Dans les rizières

Nous avons pris la route vers 7h30 et avons déjeuné en marchant. Après avoir traversé les chemins de fer à la sortie de la ville, nous avons longé pendant quelques centaines de mètres une très grosse route fréquentée par de nombreux camions. Nous apercevions Doris et Johannes un peu plus en avant, qui avaient loupé une intersection et continuaient sur cette grosse route au lieu de partir dans les rizières. Nous avons tenté de leur faire signe mais ils ne nous voyaient pas. Comme la route menait au bon village nous les avons laissé continuer. Notre guide mentionnait d’ailleurs la possibilité de suivre cette route jusqu’à Santhià et ainsi ne parcourir que 15 kilomètres. Il était cependant précisé que c’était très dangereux, comme en témoignent les nombreux bouquets accrochés aux barrières en mémoire des personnes décédées là. Marcher quatre heures au bord d’une semi-autoroute, en plus avec le chien, non merci.

Dans les rizières

Nous avons avancé une bonne heure dans les rizières alors que le soleil s’élevait gentiment face à nous. Nous avons été choqués par les longues bandes noires de pollution qui flottaient de chaque côté. Milan à gauche, Turin à droite : des nuages de produits toxiques qui n’attendaient que la pluie pour retomber dans les champs…

Notre appareil photos n’avait presque plus de batterie, aussi avons-nous décidé de boire un verre dans un bistro et faire recharger l’appareil. Nous en avons profité également pour manger un croissant et compléter notre déjeuner. Tout le monde s’arrêtait pour admirer et complimenter Logan, nous racontant au passage des anecdotes sur leurs propres animaux. Adriano, un pèlerin italien soixantenaire, a rapidement bu un jus de fruits sans même prendre le temps de s’asseoir. “Il faut garder le moteur chaud, sinon c’est trop dur de repartir !” Tout le contraire de nous, qui préférons nous arrêter au moins vingt minutes pour repartir comme neufs. Un couple de Français a également bu un café sur la terrasse et nous avons échangé quelques mots alors que nous reprenions la route.

Nous avons marché tout le reste de la journée dans les rizières, au soleil. Un système d’irrigation complexe a été mis en place et de petits ruisseaux longeaient le chemin. Des milliers de grenouilles sautaient se cacher dans l’eau dès que nous approchions. Les couleurs étaient sublimes, un beau dégradé de jaune, vert et orange. Nous avons lâché Logan pour qu’elle puisse aller dans l’eau quand elle le souhaitait. Nous ne risquions rien car le chemin était plat et droit, délimité par les champs et les canaux. A part les grenouilles, rien ne pouvait l’inciter à vouloir jouer ou courir.

Tous perdus

Alors que nous approchions d’un village, nous étions surpris de ne voir aucun balisage. D’après notre petite carte, nous ne devions pas traverser ce village mais nous n’avions aperçu aucune indication qui aurait pu nous faire prendre une autre direction. Adriano marchait un peu devant nous et allait également par là. Nous en avons conclu que c’était le nouveau tracé de la Via Francigena, qui évitait ainsi de parcourir des dizaines de kilomètres sans habitation. Doris et Johannes se trouvaient à environ deux-cents mètres derrière nous et venaient aussi là. Nous avons fait une halte dans le cimetière juste avant l’entrée du village pour remplir nos gourdes. Il y a toujours de l’eau potable dans les cimetières. Le village était déprimant, complètement délabré et de la propagande fasciste était peinte sur les maisons grises et mal entretenues. Nous avons vu alors Adriano qui faisait demi-tour. Nous nous sommes arrêtés et avons attendu qu’il arrive à notre hauteur. Ce n’était pas la bonne direction, nous aurions dû tourner à gauche plus tôt dans les rizières. Revenant sur nos pas avec lui, nous avons annoncé la nouvelle à Doris et Johannes qui semblaient déjà souffrir et ont accueilli cette nouvelle avec un long soupir. Dans leur guide, il était indiqué qu’il fallait tourner à gauche à la hauteur du cimetière et suivre les balises rouges. Ils avaient bien vu le cimetière, mais comme aucune balise rouge n’était visible ils nous avaient suivis à tort. En réalité le chemin partait à gauche bien avant le cimetière. Adriano a continué alors que nous soufflions un instant à l’ombre, puis nous avons repris la route. Parvenus à la hauteur du cimetière, le couple de Français arrivait en face, ayant aussi raté l’intersection. Leur guide mentionnait lui : “Avant le village, tournez à gauche dans les rizières en direction d’un élevage de volailles.” J’ai éclaté de rire quand ils nous ont lu cela, car il doit être impossible de donner des indications plus floues. Nous étions entourés de rizières et ledit élevage se trouvait à plus d’un kilomètre. Comment savoir de quelle maison au loin il s’agit et quelle petite route en terre emprunter pour s’y rendre ? Sur nos conseils, les deux couples sont allés remplir leurs gourdes au cimetière tandis que nous prenions la petite route qui nous permettrait de rejoindre le chemin un peu plus loin sans devoir tout revenir en arrière. Giorgio arrivait à cet instant en compagnie d’une autre pèlerine et nous étions cette fois convaincus qu’une balise manquait car nous étions neuf à nous être trompés en un quart d’heure…

Nous avons ainsi atteint le hameau suivant, avec son fameux élevage de volailles, et y avons fait une pause sur un banc à l’ombre. Adriano était déjà assis et nous avons discuté une bonne demi-heure avant qu’il ne reparte. Il a parcouru le tronçon Lucca - Rome au printemps et a tellement apprécié ce chemin qu’il a décidé de faire cette fois du Grand Saint-Bernard à Lucca. J’ai rigolé en lui disant que s’il continuait à remonter la Via Francigena dans deux ans il finirait par faire Canterbury - Reims.

Vercelli

Nous sommes parvenus à l’entrée de Vercelli vers 15 heures. Si nous n’avons pas vu défiler les derniers kilomètres dans les rizières, marcher jusqu’au gîte nous a par contre paru interminable. Vercelli compte plus de 45’000 habitants et il nous a fallu une bonne heure pour parvenir au centre. Les balises de la Via Francigena ne sont vraiment pas faciles à repérer et nous devions nous arrêter à chaque carrefour pour les chercher. Il y a des bandes rouges et blanches sur les lampadaires mais elles sont décolorées par le soleil et ne sont plus que blanches. Des panneaux bruns comme ceux qui annoncent les monuments aux automobilistes sont également présents mais nous n’arrivons pas à nous habituer à lire la signalisation routière. Nous avons l’habitude de chercher des indications sur les lampadaires, les poteaux, les angles des maisons, mais ce n’est pas commun et naturel pour les marcheurs de lire tous les panneaux autoroutiers, les cédez-le-passage, les priorités, etc. Il y a aussi parfois des petits pèlerins peints en blanc ou en jaune avec des flèches mais ils sont bien effacés et placés à des endroits où personne ne regarde. Il y a encore depuis quelques jours des petits autocollants ronds rouges et blancs avec une flèche blanche. En gros, on ne voit pas du tout la flèche car elle sépare les deux couleurs mais est aussi blanche donc on dirait juste qu’il y a un tiers de rouge et deux tiers de blanc, sans flèche. On ne repère de près que la pointe qui dépasse dans le rouge. Et puis il y avait aussi des autocollants qui indiquaient le gîte, blancs. Si un jour vous devez baliser un chemin, évitez de choisir la couleur blanche car on ne la remarque pas. Choisissez plutôt des teintes qui attirent le regard, à moins que vous ne vouliez pas vraiment que les gens trouvent leur chemin.

C’était vraiment une galère d’avancer dans cette ville, jusqu’à ce que ça se complique encore lorsque nous sommes arrivés dans le centre. Il y avait alors des flèches avec les autocollants blancs du gîte et elles pointaient à gauche pour dire qu’il fallait aller tout droit. Je ne sais pas comment ont réfléchi les personnes qui ont balisé ça, mais pour moi quand la flèche montre à gauche, ça signifie qu’il faut aller à gauche. Pour signaler “tout droit”, on met une flèche vers le haut. Peut-être suis-je trop simplette… Au bout d’un moment, nous avions l’impression qu’il fallait vraiment aller à gauche et nous avons traversé la route. Sur un lampadaire sur le trottoir d’en-face, une flèche montrait le sol. Nous sommes restés perplexes. Est-ce que le gîte se trouvait sous un pavé ? Devions-nous nous asseoir là un moment et pleurer ? Nous en avons conclu qu’il fallait continuer sur cette même route et qu’ils avaient mis la flèche vers le bas au lieu du haut. Mais nous ne comprenions pas alors quand nous devrions tourner si qu’importe le sens de la flèche ça signifiait “tout droit”… Nous avons alors suivi les indications pour les automobilistes et avons fait à peu près le tour de la ville pour trouver le gîte car nous suivions des rues à sens unique. Au final, nous aurions dû tourner à gauche quand la flèche montrait le sol…

C’est donc après une longue promenade en ville que nous sommes arrivés. Normalement, le gîte n’accepte pas les chiens mais l’hospitalière nous avait dit que c’était en ordre. Quand nous sommes arrivés, elle nous a dit que Logan pourrait rester dans la cour. Nous avons demandé à voir l’endroit et il s’agit en fait d’un grand jardin entre plusieurs immeubles. Celui d’en-face est occupé par des réfugiés africains qui passent la plupart de leur temps dans le jardin. Il y a des containers avec plein de sacs à poubelle posés par terre, des voitures parquées, d’autres immeubles qui donnent sur la cour. Nous avons refusé que Logan reste là. Marinella, l’hospitalière, nous a dit que les réfugiés étaient très gentils et qu’ils ne lui feraient pas de mal. Je lui ai expliqué que ce n’était pas par racisme que je ne voulais pas laisser mon chien, mais que tout simplement je ne laisserais pas mon chien dehors sans surveillance, même si la cour est fermée, avec je ne sais combien de personnes inconnues qui pourraient l’approcher. N’importe qui pourrait venir l’embêter, peut-être que des enfants voudraient jouer avec alors qu’elle ne doit pas courir, elle irait sans doute fouiller les poubelles et tomberait peut-être sur quelque chose de toxique. Et puis si elle a peur d’un enfant qui arrive en courant et le mord, nous sommes responsables. Hors de question. Marinella nous a alors indiqué qu’il y avait la cave. Nous avons accepté cette proposition et elle nous a donné les clés afin que nous soyons les seuls à pouvoir aller et venir. Ce n’est bien sûr pas une situation qui nous enchante, mais au moins nous savons que Logan est seule et à l’abri.

Nous avons mangé une glace en ville et avons fait quelques emplettes pour le souper commun de ce soir. C’est Marinella qui cuisine et tous ceux qui veulent souper amènent une partie des ingrédients. Elle a préparé une grande salade et une paëlla de légumes, un plat un peu fourre-tout avec du riz, de la sauce tomate et des légumes. Nous n’étions au final que quatre en plus d’elle : nous deux et Monique et Serge, un couple de Rennes. Ceux-ci se trouvaient le même jour que nous au Grand Saint-Bernard mais nous n’avions pas eu l’occasion de discuter car nous n’étions pas à la même table au souper. Ils sont partis de Canterbury un jour avant nous de Nuremberg et parcourent la Via Francigena en entier. Nous avons été ravis, bien qu’un peu tristes pour eux, d’apprendre que la partie française de ce chemin n’en valait vraiment pas la peine. Ce qu’ils nous ont dit concordait avec ce que nous avions lu avant de partir : beaucoup de route, très peu d’hébergements, peu de possibilités pour se restaurer et faire des achats, pas très joli… Ils conseillent à ceux qui veulent faire la Via Francigena de parcourir ce gros tronçon en vélo puis marcher à partir de Besançon. Cela nous a rassurés d’apprendre que nous n’avions pas raté grand chose, surtout que les chemins suivis en Allemagne et en Suisse nous ont offert de magnifiques paysages.

Nous passions une soirée très sympathique ; je servais d’interprète pour que tout le monde se comprenne. Et puis trois des responsables du gîte sont arrivés. Je ne comprends pas pourquoi les Italiens parlent aussi fort ! Dès qu’il y en a trois dans une pièce, cela devient impossible de s’entendre. C’est ce qui est arrivé, alors que nous mangions du melon comme dessert et partagions nos expériences. Il y avait alors tellement de bruit que nous aurions dû crier pour nous entendre. Nous avons préféré faire la vaisselle et terminer la soirée ainsi, de façon un peu abrupte et décevante, alors que jusque là elle avait été chouette.