Paysages masqués par les nuages

Comme le couple qui nous hébergeait se levait tôt pour se rendre au travail, nous avions convenu de déjeuner ensemble à 6h30. Cela ne nous dérange pas en réalité car nous pouvons ainsi partir plus tôt et prendre notre temps en chemin. Arriver plus vite l’après-midi nous permet de plus de profiter de la fin de journée en lisant, visitant, triant les photos, etc. Nous avons donc copieusement déjeuné ensemble sur la terrasse qui offre une superbe vue sur le lac de Sarnen. Nous étions en route vers 7h15 et avons longé le lac puis un cours d’eau pendant une bonne demi-heure avant de rejoindre Giswil.

Météo capricieuse

Le ciel était très encombré et la pluie s’est abattue sur nous après quelques kilomètres seulement. Si nous n’avons au final été rincés que par quelques averses pendant la journée, les nuages très bas et épais n’ont jamais laissé filtrer le moindre rayon de soleil. L’étape était annoncée comme magnifique, notamment la vallée du Lungenersee, considérée comme la plus belle de tout le chemin de Saint-Jacques en Suisse, et la vue imprenable depuis le col du Brünig. Nous n’avons au final pu profiter d’aucun de ces points de vue et nous nous sommes dit que nous reviendrons une fois en voiture ou en train pour admirer ces paysages.

Lungenersee

Après Giswil, le chemin montait dans une forêt et sous le viaduc de la route cantonale pour nous conduire 200 mètres plus haut à Kaiserstuhl, au bord du lac de Lungern. L’ascension s’est révélée assez périlleuse car des pierres rondes tapissaient le sentier, devenu alors très glissant avec les précipitations. Nous sommes toutefois parvenus au sommet sans encombre et avons marqué une pause à Kaiserstuhl avant de marcher pendant une heure environ sur la rive du lac de Lungern. C’était alors plus plat, bien qu’un peu vallonné, pour le plus grand bonheur de nos gambettes. La baignade doit être appréciée car l’accès à l’eau a été entièrement aménagé et de nombreux jeux et toboggans ont été installés de part et d’autre du lac.

Nous avons forcément visité la chapelle de Bürglen dédiée à Saint Antoine de Padoue parce que Pascal et moi sommes fans de ce saint au visage tendre que caresse le petit Jésus. Il a l’air tellement gentil ! Enfin, normalement… C’est un saint qui a la cote car on le retrouve dans la majorité des églises et d’habitude il a vraiment une bonne tête. Mais dans la chapelle de Bürglen, un tableau le fait ressembler à un vieux fou et une statue l’enlaidit énormément… Dommage pour une chapelle qui lui est destinée !

Arrivés à Lungern, nous avons remarqué un distributeur de lait au bord de la route. Un distributeur de lait ! Nous avons inséré quelques piécettes et avons rempli à demi une de nos bouteilles. C’est du lait bio de la région, on ne peut plus frais, et il était vraiment excellent. Crémeux, laissant ce petit goût d’étable quelques minutes après avoir bu, un peu plus épais aussi. Un régal ! Cela nous a redonné toutes les forces nécessaires pour nous attaquer à l’ascension du col du Brünig.

Col du Brünig

Nous avons commencé à monter dans une forêt, sur une ancienne voie romaine. Les escaliers taillés à même la roche témoignent de ce lointain passé et il est amusant de penser qu’il y a deux millénaires des gens en jupettes empruntaient déjà cette voie. La magie du lieu n’a malheureusement pas opéré longtemps, car le sol était extrêmement glissant et nous avons bien failli tomber plusieurs fois. J’avais en plus de la buée sur les lunettes jusqu’à l’arrivée au col. J’ai hésité à les enlever même si je ne verrais plus rien, mais j’ai réalisé que si je les laissais je verrais tout autant mais je n’aurais pas besoin de les porter. Du coup je les ai laissées et j’ai râlé un peu.

La pente n’était pas trop raide, mais néanmoins soutenue et continue. Pas de répit. Comme en plus la pluie recommençait à tomber, nous ne pouvions pas faire une halte en nous asseyant par terre. Nous avons profité d’un arbre déraciné plus ou moins sec au début de la montée pour nous arrêter quelques minutes, avant de reprendre l’ascension. La forêt était tout à fait superbe et aurait pu appartenir à un monde fantastique peuplé d’elfes et de farfadets.

Le chemin a pendant un moment suivi un chemin de croix dans cette belle forêt. Nous avions commencé à la cinquième station et cela semblait motivant car le sommet devait approcher. Sauf que les stations étaient séparées d’au moins un kilomètre et qu’en une heure de marche nous n’en avons vu que cinq… Je suppose que ceux qui suivent ce chemin de croix doivent prévoir une semaine de marche.

Le col du Brünig n’est pas très impressionnant puisqu’il se situe tout juste au dessus des 1000 mètres. Quant à la vue depuis là, nous ne pouvons en juger car les nuages étaient bien trop bas. Par contre, la forêt dans laquelle nous avons progressé ensuite était encore plus féérique que les précédentes. De la mousse d’un vert presque fluorescent recouvrait les arbres et les rochers et des milliers de feuilles tapissaient le sol tendre de la forêt. Cela doit être un endroit merveilleux pour organiser un pique-nique quand il fait beau !

Descente pénible

Nous avons traversé des alpages délimités par de ravissants murets en pierres avant de replonger dans la forêt pour entamer la descente jusqu’à Brienzwiler, 400 mètres en contrebas. Et quelle descente ! C’était raide, très glissant avec les rochers, les racines et les feuilles mortes et aucun replat ne permettait de relâcher un peu les muscles. C’était interminable et extrêmement pénible ! Mes orteils et mes genoux rouspétaient et rapidement moi aussi. Cela m’embêterait de me blesser…

La descente a de plus été marquée par les nombreux décollages et passages des F/A-18 de l’armée suisse, qui prenaient leur envol juste en dessous de nous. Le vacarme était tellement assourdissant que nous ne nous entendions plus pendant de longues secondes lorsqu’un avion passait. Cela m’a paru bien pire que le bruit des avions à Sion, sans doute que la vallée est plus encaissée et que nous étions les mieux placés pour en pâtir. Nous avons appris dans la soirée que l’un de ces avions a disparu… Vu le boucan qu’ils font, ça me semble improbable que personne n’ait rien entendu.

C’est soulagés et agacés que nous avons atteint Brienzwiler. Il était possible dès là de poursuivre la route à travers le musée à ciel ouvert de Ballenberg et regagner le chemin à Hofstetten, mais nous avons préféré suivre l’itinéraire officiel. Je pense que nous n’aurions pas pu uniquement traverser ce village-musée sans le visiter et nous serions arrivés très tard à Brienz. Nous nous sommes promis de revenir un jour visiter ce lieu en plus du lac de Lungern.

Brienz

Nous avons dîné dans un abribus et avons finalement atteint Brienz par un sentier en pente douce très plaisant, passant au milieu d’un centre équestre et d’une forêt peu dense. Nous dormons à l’auberge de jeunesse, seul hébergement dans notre budget de la ville. Elle se situe juste au bord du lac et est bien équipée. Un groupe d’une trentaine de pèlerins loge aussi ici. Ils sont allemands et portent tous la même croix en bois autour du cou, la même coquille sur leurs sacs-à-dos, le même sourire béat. Ils sont venus à pied depuis la gare visiblement, car ils semblaient tous propres et frais en arrivant. Ils ont fait une prière chantée en canons pour bénir le repas du soir, chant que nous avons entendu depuis l’autre bout de l’auberge. J’ignore comment ils font pour supporter ce genre de voyage en si grand groupe…