Du déjeuner de princesses au manoir hanté

Le déjeuner pourrait être une scène d’un dessin animé avec des princesses. Lesdites princesses, à savoir Pascal et moi, se trouvent devant une large porte vitrée à battants. La vitre est opaque : on devine des mouvements à l’intérieur de la pièce sans savoir précisément ce qui s’y cache. Une des princesses, forcément celle à la longue tresse, pose sa main claire et douce comme de la porcelaine sur la poignée en or. L’angle change subitement et depuis l’intérieur de la pièce nous voyons maintenant la porte qui s’ouvre. Les deux belles princesses apparaissent et tout à coup leurs yeux deviennent ronds et énormes. Leurs visages s’illuminent, leurs bouches s’entrouvrent et leurs regards stupéfaits scintillent. De retour du point de vue des princesses, nous découvrons la table avec le déjeuner, à laquelle sont déjà assis Doris et Johannes, comtes du Pays de Baviéra. La grande table ronde en bois de chêne est couverte de mets plus appétissants et colorés les uns que les autres. Les princesses découvrent tour à tour chacun des plats en poussant des petits “oh” aigus de princesse. Doris, l’air entendu, hoche délicatement sa blonde tête. Un geste tout simple qui signifie “Ouais, Jojo et moi aussi on a perdu nos mentons en entrant…” La princesse à la longue tresse parvient finalement à lâcher la poignée en or tandis que celle chauve et barbue la pousse avec noblesse à l’intérieur.

Bref, c’est le plus beau et le plus appétissant déjeuner que nous ayons vu jusqu’à maintenant. La table était dressée pour six : Doris et Johannes, nous au centre et les deux Français qui sont ici en vacances. Tout avait été préparé pour chaque couple et la table était ainsi recouverte de victuailles. Il y avait certaines à chose à triple, comme du raisin, le panier avec les petits pains, celui avec les croissants, le beurrier, etc. comme si nous avions été assis à trois tables différentes. Et puis devant chaque assiette il y avait encore un peu de pêche coupée, un flan maison, une tranche de gâteau, un petit pot de Nutella… C’était alléchant et simplement délicieux ! Quel plaisir !

Nous avons pris la route un peu plus tard que prévu, après avoir mangé tout cela, le ventre plein et la tête heureuse. Nous avons marché quelques kilomètres dans une forêt enchantée. Les couleurs étaient tellement franches, avec la roche ocre et la mousse verte sur les rochers, que ça aurait pu être un décor de parc d’attractions. Un château venait entretenir ma rêverie avec son beau donjon et ses créneaux parfaits. C’était génial !

A la Poste

Nous avons ensuite marché dans ces vignes superbes en terrasses jusqu’à un village. Doris et Johannes faisaient une pause à l’entrée du village et nous avons fait une halte juste un peu plus loin. Je me suis rendue à la Poste pour acheter quelques timbres. Il y avait deux guichets : un pour la Poste, l’autre pour la banque postale. Les deux étaient occupés quand je suis arrivée, puis celui de la banque s’est libéré. J’ai patienté encore un moment avant qu’une femme n’entre derrière moi. Elle a demandé à la guichetière de la banque si c’était mon tour et la guichetière a répondu : “Ah, celle-là je ne sais pas ce qu’elle attend…” Je lui ai répondu poliment que j’avais besoin de timbres et que j’attendais que le guichet avec écrit “Produits postaux” se libère. Elle a levé un sourcil et m’a lancé un regard atterré en disant : “Mais pourquoi tu ne viens pas ici plutôt ?” Je suis peut-être idiote, mais je n’ai pas compris le but de séparer les guichets si la banque vend des timbres…

Je lui ai demandé des timbres pour la Suisse.

- “Ceux à 1 euro ?
- Aucune idée. Pour la Suisse.
- Ben ceux à 1 euro alors…”

C’est vrai, pourquoi ne lui avais-je pas dit tout de suite que c’était pour la Suisse ?!

Dans la forêt

A la sortie du village, nous avons rejoint une forêt moins enchantée mais néanmoins belle. Le chemin montait en direction d’un splendide château perché sur une colline. Il était gigantesque et semblait en parfait état. J’ai fait l’inventaire de tous nos biens, j’ai imaginé ce que me rapporteraient les affaires de Pascal si je les vendais, et j’en suis arrivée à la conclusion que je pourrais peut-être acheter une échauguette… J’ai bien demandé à Pascal s’il était sûr de ne pas avoir une arrière-grande-tante à moitié sénile, sans héritiers et richissime, mais non. Quelle injustice !

Nous avons ensuite marché au bord de lacs et des légions de moustiques nous ont attaqués. J’ai une trentaine de piqûres rien que sur les mollets et ceux-ci sont maintenant bosselés. Je n’étais pas sûre de pouvoir continuer à avancer, craignant de m’évanouir avec juste un litre de sang restant dans tout mon frêle corps. Pascal m’a soutenue et m’a même tendu le spray anti-moustiques, mais l’exsanguination était terminée, le mal était fait.

Ivrea

C’est donc dévorés que nous sommes parvenus à Ivrea. Nous avons quitté le chemin officiel à l’entrée de la ville pour augmenter nos chances de trouver un endroit où dîner et ne pas éviter tout le centre. Nous avons mangé une salade dans un petit restaurant et avons discuté un peu avec la patronne et sa fille. Cette dernière vient de rentrer d’un pèlerinage vers Compostelle et elle était impressionnée que nous marchions aussi longtemps. Nous avons ensuite pris une glace avant de nous rendre à la cathédrale. Pour des raisons inconnues, le chemin évite aussi ce monument, qui est pourtant très impressionnant et dont les peintures à l’intérieur sont toutes rénovées. C’est de plus une des premières églises ouvertes que nous voyons et sa crypte est magnifique.

Burolo

Alors que nous quittions la ville, un panneau nous a envoyés dans un jardin public. Des petits sentiers de gravier serpentaient çà et là, mais plus aucune indication ne nous permettait de savoir lequel emprunter. Nous avons tourné en rond un bon moment avant de retrouver des balises bien loin du parc et pouvoir enfin sortir d’Ivrea. Nous avons marché ensuite dans des champs, sur un petit chemin de terre assez ombragé, puis sur une route avant d’atteindre Burolo. Notre hébergement se trouvait à l’entrée du village, une immense bâtisse avec un long mur qui l’entourait. Nous avons sonné à la porte ; personne ne répondait. Après plusieurs minutes et quelques tentatives, Doris et Johannes nous ont rejoints et une petite fille nous a demandé ce que nous voulions depuis un balcon au dessus de nos têtes. Je lui ai expliqué que nous étions des pèlerins et avions téléphoné pour réserver des lits, puis lui ai demandé si elle pouvait nous ouvrir. Elle a juste répondu “OK” et est rentrée. Nous avons attendu un moment encore mais elle n’est jamais venue nous ouvrir… Je me suis dirigée vers le portail que nous avions aperçu en venant et j’ai sonné. Cette fois, un jeune homme nous a accueillis. Il nous a présenté les lieux et je traduisais pour nos amis allemands. C’était très bizarre et nous évitions de nous regarder pour ne pas faire part de notre inquiétude respective. Il y avait d’autres maisons reliées à la grande bâtisse, une grande cour devant et un immense jardin derrière, presque un parc. Le réfectoire aurait pu accueillir une école entière et la cuisine était gigantesque. Alors que le jeune nous emmenait dans un dédale de couloirs, je lui ai demandé ce que c’était pour une maison. Il m’a simplement répondu qu’il s’agissait d’une demeure du XIIIe siècle qui était ensuite devenue un couvent. Ces informations, nous les avions lues sur le panneau devant la porte d’entrée alors que nous attendions que personne ne nous ouvre. Ce que je ne comprenais pas, c’était la fonction de cette maison de nos jours… Je n’ai toutefois pas insisté car nous arrivions à la chambre. Il y en a trois, mais deux étaient fermées à clé. Nous dormons donc dans celle qui se trouve le plus loin dans le long couloir. Elle possède quatre lits et un lit à étages. Le jeune nous a laissés et nous nous sommes regardés tous les quatre, un peu perplexes. Pour le coup, il n’y a pas eu de bagarres pour le meilleur lit car tous avaient l’air épouvantables. Nous avons donc choisi les deux proches de la fenêtre afin que Logan soit dans un coin et pas dans le passage, et Johannes et Doris ont pris les deux vers la porte. Nous avons ensuite procédé au choix en interne, chacun de notre côté. Doris a le lit contre la porte tandis que Johannes dort sur un lit deux fois plus haut que tous les autres. J’ai pris le matelas dur comme du béton et Pascal a hérité de celui tout mou qui se referme dès qu’on s’y allonge. Les couvertures sur chaque lit sont dépareillées et n’ont pas dû être lavées depuis que Soeur Elisabeth a fait la dernière lessive des bonnes soeurs. Johannes, sur son lit très haut, a une couverture bleu roi avec des petites franges tout à fait horribles, dans une texture satinée qui doit être des plus désagréables. Nous nous sommes tous empressés de sortir nos sacs à viande puis nous avons été nous doucher.

Les douches… Il y avait une grande pièce avec plusieurs lavabos contre un mur, des toilettes avec bidet, puis quatre cabines de douche. La mienne n’avait pas de rideau, bien que l’armature était présente à la hauteur de ma tête. Inondation garantie et réussie. Et puis il n’y avait pas une seule goutte d’eau chaude…

Douche rapide et horrible, puis nous sommes sortis pour aller faire quelques courses. Le village est à l’image du gîte : délabré et un peu inquiétant. Il y avait un petit commerce au centre mais il semblait encore moins accueillant, alors nous avons décidé d’aller jusqu’au supermarché que le jeune homme nous avait indiqué un kilomètre plus loin. Il devait en réalité y avoir au moins deux kilomètres, et l’aller-retour nous a paru interminable… Nous avons acheté de quoi faire une salade sans avoir besoin de cuisiner, car l’état des cuisines nous avaient un peu refroidis. Nous avons mangé seuls dans cet immense réfectoire glauque puisque Doris et Johannes avaient déjà soupé. Eux non plus n’ont pas osé utiliser les cuisines sales.

Des explications sur le mur nous ont permis de mieux comprendre le lieu : il s’agit en fait d’un immeuble communautaire, qui accueille des familles ou célibataires qui veulent bénéficier d’un appartement privatif tout en ayant une vie collaborative. Il y a aussi des réfugiés. Tous nous ont semblé un peu marginaux et jamais je n’aurais osé dormir toute seule dans cette bâtisse digne d’un film d’horreur…