Bilan de la nuit sur le foin : catastrophique !
Je ne dors d’habitude pas beaucoup. Là, vu l’absence de lumière dans la grange, nous avons été vers 9 heures au lit. J’ai lu un petit moment puis ai senti une vague sensation de sommeil. Ayant réalisé qu’il serait dur de m’endormir, j’ai profité de cet instant pour éteindre ma lampe frontale, fermer les yeux et essayer de m’assoupir. La paille n’était pas du tout régulière et un énorme trou se situait à la hauteur de mes fesses. Par endroits c’était très dur et à d’autres très mou, compliquant la recherche d’une position confortable. Je me suis néanmoins endormie un moment, avant de me réveiller car j’étais happée par le trou derrière moi et partais en arrière. Je me suis tournée, action qui n’est pas évidente quand on est emballé dans un sac en soie et dans un sac de couchage, essayant de ne pas me retrouver avec le visage dans un des capuchons. Je me suis ensuite réveillée trois fois en sursaut car j’imaginais que des limaces venaient sur moi. Si vous n’avez pas encore remarqué cela, j’éprouve un profond dégoût pour ces êtres gluants qu’en aucun cas je ne voudrais toucher. Trois fois ce même cauchemar avant que je n’ouvre grand les yeux, observe bien toute la paille autour de moi et me convainque que je ne risque rien. Les limaces ne sont plus venues me hanter.
Cela n’a pas été le cas des moustiques, dont le “zzzzziiii” occasionnel me faisait à chaque fois couvrir un peu plus mon visage sous le drap en soie. L’anti-moustique que nous avions vaporisé un peu partout ne faisait visiblement pas effet. Au final, je me suis retrouvée avec la tête entièrement emballée et protégée des insectes, mais je me suis réveillée à nouveau en sursaut car j’avais rêvé que j’étouffais.
J’ai retiré le drap en soie de ma tête, me suis allongée sur le dos, ce qui me semblait être la position la moins inconfortable. Sauf qu’il faisait très froid et que trop d’air s’infiltrait dans mon sac quand j’étais sur le dos, donc je me suis remise sur le côté. J’ai guigné l’heure à ce moment-là, espérant pouvoir bientôt me lever et mettre fin à ce calvaire. 00h26. Quoi ?! J’ai poussé un long soupir et ai tâché de me rendormir. Je me réveillais sans cesse à cause d’une nouvelle douleur au dos, dans les hanches, à la nuque, etc. Je voyais que Pascal était aussi agité à côté, bien qu’il ne se soit pas réveillé aussi souvent.
Logan a ensuite sauté sur la paille pour lécher le visage de Pascal. Elle s’agite d’habitude vers 6h30, juste avant le réveil, et j’étais enchantée de la voir. Enfin c’était terminé ! En fait non. C’était 2h34. 2h34. Nous devions encore rester là pendant quatre heures ! Nous avons repoussé Logan, avons demandé à l’autre s’il lui restait un endroit non endolori, avons soupiré longuement quand nous avons répondu non, nous sommes souhaité bonne chance et avons fermé les yeux.
Vers 5h30 nous étions à nouveau les deux éveillés car le fermier sortait les chèvres. Pascal avait tant mal à la nuque qu’il a posé sa tête sur une planche de bois et j’ai enfin trouvé une position plus ou moins agréable sur le ventre. Nous avons ainsi pu dormir confortablement pendant une petite heure, jusqu’à ce que le réveil sonne, libérateur.
Mes premiers mots en me levant ont été : “Quelle merde !”
Nous avons fait nos sacs et quitté la ferme, plus fatigués qu’à notre arrivée hier soir. Petite halte à la boulangerie du village pour acheter du déjeuner et la machine était lancée.
Si le premier jour en Suisse ne nous a pas semblé bien différent de ceux en Allemagne, les paysages d’hier et aujourd’hui se révèlent radicalement différents. Les montagnes se dessinent de toute part à l’horizon, les vastes forêts et champs de maïs ou de blé ont laissé leur place à des prés d’un vert lumineux sur lesquels paissent vaches et moutons, des géraniums ornent les balcons, le plat est une notion inconnue. Des décors de carte postale qui nous rappellent à tout moment que nous sommes bien en terre helvétique.
Nous avons marché presque toute la journée dans ces beaux paysages, par moments dans des forêts où il faisait soudainement très sombre mais dont la fraîcheur s’avérait agréable, traversant régulièrement des petits villages. L’école a repris aujourd’hui et de nombreux enfants jouaient dans les cours de récréation, donnant vie à ces villages d’habitude silencieux.
En fin de matinée, nous bénéficions d’une sublime vue sur le lac de Zurich. Nous n’apercevions pas encore Rapperswil mais pouvions toutefois estimer le chemin restant à parcourir. Nous sommes ensuite redescendus sur Jona par une forêt avant de rejoindre la ville. Rapperswil et Jona ont fusionné il y a quelques années et les deux villes sont collées, si bien que nous n’avons pas su quand nous sommes parvenus à Rapperswil. La ville est dominée par un château et une église et s’avance dans le lac de Zurich. Le centre historique est très beau et c’est là que se situe notre gîte. Il s’agit d’un hébergement pour pèlerins à l’image de ceux qu’on trouve en France. Un dortoir avec une quinzaine de lits, une cuisine à la disposition des pèlerins, quelques douches et toilettes ainsi qu’un petit coin pour se recueillir. Nous avons été accueillis par un couple d’hospitaliers, Liliane et Thomas. Les hospitaliers sont des personnes qui travaillent bénévolement dans un gîte et en assurent le bon fonctionnement. Il s’agit dans la majorité des cas de pèlerins désireux de rendre un peu de ce qu’ils ont reçu en marchant. Une quarantaine d’hospitaliers se relaient ainsi dans cet hébergement tout au long de l’année.
Liliane et Thomas sont retraités et habitent à un quart d’heure de Rapperswil. Ils marchent depuis qu’ils ont cessé de travailler, toujours sur les chemins de Saint-Jacques. Ils se sont rendus plusieurs fois à Compostelle en empruntant à chaque fois des voies différentes et nous voyions que repartir les démangeait.
Annette était aussi présente, pèlerine d’Ulm qui marche jusqu’à Einsiedeln. Nous avions aperçu à plusieurs reprises son nom dans les livres d’or des églises depuis Ulm et étions dans la même ferme hier soir. Elle avait néanmoins eu le bon sens de dormir dans une chambre et non pas le foin, ce qui fait que nous ne l’avions pas croisée. Elle cumule deux emplois à 50% : enseignante et responsable des services funéraires pour les personnes athées ou ne souhaitant pas une cérémonie religieuse. C’est la première fois qu’elle entreprend une marche de deux semaines, souhaitant se détachant de son travail associé à la mort pour se consacrer pleinement à la vie.
Pascal et moi avions prévu de cuisiner des pâtes pour ce soir et emporter le surplus pour le dîner de demain. Nous avons proposé aux hospitaliers de se joindre à nous. Ils ont accepté avec plaisir mais nous ont informé qu’ils sont vegan. Ils ne mangent ainsi pas de viande ou de poisson, mais pas non plus de produits laitiers, oeufs, miel, etc. Nous avons ainsi changé nos plans et avons décidé de faire de la semoule de blé avec une ratatouille. Nous rêvions depuis deux jours de framboises avec de la crème double mais nous nous sommes dit que ce ne serait pas très sympa de s’empiffrer devant eux. Nous avons alors choisi un melon comme accompagnement et avons pleuré un peu dans le magasin. C’est un peu choqués que nous avons réalisé ensuite qu’il n’y avait pas de crème double et que dans tous les cas notre dessert tombait à l’eau. Comment est-ce possible de vivre sans crème double ? Les Saint-Gallois doivent être une peuplade très déprimée.
Annette était partie nager quand nous avions eu l’idée d’inviter nos hôtes à manger, aussi n’avait-elle pas été conviée. Quand nous sommes revenus, elle réchauffait un risotto aux champignons et s'apprêtait à souper seule. Nous lui avons alors proposé de se joindre à nous et avons cuisiné en discutant tous les cinq. Pascal, elle et moi avons mangé son risotto en entrée tandis que Liliane et Thomas mangeaient du melon, puis nous avons mangé ensemble notre sorte de couscous. C’était assez réussi et tout le monde a paru apprécier. Dommage qu’il n’y ait pas eu de framboises et de crème double au dessert…
La soirée que nous avons passée ensemble est tout simplement la plus belle depuis le début de notre voyage. Nous sommes restés des heures à table et personne ne semblait vouloir que cela ne s’arrête. A chaque fois que la discussion s’estompait, quelqu’un la relançait, ne profitant pas de l’occasion pour lancer un “Bon ! la vaisselle maintenant !” définitif. Nous avons beaucoup parlé de marche et de voyage, forcément. Annette était un peu plus discrète mais paraissait passionnée par nos précédentes expériences. Je ne serais pas surprise qu’elle continue son voyage dans quelques mois.