien de la maison. Remplacer les fenêtres, refaire la salle-de-bains, réparer la porte de la grange… Il n’a pas les moyens d’engager des professionnels et fait donc tout même. Il a poussé ses quatre enfants à faire des études pour ne pas suivre sa voie, ce qui signifie que tout ce qu’il a construit et entrepris sera réduit à néant quand viendra l’âge de la retraite. Il nous a parlé avec des étoiles dans les yeux des deux fois où il a emmené sa famille en vacances à Adelboden. J’étais mal à l’aise de lui parler de nos trois mois de voyage…