Courte nuit et morne journée

Les réfugiés africains passaient la soirée dans le jardin en parlant très fort et en écoutant de la musique. Nous avions ouvert les fenêtres et celles-ci donnaient pile sur le jardin, ce qui faisait que c’était très bruyant dans la chambre. J’étais néanmoins sur le point de m’endormir quand j’ai entendu Logan pleurer. La porte de la cave se trouvait deux étages plus bas que la fenêtre contre laquelle je dormais. J’ai attendu un moment et les pleurs ne cessaient pas. Je me suis levée pour demander à Pascal ce qu’il en pensait. Nous avons convenu de patienter encore un peu. C’est à ce moment-là que l’hospitalière est entrée dans le dortoir car elle aussi avait entendu Logan. Elle m’a dit que je pouvais la prendre à l’intérieur et dormir sur le fauteuil au rez-de-chaussée. Après quelques minutes encore, c’est ce que j’ai fait.

Logan a l’habitude de dormir seule car nous ne la prenons jamais dans notre chambre à la maison. Malgré cela, elle n’a plus de repères depuis que nous marchons et devait être inquiète avec toutes ces voix et ces bruits inconnus. Elle était heureuse de me voir et est sortie en trombe de la cave. Je me suis installée dans le sac de soie sur le fauteuil et j’ai lu un moment avant d’essayer de m’endormir. J’ai somnolé un peu mais ce n’était pas idéal. J’ai alors déplacé le deuxième fauteuil pour qu’il soit collé et face au mien. J’ai ainsi pu m’allonger et c’était pour tout dire très confortable, plus que le matelas très fin dans le dortoir. Malgré tout, j’ai passé une nuit mouvementée. Je n’ai jamais dormi plus de trois quarts d’heure à la suite, me réveillant sans cesse. Je craignais que Logan n’aboie si quelqu’un sortait pour aller aux toilettes et restais sur le qui-vive. Il y avait tout ce monde qui chantait et parlait fort, juste derrière la porte qui n’était pas verrouillée. Parfois, j’entendais des voix et bruits comme s’ils étaient collés à la porte et j’avais peur qu’ils n’entrent. Et puis vers deux heures du matin la pluie s’est abattue d’un coup et nos voisins sont tous rentrés se protéger à l’intérieur. La pluie n’a pas cessé de la nuit et faisait presque autant de bruit. J’avais pensé pouvoir récupérer un peu de sommeil en faisant des siestes aujourd’hui et voilà que tout serait détrempé… J’ai donc très mal dormi, peut-être trois heures en tout, et j’avais décidé qu’à 6 heures j’irais réveiller Pascal pour qu’il prenne le relai et que je dorme une heure au lit. Je me suis réveillée vers 5h30 et j’ai lu en attendant 6 heures. Pascal est ensuite descendu, a nourri Logan et est sorti lire dans le jardin pour éviter qu’elle n’aboie sur les pèlerins qui allaient déjeuner. J’ai peut-être dormi une vingtaine de minutes au lit, puis j’ai dû me lever. Pour le coup, cette nuit déloge la première dans le foin à la tête du classement des pires nuits du voyage. Logan, elle, a dormi comme un bébé.

Nous avons déjeuné en compagnie d’un Zurichois à vélo qui se promène en Italie sans suivre la Via Francigena, puis avons pris la route vers 8h30. Il pleuvait encore beaucoup et nous avions enfilé pantalons et K-ways pour nous protéger. La pluie a cessé en fin de matinée mais le ciel ne s’est vraiment dégagé qu’en fin de journée.

Sous la pluie

Cette étape est la moins intéressante pour le moment en Italie. Nous avons marché dans des rizières, parfois dans des forêts artificielles où les arbres sont alignés comme un régiment au garde-à-vous. Il y avait beaucoup de boue et la brume était par moments épaisse. Nous nous sommes perdus une fois, parcourant un bon kilomètre avant de réaliser que nous ne voyions plus du tout d'empreintes de pas dans la boue alors que nous savions qu’au moins cinq pèlerins avaient pris la route devant nous. De retour au croisement où nous avions pris la fausse direction, nous avons effectivement aperçu des flèches. Deux étaient peintes en ocre sur un poteau complètement rouillé, et un autocollant du balisage officiel avait aussi une flèche blanche sur fond blanc. Trois flèches, mais aucune n’attirait l’attention…

Nous avons atteint le village de Palestro mais une nouvelle fois le chemin passait sur les rues les plus éloignées du centre. Nous aurions volontiers bu un chocolat dans un bar mais aucun ne se trouvait sur la route et le clocher de l’église, centre probable du village, nous semblait trop loin pour en valoir la peine. Nous avons donc profité d’une accalmie pour nous asseoir sur nos sacs posés sur le sol. Nous avons croisé alors Adriano, qui revenait du bistro au centre. Un détour au final d’un kilomètre et demi pour commander un en-cas qui n’est arrivé qu’après 45 minutes. Il était un peu agacé (Adriano, pas l’en-cas) d’avoir perdu autant de temps alors qu’il se rendait à Mortara ce soir.

Robbio

Les paysages n’étaient vraiment pas intéressants et la météo n’arrangeait rien. Nous avons fait des jeux pendant une bonne heure afin de faire passer le temps, puis avons rejoint une petite route en goudron deux kilomètres avant Robbio. Ce dernier tronçon nous a paru interminable et extrêmement pénible. Je n’avais pas encore eu de coup de fatigue comme cela depuis notre départ de Nuremberg. Mes jambes ne pouvaient pas aller plus vite, ma tête me disait de m’arrêter là, le manque de sommeil me faisait mal au crâne et j’aurais pu m’endormir debout. Pascal peinait autant que moi et c’est péniblement et lentement que nous avons rejoint le village. Nous avons quitté la Via Francigena pour pouvoir trouver quelque chose à manger, puisqu’une nouvelle fois celle-ci évitait le centre et faisait visiter toute la zone industrielle sans doute fort bucolique. Nous avons acheté une pizza et une focaccia à l’emporter et les avons mangées sur un banc d’une place. Quel délice ! C’est tout simplement une des meilleures pizzas de ma vie !

Nous voulions acheter de quoi manger pour ce soir et demain matin car il n’y a aucun commerce dans le village où nous dormons. Tous les magasins étaient cependant fermés et n’ouvraient qu’en milieu d’après-midi, donc nous nous sommes contentés d’une glace et avons fait l’inventaire de nos maigres réserves. Restaurant ce soir et improvisation au déjeuner demain matin !

Nicorvo

Les deux heures de marche cet après-midi se sont révélées tout autant ennuyeuses que ce matin et nous étions heureux d’arriver à Nicorvo. Le village, comme la plupart de ceux que nous avons traversés, semble avoir été en partie déserté et est un peu terne. Les peintures des façades qui s’effritent, l’absence de fleurs, les volets fermés : ce n’est pas très accueillant et chaleureux.

Nous sommes dans le même gîte que Laure et Louis, des Toulousains que nous avons déjà croisés plusieurs fois sans vraiment discuter. Le gîte est très sommaire et n’est pas très propre. A la vue de la douche, j’ai réfléchi plusieurs fois pour savoir si j’étais vraiment sale. Des mille-pattes grouillent dans les toilettes où la lunette est devenue amovible. Une multitude d’insectes partagent notre chambre et à l’heure où j’écris, assise sur mon lit, alors que toutes les lumières sont éteintes, un monstre émet des sons très bizarres vers la porte. Je me suis déjà levée une fois après avoir supplié Pascal de me défendre, en vain, mais je ne suis pas parvenue à le repérer. L’énorme dose d’insecticide n’a visiblement pas eu raison de lui car il continue de faire ses bruits bizarres. Et Pascal vient d’abattre une blatte, dans un élan de bravoure éclatant.

Nous avons mangé en compagnie des Français dans un pub très inattendu dans ce petit village d’apparence morne. Ils font des pizzas et proposent une offre pour les pèlerins. Nous avons beaucoup discuté, surtout avec Louis car Laure reste souvent discrète et en retrait. C’était très sympathique !