Longue et belle journée dans la nature

Aucun de nous n’a très bien dormi, à part Logan peut-être. Il faisait très chaud malgré la porte et la fenêtre ouvertes. Nous espérions ainsi provoquer un petit courant d’air, en vain. Quelques petites caresses d’une brise légère chaque demi-heure pour éviter que nous écrivions qu’il n’y avait pas d’air, mais je l’écris quand même. Il n’y avait pas d’air. Les habitants de cet immeuble bizarre écoutaient de la musique italienne très fort et parlaient encore plus fort pour s’entendre. Des chiens aboyaient, des chats se bagarraient, des portes claquaient… C’était pour résumer un peu bruyant. J’essayais de faire abstraction de ce brouhaha et de ma suffocation naissante quand tout à coup je l’ai perçu. Un son très subtil, à peine audible. Une régularité impressionnante. Une répétition infernale. Le tic tac de la montre de Johannes était parvenu à mes oreilles délicates. Tic tac tic tac tic… A partir de cet instant, je n’entendais plus ni les chiens, ni Umberto Tozzi, ni les voisins. Tic tac tic tac. J’essayais de me concentrer sur autre chose, de repenser à l’étape, de compter jusqu’à mille, de me focaliser sur mes beaux orteils dodus. Et puis je me suis presque endormie, avant de réaliser que ma hanche me faisait souffrir car le matelas était trop dur. Je me suis tournée sur le dos et ai répété l’opération “ne pas écouter la putain de montre de Johannes”. Nan. Côté gauche. Non plus. Ventre. Ok. J’ai finalement trouvé le sommeil et ai relativement bien dormi, me réveillant néanmoins plusieurs fois comme mes trois autres compères. C’est le ronflement étrange de Doris qui m’a tirée une fois des bras de Morphée. Si on imagine le ronflement comme un “ron pchiiiiii”, Doris ne fait que les “pchiiiiii”. Il y a donc un long moment de suspense entre chaque respiration pour savoir si le “pchiiiiii” étrange va revenir ou non. J’écoutais cette amusante façon de ronfler quand j’ai remarqué que Logan s’était levée et allait voir de plus près ce qui produisait ces drôles de sons. Je l’ai rappelée aussitôt et elle est revenue se coucher entre Pascal et moi sans lécher la tête de Doris endormie.

Logan est d’ailleurs restée particulièrement exemplaire toute la nuit. Mis à part cet épisode elle est restée couchée tout le long entre nos deux lits et n’a pas réagi ni aux aboiements ni aux cris des chats. C’était la première fois que nous l’emmenions dans un dortoir et l’expérience s’est révélée plus que concluante.

Départ très matinal

Nous avions mis un réveil très tôt car nous avions plus de 30 kilomètres à parcourir. Pour ne pas déranger nos amis allemands nous avions déjà préparé toutes nos affaires et les avions laissées dans la salle de bains. Et bien ils se sont levés quelques minutes avant nous pour les mêmes raisons et se préparaient dans le couloir avant que je ne leur dise de revenir et allumer la lumière…

Il était 6h45 quand nous sommes partis, un record. Nous avions acheté des pains au chocolat et du jus d’orange hier soir lors de notre excursion au supermarché et nous avons déjeuné en route. Jusqu’à Piverone, ce n’était pas très intéressant. Nous avons longtemps marché sur des petites routes, encore peu fréquentées à cette heure. Nous avons pris un petit raccourci pour éviter une montée vers une église probablement fermée et sommes arrivés ensuite à un carrefour où deux variantes de la Via Francigena s’offraient à nous. Les explications n’étaient pour le moins pas claires et il n’y avait aucune indication sur les distances ou le dénivelé de chaque voie. Nous avons choisi celle qui n’avait pas le logo d’une voiture avec des grands points d’exclamation. Effectivement, nous avons évité la route mais avons emprunté une voie plus longue d’un kilomètre et demi à travers des prés et des champs de maïs. L’herbe était mouillée et grouillait de limaces. Quelle horreur ! Je préfère mille fois éviter les voitures que ces monstres aux longues dents !

Cette variante-là n’était de surcroît pas très bien balisée et nous avons complètement raté le village de Piverone. Nous avons marché sur une route interminable qui montait tout en nous éloignant du clocher. Nous avons avancé un peu au hasard dans la direction qui nous semblait la plus logique et avons rejoint le chemin après Piverone. Nous avons marché une bonne heure dans des vignobles, apercevant en contrebas le lac de Viverone. Les vignes sont moins belles que celles en terrasses des derniers jours mais c’était tout de même plus agréable que les routes. Nous sommes ensuite parvenus à une petite chapelle complètement en ruine. Des panneaux expliquaient l’importance de ce monument apparemment exceptionnel et je ne comprends du coup pas pourquoi il est en si mauvais état…

Giorgio

La traversée du village de Viverone s’est révélée fatigante et peu intéressante. La route pavée montait sans fin jusqu’au centre où il ne se trouvait rien. Des panneaux en bois peints par des enfants ornaient les maisons et celles-ci étaient un peu moins décrépites que dans les autres villages, mais c’est tout. Nous n’avons de plus pas trouvé de place où nous reposer donc nous avons passé notre chemin et nous sommes arrêtés peu après le village à un lavoir. Un jeune pèlerin en habits de basketteur nous a salués et dépassés à ce moment. Nous avons appris en le dépassant un peu plus loin tandis que lui-même faisait une pause qu’il s’appelle Giorgio, a 25 ans et vient de Trento. Il est parti d’Aoste, était à Ivrea ce matin et souhaitait aller jusqu’à Vercelli. Nous l’avons regardé avec des yeux ronds lorsqu’il nous a parlé de Vercelli. De Ivrea à Santhià il y a déjà environ 37 kilomètres, ce qui est énorme. Santhià - Vercelli c’est 27 kilomètres. 64 kilomètres en une journée ?! No way, José ! 13 heures de marche à 5 km / h sans compter les pauses, c’est complètement débile… Bien sûr que c’est faisable, mais pas quand on doit encore marcher le lendemain et le jour d’après. Il nous a dit que sa mère s’était cassé une jambe et qu’il devait rentrer au plus tôt pour lui venir en aide. Du coup, il veut atteindre Rome le plus vite possible. Nous étions un peu sceptiques, surtout que lorsque nous l’avons vu il était presque 11 heures et il lui restait encore une quarantaine de kilomètres à parcourir…

Pause de midi

Il y avait à nouveau deux options à la sortie de Viverone et nous avons volontairement emprunté la plus longue et la moins plate. C’est assez exceptionnel pour être souligné ! Elle passait sur les hauteurs dans un petit village, en direction d’une maison forte, puis dans un petit bois. La variante plus courte consistait à suivre la route, assez passante. Nous avons donc opté pour les hauteurs et c’était un tronçon très sympathique, presque entièrement à l’ombre. Nous sommes ensuite redescendus sur Cavaglià par un sentier de pierres et avons cherché un endroit pour pique-niquer. Il n’y en avait pas. Pas le moindre banc, sauf un devant l’hôtel de ville en plein soleil, pas un muret, rien. Nous avons poursuivi notre chemin dans l’espoir de trouver un endroit bien un peu plus loin et, après environ deux kilomètres, nous nous sommes assis par terre contre une maison. Nous avons mangé des hot-thons, toujours aussi exquis, avec un bout de fromage et du raisin. Giorgio nous a à nouveau dépassés, très motivé, puis ce sont Doris et Johannes qui sont passés en tirant la langue.

Premières rizières

Dix kilomètres environ nous séparaient encore de Santhià, avec rien entre deux. Nous nous attendions à traverser un désert en plein soleil et regretter d’être nés, mais au final c’était très sympathique. La première partie était assez ensoleillée mais des arbres çà et là permettaient à Logan de ne pas trop souffrir. Nous avons marché ensuite dans la forêt pendant une vingtaine de minutes avant de découvrir les premières rizières. Nous en avons déduit qu’il s’agissait de rizières car les petites céréales qui baissaient la tête ressemblaient beaucoup à celles qu’on voit sur les berlingots de boissons au riz dans les magasins. Et puis nous savions que nous devrons atteindre des rizières tôt ou tard, indice tout aussi pertinent.

Il y avait des petits cours d’eau qui bordaient le chemin et nous avons détaché Logan pour qu’elle puisse marcher dans l’eau et boire à sa guise. Nous avons finalement marché quelques kilomètres dans des champs divers, de maïs ou de pommes-de-terre, et les paysages étaient colorés et bien différents de ceux traversés jusqu’à là.

Santhià

Arrivés à Santhià vers 16 heures, nous avons rejoint le gîte communal. Giorgio s’est finalement résigné à ne pas aller plus loin et partage notre petit dortoir. Nous avons croisé Doris et Johannes alors que nous étions douchés, changés et que nous ressortions faire un tour en ville. Ils semblaient exténués et ont fait une heure et demie en plus sur la fin car ils ont raté un carrefour… C’est également le cas de deux Français que nous avons vu plus tard : eux sont partis d’Ivrea ce matin et après deux heures marche, croyant avoir atteint un certain village, ont été découragés en voyant le panneau “Ivrea”… Je ne sais pas comment c’est possible de ne pas réaliser qu’on revient en arrière, mais ils l’ont fait ! Nous avons encore rencontré un autre pèlerin soixantenaire de Lausanne avec qui nous avons bu un verre. Il voyage sur un vélo couché et est parti d’Orsières hier matin. C’est un peu déprimant…