Etape chargée d'histoire

Le déjeuner laissait un peu à désirer mais demeurait bien italien : biscottes, croissant tout mou au chocolat, un jus aux fruits indéterminés et à la couleur douteuse et un joghurt. Ce n’était pas du grand luxe mais cela nous a bien rempli l’estomac avant d’attaquer la journée.

Logan semblait en forme et motivée, pas du tout perturbée par ce nouveau changement de rythme. Elle ne boite pas et n’a pas l’air gênée par sa patte. Pour tout dire, nous sommes presque tentés de la laisser courir librement tant elle paraît en forme. Mais nous allons respecter à la lettre les conseils du vétérinaire et ne prendre aucun risque qui pourrait nuire à sa santé.

Arnad-le-Vieux

Nous avons longé la rivière jusqu’à Arnad. C’est un village que nous connaissons pour son lard blanc et nous avons été surpris de ne trouver aucune mention de cette spécialité. Il faut dire que le chemin nous a conduits dans de petites ruelles en nous faisant passer le plus loin possible du centre et des éventuels commerces. C’est pour l’instant une constante sur la Via Francigena et nous savons maintenant que nous devrons la quitter pour espérer acheter à manger ou trouver un restaurant. Quoi qu’il en soit, nous n’aurions jamais eu vent du lard d’Arnad si nous ne le connaissions pas déjà…

Presque toutes les maisons devant lesquelles nous sommes passés étaient gardées par des chiens. Tous sans exception aboyaient sur Logan pendant de longues minutes. Les habitants d’Arnad ont dû apprécier d’être réveillés de si bonne heure un dimanche matin et ont pu savoir précisément où nous nous trouvions au fur et à mesure que de nouveaux roquets tentaient de nous chasser. Heureusement, Logan ne répond généralement pas et nous avions la conscience tranquille.

A la sortie du village, nous avons visité une belle église romane. Elle était très basse de plafond et assez sombre mais demeurait sobre et accueillante. Il s’agit de plus d’un des premiers monuments religieux ouverts que nous voyons en Italie. Sans doute préparaient-ils la messe qui devait suivre. Un groupe d’une dizaine de pèlerins sortaient de l’église quand nous sommes arrivés et nous les avons rattrapés peu après. Ils devaient être anglais et faire partie d’un tour organisé. Nous nous sommes dit que nous ne pourrions jamais faire un voyage comme cela où il faut toujours attendre le plus lent et prendre chaque décision ensemble. Mais bon, il en faut pour tous les goûts !

Tous ces pèlerins…

Nous ne parvenions pas à dépasser tout le groupe et nous nous trouvions un peu coincés au milieu d’eux. Pour leur laisser prendre suffisamment d’avance, nous avons alors préféré faire une pause. Une petite place à l’ombre de grands arbres a tout de suite attiré notre attention et nous nous sommes assis sur de gros cailloux face à une fontaine. Il y avait des dizaines de cabanons en bois tout autour de nous, équipés comme des cantines ou des stands de marché. Ils étaient tous vides et déserts, mais certains contenaient des frigos, presque tous des branchements électriques et des robinets fonctionnels. Nous avons présumé qu’ils utilisent ce grand espace pour des foires ou des marchés, car ce serait un peu inutile d’avoir trente couverts pour les fêtes de famille…

Le groupe de pèlerins a décidé de faire une pause cent mètres plus loin au lieu de nous semer. Au moment où nous repartions et commencions à marcher rapidement pour les devancer, ils ont terminé leur pause et ont repris la route juste devant nous… Misérables ! Ils ont donc atteint le joli pont d’Echallod avant nous et tentaient de prendre des photos de groupe quand nous somme arrivés. Tous étaient alignés sur le pont et souriaient tandis que celle qu’ils n’aiment pas tenaient les appareils et tablettes de tout le monde et faisait trois-cents photos. Sauf que bien sûr, c’est celle qui n’est pas très douée avec la technologie et elle devait chercher où appuyer sur chaque nouvel appareil. Et puis il faut toujours prendre une photo de loin et une photo un peu plus zoomée au cas où. Nous sommes restés assez distants pendant tout ce temps pour éviter que tous les appareils photos ne nous arrivent dessus pour que celle qu’ils n’aiment pas puisse quand même se joindre à eux. De toute façon, je crois que je leur aurais poliment fait comprendre que je ne prendrais qu’une photo et qu’ils pouvaient se la passer par email ensuite… Nous avons du coup eu tout le temps de lire les panneaux explicatifs et avons été un peu déçus d’apprendre que ce pont d’apparence romaine ne date en réalité que de 300 ans. Il reste néanmoins très élégant et a été complètement restauré il y a quelques années suite à une inondation qui l’avait endommagé.

Nous avons ensuite marché sur une petite route dans une forêt, au pied de la montagne, et avons rapidement dépassé les plus lents du groupe. Les autres les attendaient plus loin et nous avons pris suffisamment d’avance pour ne plus les revoir de la journée. Le chemin longeait ensuite l’autoroute pendant une demi-heure. Les voitures et camions roulaient à quelques mètres de nous et il n’y avait pas du tout d’ombre. La température ne nous importunait pas car il était encore tôt et il ne faisait pas trop chaud, mais Logan tirait la langue comme s’il faisait 50° C.

Messe publique

C’est soulagés que nous avons atteint le village de Hône. Et puis rapidement nous nous sommes énervés. Un haut-parleur placé sur l’église diffusait dans la rue la messe en direct. Je trouve ça tout à fait intolérable ! Les personnes qui souhaitent assister à la cérémonie peuvent se rendre à l’église, mais ce n’est pas normal d’imposer cela à tous les passants. J’aimerais bien voir la réaction des gens si des musulmans en faisaient de même : on crierait au scandale et on dénoncerait aussitôt cet endoctrinement forcé. Je sais que si j’habitais dans ce village, je ne laisserais pas cela se passer ainsi et je diffuserais du métal pendant les heures de messe si les discussions ne menaient à rien…

Bard

Après Hône, nous avons traversé la rivière et sommes parvenus au village historique de Bard. Un énorme fort se dresse sur une colline au milieu de la vallée et le village est bâti sur le flanc de la montagne. Beaucoup de touristes déambulaient dans la rue principale et nous avons été pris plusieurs fois en photos alors que nous faisions une pause devant une maison importante. Le village est charmant, bien qu’un bon rafraîchissement ne lui ferait à mon avis pas de mal. A l’image de tous les villages traversés aujourd’hui et contrairement à hier, les maisons semblent bien entretenues, les rues sont propres et les pavés ne gondolent pas trop. Toutefois, il reste toujours des maisons, immeubles ou entreprises à l’abandon au milieu de tout cela et les façades sont souvent grises et ternes et mériteraient un peu de couleur. Des fleurs seraient aussi les bienvenues. C’est joli, mais on remarque assez vite qu’il y a une ombre au tableau.

Route des Gaules

Nous avons quitté Bard et avons marché quelques dizaines de mètres sur une ancienne voie romaine. La Route des Gaules avait été construite dans la vallée d’Aoste pour rejoindre celle du Rhône depuis l’Italie. Certains de ses tronçons sont encore visibles ou ont été mis au jour et celui que nous avons emprunté aujourd’hui a été taillé directement dans la roche. Les traces des chars sont encore visibles par endroits. Un arc aussi demeure étonnamment bien conservé et a aussi été taillé dans la paroi. Il a servi de porte au Moyen-Âge et décore aujourd’hui ce joli tronçon historique. C’est toujours impressionnant d’imaginer les Pascalus et Joëllus qui marchaient là il y a 2000 ans, avec leurs raisins ou leurs huiles. Combien de personnes ont foulé ces roches avant nous ? Quel plaisir de voyager dans le temps et penser aux incessants va-et-vient sur cette route chargée d’histoire.

Le plaisir a été de courte durée puisque nous avons ensuite marché le long d’une route très passante. Il n’y avait parfois pas de trottoir et c’était un peu embêtant avec Logan. Elle a dû marcher pendant une demi-heure collée à moi sans pouvoir s’arrêter pour renifler tout et n’importe quoi. Nous avons ensuite atteint Pont-Saint-Martin et j’ai pu lui laisser à nouveau un peu de liberté. Nous avons traversé tout le village avant de trouver un restaurant ouvert au pied du pont romain. En réalité, la cuisine était en travaux et nous nous sommes contentés de panini. Ils n’avaient pas non plus de glaces, ce qui nous a beaucoup déçus alors que nous avions passé dix minutes à choisir celles que nous désirions sur la pancarte… Une famille attablée à côté de nous était fascinée par Logan et en a pris plein de photos. Cela a fait passer un peu le temps à défaut de pouvoir manger pour ne pas voir s'égrener les minutes.

Chapelle Saint Roch

Le chemin montait de façon plutôt abrupte et le sol était très irrégulier après le village de Pont-Saint-Martin. Cette ascension risquée visait à nous conduire à une chapelle dédiée à Saint Roch. Ce dernier est le patron des pèlerins et il est facile à reconnaître car il a toujours un chien et il relève ses habits pour exhiber un gros bubon sur sa cuisse. Il est tout fier de montrer qu’il a la peste et qu’il n’en a même pas peur. C’est d’ailleurs pour cette raison que cette chapelle lui est dédiée : les habitants du village ont voulu le remercier de les avoir guéris de la peste. Bref, pestiféré ou pas, sa chapelle était fermée. Nous ne comprenons décidément pas pourquoi ils nous font faire de gros détours pour nous conduire à toutes les chapelles et églises fermées de la région ! La plupart ne sont de plus même pas belles depuis dehors et sont à moitié décrépites…

Vignobles

Nous avons ensuite marché une bonne heure dans de jolis vignobles. Les vignes en terrasse façonnent le paysage et recouvrent une grande partie du versant gauche de la vallée. Des colonnes en pierres soutiennent des poutres sur lesquelles s’accrochent les vignes, à la manière d’une pergola. Les feuilles s’étalent ainsi à l’horizontale et les belles grappes de raisin pendent alors au dessus de la tête. C’est une architecture très artistique et atypique dans laquelle il s’avère agréable de se promener.

Entre deux vignobles, nous avons traversé un petit village où jouaient des enfants. L’un d’eux a demandé à caresser Logan et il nous a ensuite questionné sur son pelage :

- “Pourquoi elle est noire et blanche ?
- Euh… c’est comme ça.
- C’est pour être comme la Juventus ?
- Nan.
- Oui.
- Non.
- Oui.
- Non.
- Oui.
- NON ! Forza Milan et ciao mon garçon !”

Non mais quel petit effronté ! Il faut absolument que j’apprenne à Logan à grogner dès qu’elle entend “Juve” ou “Inter”…

Settimo Vittone

Vers 15h30 nous sommes parvenus à Settimo Vittone. Le chemin partait sur les hauteurs et nous l’avons quitté pour nous rendre au centre. Comme nous ne trouvions aucune indication, nous avons demandé notre chemin à un monsieur. Il nous a montré un chemin muletier qui conduit au sommet du village. C’était très raide et nous sommes parvenus au sommet avec peine, avant de voir que nous étions à nouveau sur la Via Francigena. Nous aurions pu la suivre sans faire trois fois le tour du village…

Notre hôtel se trouve sur une petite colline tout à fait idyllique. Une vieille porte permet d’accéder à une sorte de cour qui s’ouvre sur l’hôtel, une vieille chapelle ravissante, une maison habitée et un immense bâtiment vide et en vente. Cela m’a fait mal au coeur de voir cette grande bâtisse, il y a peu un restaurant et sans doute un hôtel avant, tomber en ruine. Le cadre est vraiment fantastique et je rêverais d’avoir assez d’argent pour racheter le tout et le retaper.

Les Allemands que nous avions rencontrés après Aoste dorment aussi dans cet hôtel et j’ai discuté un moment avec la femme alors que nous étendions nos habits dehors. Il y a décidément plus de monde sur cette voie que les chemins de Saint-Jacques que nous avons suivis et c’est agréable de pouvoir papoter avec d’autres pèlerins. Nous les reverrons certainement demain car nous allons dans le même village.

Nous n’avions plus rien à manger d’autre qu’une boîte de thon et nous avons décidé de redescendre au village pour souper. Nous avons trouvé une petite osteria qui s’est rapidement remplie après notre arrivée. Les deux serveuses étaient dépassées et le patron observait la salle sans jamais leur venir en aide. C’était donc très lent et cela nous a un peu agacés. Malgré cela, la nourriture était bonne et cela nous a fait du bien de manger chaud.