Arrivée en Valais

Les timides rayons du soleil ne réchauffaient pas encore la vallée et il faisait frais lorsque nous sommes parvenus à Kandersteg tôt ce matin. Tous les deux, nous avons regretté notre bêtise de n’avoir pas emmené de pull… Nous n’avons en réalité pas emporté grand chose : deux bouteilles d’eau, un pique-nique et l’appareil photos. Le retour à la maison hier soir nous a effectivement permis de laisser nos fidèles Yvon et Curdin au repos et de ménager nos articulations pour cette étape. Il s’agit sur le papier de la plus rude journée de tout notre voyage, avec plus de mille mètres de montée puis presque autant de descente en une vingtaine de kilomètres. Autant dire qu’avec les sacs, nous aurions un peu plus transpiré !

Cela nous faisait néanmoins bizarre de porter d’autres habits et de n’avoir qu’un petit pique-nique sur le dos. Comme en plus nous avons dormi à la maison, nous avions l’impression d’effectuer une petite randonnée du dimanche et non pas une étape cruciale de notre périple.

Nous avons débuté cette étape rapidement pour nous réchauffer, en marchant dans la vallée jusqu’au départ des cabines. A partir de là, le sentier montait sévèrement contre la falaise, nous faisant gagner environ 800 mètres de hauteur en une bonne heure. L’ascension ne nous a malgré tout pas paru si intense ; elle aurait été autrement plus rude avec les sacs-à-dos.

Du Jurassique au Valais

Le chemin était ensuite plus plat et nous a conduits dans une large vallée. Nous étions entourés de sommets rocheux, certains recouverts par des glaciers, comme si nous nous trouvions dans une arène immense. Une rivière chantonnait sur notre gauche. Les alpages, sans doute malmenés par les vents et les chutes de neige, semblaient secs et pelés. Ce décor sublime m’a fait penser aux films et documentaires sur les dinosaures. Un gentil diplodocus aurait tout à coup pu jaillir de derrière une butte et cela n’aurait pas du tout semblé incongru. Je dois avouer que j’ai même scruté un peu les environs à l’affût du moindre mouvement suspect. Mais à part Pascal, qui n’est pas tout à fait un dinosaure, personne ne remuait autour de moi…

Une borne sur le bas-côté nous annonçait ensuite notre entrée dans le canton du Valais. J’étais persuadée que cette frontière se trouverait plus proche du col et je ne m’étais pas préparée à ce changement brutal aussi tôt. D’accord, le terme “brutal” est peut-être légèrement exagéré. J’aurais bien aimé écrire que l’air nous a semblé tout de suite plus pur, que les paysages sont devenus bien plus remarquables, que les gens étaient alors plus courtois, que le chemin était beaucoup plus agréable et que les vaches paraissaient plus heureuses mais en réalité, sans la borne et les drapeaux dessinés sur un rocher nous n’aurions pas su que nous avions changé de canton… Bon, non loin de la frontière se trouvait un restaurant alors que les Bernois semblaient peu enclins à nourrir le promeneur. Et la carte qui proposait croûtes au fromage, raclettes et assiettes valaisannes nous aurait rapidement permis de nous situer. Nous avons d’ailleurs fait une halte sur la terrasse de cet établissement pour y manger une grosse part de tarte aux fruits et boire un verre. Sans hésitation, le gâteau se classe en première place de tous ceux que nous avons goûtés depuis Nuremberg !

Il y avait alors beaucoup de randonneurs qui marchaient entre les deux télécabines qui partent soit de Kandersteg soit de Leukerbad. Nous avons croisé plus de monde aujourd’hui que lors des trente premières étapes cumulées. Sans nos sacs, nous passions incognito parmis eux. Trois promeneurs se sont assis à notre table car la terrasse était pleine. Ils étaient assez âgés, très essoufflés et marchaient en tenues de ville : chemises, pantalons et mocassins. Ils nous ont demandé dans quelle direction nous allions et quand nous leur avons répondu ils ont pris un air très inquiet et nous ont prévenus : “Oh là ! C’est vraiment très très raide par là !” Nous leur avons souri et avons précisé que nous venions de Kandersteg, donc la plus grosse partie de l’ascension était déjà derrière nous. Ils ont ajouté : “Non mais c’est rien ça ! On vient de la faire en descente et c’était déjà tellement dur ! Franchement, bonne chance !” Nous pouvions voir une bonne partie du chemin contre la paroi en face et il ne semblait pas si rude. Nous savions qu’ensuite nous marcherions au bord d’un lac, même si cela ne signifie pas que c’est plat, comme nous l’avons appris à nos dépens. Nous avons donc repris la route pas trop inquiets.

Col de la Gemmi

Et nous avions raison, car le chemin montait effectivement de façon progressive contre une paroi avant de rejoindre le lac que nous avons longé plus ou moins à plat. Nous nous trouvions alors dans un environnement tout à fait différent du jurassique. Des cailloux à perte de vue, du gros rocher au gravillon. Même le lac avait la couleur de la pierre.

Une dernière ascension et nous sommes parvenus au col de la Gemmi. De là, nous avions une vue imprenable sur les fiers 4000 enneigés de l’autre côté de la vallée du Rhône. Le Cervin, le Weisshorn, les Mischabels… (C’est Pascal qui l’a dit, pour moi c’était des montagnes plus ou moins triangulaires.) La lumière était parfaite, pas un nuage pour ternir ce tableau. Nous avons fait une pause sur un banc face à ce superbe diaporama avant d’entamer la descente sur Leukerbad.

Descente sur Leukerbad

Si vous avez déjà été dans ce village, vous avez assurément remarqué les falaises qui le surplombent et l’entourent comme une armée de gardes du corps. Vous avez donc pu constater qu’il n’existe pas de petit sentier délicat et joliment arboré qui mène jusqu’au village. Le chemin a été taillé dans la falaise et ramène le promeneur niais 1000 mètres plus bas en une heure environ. Autrement dit, ça descend beaucoup. Il ne faut pas avoir le vertige et ne pas imaginer d’éboulements, mais à part ça ce n’est pas si terrible. En réalité, le chemin n’est pas trop raide et s’avère suffisamment large et régulier. Les parois à-pic tout autour forment un environnement unique et il est préférable de s’arrêter avant de lever les yeux vers le sommet pour ne pas trébucher tant il s’éloigne vite. A nouveau, nous étions satisfaits de ne pas porter trop de poids : nos genoux n’auraient absolument pas apprécié l’aventure !

Après environ un tiers de la descente, nous avons croisé un couple de septuagénaires qui gravissait péniblement les marches menant vers le haut. Ils avaient l’air exténués et nous ont demandé s’il restait moins d’une demi-heure. Nous avons échangé un regard avec Pascal et ne savions pas trop que répondre. Nous n’osions pas les décourager en leur apprenant que nous pensions qu’une heure ne suffirait peut-être pas, alors nous avons simplement répondu : “Oh ! Un peu plus sûrement…” Les pauvres, j’espère qu’ils sont arrivés au sommet !

Une fois à Leukerbad, nous avons regagné la gare des bus et y avons pique-niqué avant qu’un bus ne nous ramène en plaine. Nous dormons ce soir encore à la maison et reviendrons demain matin pour enfin rentrer à pied chez nous.

Finalement, cette étape s’est révélée bien plus aisée que nous l’avions imaginé. Nous avons très peu transpiré et avons avancé toute la journée à un bon rythme. Nous sentons que nous sommes en bonne forme physique et que nous pourrions facilement allonger les étapes. Après un mois de marche, c’est de bon augure pour la suite !