Chemin du vignoble

Nous avons acheté notre déjeuner dans une boulangerie non loin du studio que nous louions et avons mangé en marchant. Les croissants mous et sucrés, fourrés à la Nutella pour ma part, nous ont immédiatement rappelé que nous étions en Italie.

La vallée d’Aoste a la particularité d’être bilingue. Les noms des villages sonnent français : Saint Christophe, Châtillon, Cretaz. La plupart des panneaux routiers sont écrits en français, de même que les enseignes des restaurants et magasins. A Aoste, les panneaux annoncent “centre-ville”, “hôpitaux” ou “hôtel de ville”. Pourtant dans la rue tout le monde parle italien. Les commerces et la nourriture sont bien italiens aussi. Le contraste est amusant.

Chemin du vignoble

Nous avons quitté le centre historique par la porte Prétorienne avant de traverser un beau pont romain et rejoindre une route un peu en hauteur. Toute la journée, nous avons marché à flanc de coteau, sur le chemin du vignoble très ensoleillé. Le guide que nous possédons indiquait que le chemin serait très ombragé. Nous n’osons alors pas imaginer ce que ce sera lorsque ça ne sera pas ombragé, car nous avons peut-être marché une heure à l’ombre de toute la journée ! Nous avons suivi cette route jusqu’à Saint Christophe où nous avons rattrapé un couple de pèlerins allemands. Ils sont partis de Lausanne et n’iront pas jusqu’à Rome faute de temps. Ils semblaient fatigués et la femme boitait. Nous les avons rapidement semés et ne les reverrons probablement pas car ils n’allaient pas autant loin que nous ce soir.

Quart

Après Saint Christophe, nous avons marché au bord d’un bisse jusqu’à Quart. Le ruisseau était souvent enterré sous le chemin, parfois protégé d’une grille, rarement à découvert. Nous avons dépassé là un couple d’Italiens octogénaires et il s’en est fallu de peu pour que la dame ne tombe pas dans le bisse, pour une fois visible. Elle ne nous avait pas entendus et a sursauté et trébuché quand Pascal a lancé un “Buongiorno !” jovial en arrivant à sa hauteur.

Le guide mentionnait un monastère et un château à Quart et plusieurs panneaux disposés le long du bisse vantaient les richesses de ces deux monuments. Quelle n’a pas été notre déception lorsqu’en arrivant à la hauteur du monastère nous n’en avons pas vu la moindre pierre ! Une longue bâche verte, comme celles qui entourent parfois les courts de tennis, venait masquer le bâtiment et le préserver des regards curieux. Le château était fort heureusement accessible et visible. Les visites, bien que gratuites, n’étaient toutefois possible que durant l’après-midi, aussi nous sommes-nous contentés de contourner les bâtiments et de faire une pause devant une petite dépendance. Les Italiens nous ont rejoints un peu plus tard et nous avons discuté un peu. C’est la troisième fois qu’ils parcourent le tronçon italien de la Via Francigena et ils se sont rendus déjà huit fois à Compostelle par différentes voies. “Mais bon, ça c’était quand nous étions jeunes,” a précisé la femme. Mine de rien, à passé huitante piges ils sont à nouveau en route, donc ils pourraient sans problème retourner à Compostelle ou entreprendre un tour du Cambodge. Même s’ils font des étapes assez courtes, ils marchent bien et portent des sacs bien remplis. Une sacrée forme ! Ah, et leurs fils sont nés en Hollande si jamais. Cette information n’apporte pas grand chose au récit mais la femme nous l’a annoncée de la même manière, totalement hors contexte, donc je ne vois pas comment mieux la placer…

Rainer nous a dépassés alors que nous discutions avec les Italiens. Il a sûrement marché jusqu’à Châtillon ce soir, donc nous le reverrons probablement encore demain.

Nous avons suivi un autre bisse pendant quelques kilomètres et je n’ai pas résisté à l’envie d’y tremper mes pieds. L’eau était claire et limpide, magnifique et glacée. J’y ai laissé mes pieds une minute à peine, le temps de les rafraîchir, puis j’ai enfilé mes sandales et rangé mes baskets.

Pique-nique

A partir de Nus, nous avons cherché un endroit où pique-niquer. Nous avions alors quitté les bisses et nous progressions sur des petites routes secondaires en plein soleil. Il faisait très chaud et l’ombre se révélait anecdotique. Par chance, les rares arbres que nous voyions étaient souvent fruitiers et nous avons pu cueillir des figues succulentes. Pascal déteste les figues et j’ai pu toutes les manger moi. Pour le réconforter et pour qu’il n’attrape pas le scorbut, je lui ai néanmoins cueilli quelques mûres et framboises.

A défaut de banc, nous avons dîné sur les escaliers devant une maison. Il nous restait alors environ trois heures de marche et nous devions retrouver ma soeur Isabelle et Logan vers 16 heures à Châtillon. Nous étions dans les temps mais nous ne devions pas traîner non plus, c’est pourquoi nous sommes repartis aussitôt après avoir dîné.

Chambave beaucoup

La route, jusque là plutôt plate, faisait ensuite un peu les montagnes russes. Nous montions au sommet de collines pour traverser des villages tout à fait insignifiants, redescendions, puis remontions pour parvenir à une église annoncée depuis dix kilomètres et bien sûr fermée. Nous sommes finalement redescendus jusqu’à Chambave, où j’ai évidemment dit à Pascal : “Oh ! Chambave un peu avec cette chaleur dans cette réchion, pas toi ?”

Souvenirs délabrés

Il nous restait alors une grosse heure de marche et les montagnes russes se poursuivaient. Cette fois, ce n’était pas pour nous amener dans des villages insignifiants, mais plutôt dans des hameaux complètement abandonnés et en ruines. Nous passions devant des maisons dont les toits avaient disparu, qui ne se composaient parfois plus que de quelques murets en pierres. C’était d’une tristesse inouïe ! J’imaginais les hommes qui autrefois avaient sué en bâtissant ces murs ; aux femmes qui avaient vécu en ces lieux, les avaient décorés, avaient enfanté là ; aux enfants qui avaient couru dans ces alpages, allant cherchant le petit voisin pour jouer. Chacune de ces maisons avait été le chez-soi de plusieurs générations, la seule demeure de certaines vies. Un héritage délaissé, méprisé. Des souvenirs oubliés. Tout était délabré.

Le chemin qui serpentait entre ces villages éteints semblait lui aussi souffrir. Il était sec, poussiéreux. Les herbes qui l’entouraient étaient brûlées par le soleil. Seuls les criquets apportaient un peu de vie à ce désert. Et l’autoroute en contrebas, bien sûr, dont le bruit ne cessait jamais. Et puis il y avait aussi cette immense usine, cette carrière sur le versant opposé. Nous nous trouvions dans un écrin de splendide tristesse tout en étant spectateurs de la laideur de l’industrialisation. Le temps s’était arrêté sur les hauteurs délaissées où nous nous tenions au fur et à mesure que l’agitation s’emplifiait en plaine.

Châtillon

Nous avons finalement quitté ces décors tristes et arides et sommes parvenus au centre de Châtillon à 16h05. Fixer des rendez-vous quand nous marchons s’avère délicat car notre vitesse peut vite varier en fonction du dénivelé, de la chaleur, de la texture du sol ou de notre forme physique. Alors quand sur une étape de près de trente kilomètres nous arrivons au lieu de rendez-vous cinq minutes en retard seulement, ce n’est pas si mal ! Comme Isabelle n’était pas encore là, nous avons été à l’hôtel. Un tout petit établissement une étoile à la décoration quelque peu dépassée. J’ai fait promettre à Pascal que jamais il ne me proposerait des catelles vertes comme celles qui ornent le sol de la salle-de-bains. Nous avons déposé nos sacs, enfilé un t-shirt sec et sommes ressortis. Isabelle ne parvenait en fait pas à trouver l’hôtel. Il était annoncé à l’entrée de la ville, puis plus aucune indication mais pas d’hôtel en vue. Nous l’avons rejointe quelques rues plus loin et effectivement les panneaux indiquaient une direction très improbable. Nous avons pensé avec Pascal que l’office du tourisme ne voulait certainement pas que des voyageurs ne trouvent cet hôtel un peu douteux et les dirigeait vers un hébergement moins misérable…

Nous avons donc retrouvé ma petite soeur qui nous amenait Logan. Nous avons bu un verre et mangé un panini, puis Isabelle est rentrée. Nous aurions bien passé plus de temps avec elle mais elle devait être rentrée pour 19h30. Elle aura cependant eu le temps de réfléchir durant tout le trajet à ce qu’elle souhaite en échange de ce précieux service, donc je suis sûre qu’elle sera décemment remerciée dès notre retour.

Il aurait été préférable que Logan évite encore l’étape de demain mais cela n’arrangeait aucune de nos familles. Nous irons tranquillement et prendrons un bus ou un taxi si cela s’avère nécessaire. Malgré cela, nous sommes très heureux de la revoir et espérons que tout ira bien et qu’elle ne souffrira ni de sa patte ni de la chaleur. A partir de maintenant, nous sommes de nouveau “les deux jeunes avec le chien” !