Chez les moines zen

J’ai très bien dormi. Pascal un peu moins car il a eu froid toute la nuit et n’a pensé que vers 5 heures à mettre son duvet.

Annette prenait la route quand nous nous levions, pour son dernier jour de marche, et nous avons mangé les pains laissés là par les pèlerins d’hier. Nous avons ensuite quitté Rapperswil par un immense pont en bois, long d’au moins un kilomètre. Ce pont avait existé il y a plusieurs siècles avant d’être détruit. Il a été reconstruit en 2001 pour permettre aux piétons d’emprunter un chemin plus agréable que le trottoir du pont routier et ferroviaire. C’était ainsi très plaisant et le soleil qui se levait sur le lac offrait un spectacle de toute beauté.

Pfäffikon

Nous avons traversé le lac et longé un moment les voies de chemins de fer jusqu’à Pfäffikon où nous avons fait une pause et planifié les prochaines étapes. Nous hésitions entre terminer l’étape de demain à Schwyz ou Brunnen et notre choix s’est finalement porté sur Brunnen, une heure plus loin. Nous devons rentrer pour un mariage samedi et devions calculer les étapes pour pouvoir rallier aisément le chemin dimanche matin. Brunnen, Stans puis Sachseln sont nos trois prochaines destinations. Seul hic, il n’y a qu’un hébergement à Brunnen qui accepte les chiens et c’est une ferme. Couchettes sur la paille… Nous étions catégoriques hier : plus jamais ! Nous avions eu trop mal à la nuque, j’avais attrapé un peu froid et ma cheville me faisait de nouveau mal car je n’avais pas trouvé de position convenable. Plus jamais. Et hier soir à Rapperswil, Liliane et Thomas nous ont dit qu’ils avaient déjà testé une fois le foin et avaient très bien dormi. Ils nous avaient conseillé de réessayer dans une meilleure ferme. Bon, ben voilà. Nous allons réessayer.

Ascension

A partir de Pfäffikon, le chemin montait d’environ 500 mètres en moins de 5 kilomètres jusqu’au col de l’Etzel à 950 mètres d’altitude. Le premier tronçon était horrible, avec de nouveau des marches hautes. Je ne sais pas qui s’est en premier dit que c’était une bonne idée d’aménager les montées en escaliers, puis est allé partager son invention à tous ses potes responsables d’autres chemins mal plats, mais cet homme est un abruti. Si vous voulez avoir un aperçu de ce que cela fait, prenez un sac-à-dos rempli avec 13 kilos et montez une dizaine d’étages deux à deux. Vous allez vite comprendre que le monsieur susmentionné est un idiot et je ne vous donne pas plus de deux étages pour l’insulter.

La vue au sommet de ces escaliers de malheur en valait heureusement la peine, bien que cela ne m’ait pas rendue plus clémente. Nous avons ensuite avancé un moment dans des champs, où Logan s’est frottée contre un enclos électrifié. Elle a bondi en criant et est passée de l’autre côté de la clôture, dans le champ. Nous avons réussi à la calmer et la faire revenir, puis j’ai enlevé mon sac et ai enjambé l’enclos pour la porter et la tendre à Pascal. Le courant était vraiment minime donc elle a eu plus de peur que de mal. Je pense par contre qu’elle n’a pas encore compris que la douleur vient des clôtures, car ce n’est pas la première fois qu’elle se fait avoir et elle ne semble pas avoir retenu la leçon. Elle se souvient du lieu où cela s’est produit mais n’associe pas cela à toutes les barrières.

La montée était ensuite toujours raide mais bien plus plaisante, puisque le chemin passait dans une forêt sans marches. Des centaines de racines s’entremêlaient, créant un véritable labyrinthe et offrant de très bons appuis. Nous sommes assez rapidement parvenus à un très joli couvert où nous avons fait une petite halte. Nous étions censés passer ensuite devant la fontaine Saint Meinrad mais nous ne l’avons pas vue. D’après les informations dont nous disposions, elle doit se trouver juste au bord du chemin. Le mystère reste entier, comme pour le monastère de Christgarten que nous n’avions pas vu en Allemagne. Dans les deux cas, nous étions attentifs et cherchions précisément ces monuments. Nous sommes sûrement très mauvais. Meinrad était un ermite qui vivait dans la région au 9e siècle. C’est en son honneur qu’ont été érigés l’hypothétique fontaine et le couvent d’Einsiedeln. Nous espérions au moins entrevoir le couvent en fin d’après-midi…

Nous sommes ensuite parvenus au col de l’Etzel qui offre un panorama époustouflant sur les Alpes. Une vue à 360° imprenable. Des couleurs franches et lumineuses, un soleil de plomb, des vaches qui ajoutent encore une pointe d’helvétisme au décor. Annette repartait quand nous sommes arrivés au sommet. Elle était autant éblouie que nous par la beauté du décor.

Teufelsbrücke

Nous avons décidé de ne pas faire de halte à cet endroit. Il nous restait un peu plus de 7 kilomètres jusqu’à notre destination. Le chemin descendait assez sèchement sur 1 kilomètre jusqu’à un pont situé à une altitude de 100 mètres inférieure au col, avant de remonter presque tout cela en 3 kilomètres et enfin redescendre d’une cinquantaine de mètres pour parvenir à Einsiedeln. Nous avons marché sur une route jusqu’au pont où Annette s’était arrêtée pour dîner. Le Teufelsbrücke (Pont du Diable) est un pont en pierre couvert au-dessus de la Sihl, datant du 17e siècle. Deux faits absolument croustillants nous ont marqués lors de la traversée : l’hommage à Paracelse et la statue de Saint Népomucène au milieu du pont. Notre guide parle de Paracelse comme s’il s’agissait de Brad Pitt. Nous sommes sans doute incultes car son nom ne nous évoquait rien… Apparemment c’était un célèbre médecin né là en 1493. Après réflexion, nous avons réalisé qu’il s’appelle presque comme un Paracétamol, donc effectivement il est peut-être important. Quant à Saint Népomucène, il s’agit du patron des ponts et il porte un des noms les plus ridicules au monde. Pardon à tous les Népomucène qui nous lisent…

Au milieu des alpages

Nous avons ensuite marché dans des alpages, en plein soleil, et Logan tirait la langue. Arrivés au sommet, nous nous sommes posés à l’ombre d’un cabanon en bois et avons mangé les restes de ratatouille et de semoule d’hier. Les paysages étaient encore plus impressionnants depuis là et nous nous sommes délectés de les admirer pendant une heure. Ce n’est qu’au moment où nous allions partir qu’un paysan s’est arrêté à notre hauteur pour nous signaler qu’il y avait un banc de l’autre côté du cabanon… A noter pour la prochaine fois : marcher trois mètres en plus pour découvrir les lieux.

Nous avons repris la route pour les 3 petits kilomètres qu’il nous restait à parcourir. Nous avons passé devant la chapelle Saint Gangolf, qui n’est autre que le patron des maris trompés. D’après notre guide, nous sommes également passés devant l’emplacement de l’ancienne chapelle “du gibet” où les condamnés à mort recevaient leur dernière bénédiction. Mais bon, déjà que nous ne sommes pas capables de trouver un monument en parfait état, comment aurions-nous pu repérer une chapelle détruite il y a plus de deux siècles ?

Logan a joué avec un chien juste avant que nous n’arrivions en ville et il semble qu’elle se soit fait mal à une patte. Par moments, elle la garde en-haut et ne la pose pas, mais elle ne paraît pas très affectée ou souffrante. Nous verrons bien comment elle se porte après une nuit de repos.

Eremita Zen Haus

Notre hébergement se trouve à l’entrée d’Einsiedeln. Nous ne pouvions pas aller au couvent à cause de Logan et avons trouvé ce gîte, le Eremita Zen Haus. Dans la petite description du lieu il est indiqué : “Zen Mönch”. Nous avions lu plusieurs fois cette ligne ces derniers jours, ne trouvant pas ce qui clochait. Nous pensions qu’il y aurait dix moines. Nous avions brièvement consulté leur site Internet et vu qu’il y avait pas mal de photos plutôt bouddhistes. Ce n’est que ce matin que nous avons réalisé que le “zen” dans “Eremita Zen Haus” signifiait qu’il s’agissait d’une maison zen et pas de la demeure d’un Haut-Valaisan. Mais nous n’avions toujours pas tilté avant d’arriver qu’il n’y aurait pas dix moines, mais un seul moine zen. Pas “zehn Mönche” mais “zen Mönch”... Nous pensions arriver chez dix frères franciscains, nous nous retrouvions chez un moine bouddhiste tout seul. C’est donc Marcel le moine zen qui nous a accueillis. Il nous a présenté les lieux et expliqué que nous étions ici chez nous et que nous pouvions tout utiliser à notre guise. Il nous a indiqué qu’il devrait s’absenter mais qu’un couple serait là à partir de 17 heures et que nous pouvions souper ensemble. Nous n’étions pas très à l’aise en sa compagnie, même s’il avait l’air particulièrement aimable.

Couvent

Nous sommes allés visiter l’église d’Einsiedeln. Les bâtiments extérieurs sont immenses et très sobres. Une fois entrés dans l’église, je suis restée scotchée. L’intérieur est encore plus grand que l’extérieur, si cela est possible. Je ne m’attendais pas à pénétrer dans une telle cathédrale. Mais ce qui m’a surtout frappée, c’est la laideur des décors. Cet avis n’engage bien sûr que moi et je ne conçois pas mais je respecte qu’on puisse apprécier ce style. Des peintures au plafond chargées, les colonnes peintes dans un rose triste avec des dorures, des autels baroques un peu partout, en marbre, avec des reliquaires. Nous nous serions crus dans un manège de fête foraine sur lequel on aurait greffé des fresques bibliques. Le contraste avec l’austérité de l’extérieur m’a choquée. C’était épouvantable, d’un kitsch inouï.

La célébrité des lieux, c’est la Vierge Noire dont nous avions vu une réplique il y a quelques semaines en Allemagne. En réalité, la Vierge n’était au départ pas du tout noire, mais a été salie par la suie des cierges. Une vingtaine de personnes se recueillaient solennellement devant la Madone, ainsi ai-je contenu mes cris épouvantés par tant de dorure et de tournicotons marbrés.

Nous avions lu que les vêpres chantées par les frères bénédictins se déroulaient à 16h30 dans l’église. Nous avons décidé d’attendre un peu pour y assister, mais avions convenu de ne pas rester trop longtemps si ce n’était pas à notre goût et tant pis si cela choquait les fidèles qui nous verraient quitter la cérémonie. Nous nous sommes assis en retrait et une vingtaine de moines sont entrés. Ils ont pris place de chaque côté de l’autel, derrière les grilles séparant l’espace visitable du choeur. Nous les apercevions à peine et les entendions aussi peu. Ils ont marmonné plusieurs chansons, toujours sur la même mélodie monocorde. Après une dizaine de minutes, nous avons déterminé qu’il s’agissait de latin, comprenant “Christus” de temps à autre. Nous nous sommes levés discrètement et avons quitté l’église.

J’ai trouvé cette situation un peu déroutante. Pour moi, la vie monacale consiste en une vie de dépouillement et de simplicité. Comment trouver la sérénité et rechercher l’essentiel dans un lieu si chargé et plus luxueux que certains pays tout entiers ? Il m’est déjà arrivé d’assister à des chants grégoriens dans des monastères et la magie opère généralement dès les premières notes. Mais le cadre était toujours très intimiste et apaisant. Cette fois, la distance avec les moines et l’immensité du lieu m’ont empêchée d’apprécier véritablement l’instant.

Eremita Zen Haus, deuxième partie

Nous sommes rentrés au gîte et le couple dont nous avait parlé Marcel était présent. Ils viennent du canton de Glaris et effectuent un séminaire d’une semaine durant lequel ils ne dorment pas et méditent beaucoup. Ils en étaient à leur cinquième jour et n’avaient absolument pas l’air fatigués. Nous avons soupé ensemble et avons prolongé la soirée autour d’une bière dans le jardin. En lisant ces quelques lignes, vous imaginez sans doute un couple de hippies complètement allumés. Il n’en était rien ! Ils sont au contraire tout à fait normaux, drôles et très intelligents. Lui enseigne l’informatique dans une Haute Ecole, elle est thérapeute artistique (je ne sais pas comment s’appelle ce métier, il s’agit par exemple d’utiliser la peinture comme façon d’extérioriser ses problèmes et son ressenti). Ils suivent les principes zen dans le but d’aller à l’essentiel, comprendre le sens de leur existence et d’eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’une religion mais plutôt d’une façon d’être et de penser. Pas de règles, de définition du bien et du mal, du juste et du faux. Chacun doit trouver sa propre vérité dans un cheminement qui prend toute une vie. Ils méditent quotidiennement et semblent être des personnes apaisées.

Ils nous ont fait part d’un échange entre un maître et un élève qui résume à lui seul toute leur philosophie :

- “Dès qu’il y a une pensée, il y a un péché.
- Donc si je ne pense pas, je ne peux pas être dans le péché ?
- Matterhorn”

Je précise, c'est bien selon eux que cela reflète toute leur philosophie. Nous, nous sommes un peu perplexes encore…

La maison dans laquelle nous logeons est l’exemple parfait de leur façon de penser, mis à part le Cervin pour l’instant : toutes les portes sont ouvertes et n’importe qui pourrait venir pour cuisiner, méditer un moment, entretenir le jardin ou utiliser le lave-linge. Il n’y a d’ailleurs pas de règles dans la maison, ni de prix fixé pour l’hébergement. A nous de savoir si nous souhaitons payer et combien.

C’était une rencontre inattendue et particulièrement enrichissante. Ces deux dernières soirées compensent bien les deux semaines de solitude qui les ont précédées.