A l'envers

Si vous avez suivi un peu les étapes, vous aurez remarqué que c’est le deuxième soir que nous arrivons à Nicorvo. En réalité, un petit incident nous a contraints à adapter notre itinéraire et ne pas aller à Tromello comme prévu.

Logan allait très bien hier après-midi quand nous avons terminé l’étape, mais elle boitait un peu ensuite quand nous l’avons ressortie pour faire ses besoins. Ce matin, ça n’allait pas mieux du tout. Nous avons inspecté ses pattes, avons tiré un peu sur le coude, rien. En appuyant un peu sur les coussinets, elle réagissait parfois mais pas toujours. Il n’y avait pas de sang, pas de coupure visible. Nous lui avons mis un bandage en nous disant que peut-être elle avait une petite irritation que nous ne voyions pas, mais elle boitait alors encore plus. Pas moyen d’entamer l’étape. J’ai appelé la responsable du gîte et elle nous a indiqué une clinique vétérinaire à Mortara ainsi que l’emplacement de la gare.

L’amie des chiens

Il y avait un bon kilomètre à parcourir et Logan ne semblait pas marcher mieux à mesure que nous avancions. Le train est passé alors que nous étions à une centaine de mètres, comme par hasard… Nous espérions alors qu’il y en aurait un prochain rapidement et avons été soulagés de découvrir qu’il y avait une liaison toutes les heures. J’ai retiré le bandage de Logan et nous avons lu un moment en attendant le train. Une vieille femme est alors arrivée avec un petit chariot à commissions et a parlé un moment à Logan. Elle ne semblait pas avoir toute sa tête, parlait sans cesse et souriait de toute sa dent. Elle n’en avait qu’une, une belle incisive en haut. Elle nous a expliqué qu’elle avait la maison avec les fenêtres jaunes. “Vous l’avez certainement vue en passant, c’est juste sur la Via Francigena. Je vous ai vus hier matin je pense. Je vois tous les pèlerins. Vous voyez laquelle ? Et puis votre chien, il est comme celui de cette vieille folle vers le lac de Côme. Je veux récupérer son chien car elle le promène jamais et il est malheureux. Elle est folle, c’est pas de sa faute, elle est malade. Mais bon le chien il serait plus heureux mort que chez elle.” Je peinais un peu suivre le fil de ses propos et je lançais un petit “ah si” de temps en temps. Et puis quand nous sommes montés dans le train, elle nous a demandé pourquoi nous étions là et quand nous lui avons expliqué elle a réagi au quart de tour : “Il ne faut pas aller à Mortara ! C’est des assassins ! Ces vétérinaires là, ils ne travaillent que pour l’argent et ils n’en ont rien à faire des animaux. Vous ne savez pas ce qu’ils ont donné au cheval de Mme Machin ? Et puis la clinique est à au moins trois, quatre kilomètres de la gare. Vous n’allez quand même pas faire marcher autant cette pauvre créature ?! Il faut aller à Pavia plutôt, là-bas il y a plein de vétérinaires compétents proches de la gare. Allez chez Grobella, il a huitante ans mais il fait bien mieux son travail. Et puis il y a des bus à Pavia pour que la pauvrette ne marche pas. A Mortara il n’y a pas de bus. Et les gens sont méchants, ils ne vont jamais vous indiquer où se trouve la clinique. A Mortara, ils n’aiment pas les animaux, c’est tous des assassins. Il y avait toujours ce chien attaché devant la maison verte. Je le voyais parce que c’est juste à côté du train, il était toujours attaché. Et bien il est mort d’ennui. Et maintenant qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils en ont repris deux ! C’est des assassins fous et méchants à Mortara ! Vous savez, j’ai la maison avec les fenêtres jaunes et je vois passer tous les pèlerins.” Nous ne parvenions pas à placer la moindre parole, c’était infernal. Mine de rien, elle commençait à nous effrayer un peu. Le trajet durait à peine dix minutes et nous devions vite prendre une décision. Nous n’arrivions toutefois pas à nous concerter pour décider que faire, car à chaque fois que je demandais à Pascal ce qu’il en pensait elle lançait : “Oh ! Ecoute-moi ! Faut aller à Pavia, c’est juste à vingt minutes en train, peut-être trente ou quarante…” Pascal avait regardé les horaires et il lui semblait qu’il fallait plus d’une heure pour aller à Pavia. Et puis une fois sur place, comment trouver un bon vétérinaire ? J’ai donc expliqué à la dame que nous irions à Mortara malgré tout et que si nous n’étions pas satisfaits nous irions ensuite à Pavia. Elle a grincé de la dent, le train arrivait en gare, et elle nous a lancé avant de descendre : “Et bien c’est une femme qui a eu 24 chiens qui vous le dit : le mieux que vous pouvez espérer de cette clinique c’est que votre chienne ne meure pas !”

Sin city

Bon, après toutes ces informations nous pensions arriver dans un ghetto sombre avec des gangs et des mafieux partout, et des vétérinaires à chaque coin de rue qui abattaient des chats et donnaient des clous à manger aux chevaux. En réalité, c’est une ville normale, plutôt jolie, et les gens sont charmants. Nous avons demandé notre chemin dans un café et nous n’avons pas été poignardés, on nous a même renseignés avec un sourire. Un peu plus loin, un monsieur a discuté un bon moment avec nous car il adore les pèlerins, puis c’est un jeune papa à vélo avec son petit qui nous a fait la causette et indiqué la direction de la clinique. Nous avons déjà connu pire accueil !

A la clinique, nous avons été reçus très vite et la vétérinaire a bien inspecté toute la patte de Logan. Elle n’a rien relevé d’inquiétant et pense qu’elle a dû se cogner. Elle devra rester deux ou trois jours au repos, prendre des anti-inflammatoires et ça devrait aller mieux. Retourner consulter si ce n’est pas le cas. Nous avons bien surveillé qu’elle n’essaie pas de faire avaler du cyanure à Logan et grâce à notre vigilance nous avons quitté la clinique avec notre chienne en vie. Nous étions soulagés de ce diagnostic puisque nous n’aurions pas su que faire si elle avait été blessée sérieusement. Cela nous embêterait de devoir rentrer maintenant et mettre un terme au voyage !

Avec l’aide de ma soeur Isabelle, nous avons trouvé une chambre au centre de Mortara et nous resterons là jusqu’à lundi. De cette manière, nous pourrons laisser Logan au repos tout en parcourant des petits tronçons de la Via Francigena sans elle. Cela nous fait vraiment mal au coeur qu’elle soit à nouveau blessée ; c’est la troisième fois déjà depuis août alors qu’elle ne s’était jamais fait mal avant ! Les trois fois, ce n’était cependant pas directement lié au pèlerinage : la première petite coupure aurait pu arriver n’importe quand puisqu’elle a dû marcher sur quelque chose de coupant, la deuxième fois elle s’est fait mal en jouant avec un autre chien, et voilà qu’elle se cogne ou fait un faux mouvement alors que nous sommes au gîte… Malgré tout, ça nous fait de la peine et nous culpabilisons de l’avoir emmenée si c’est pour qu’elle ait toujours mal quelque part.

Après avoir laissé Logan, Yvon et Curdin à l’hôtel, nous avons fait un tour dans le très joli marché et avons bavé un peu devant tous les stands d’alimentation. Des charcuteries alléchantes, des fromages par centaines, des fruits plus colorés les uns que les autres, des légumes énormes et brillants. Et nous pauvres petits pèlerins qui ne pouvions rien acheter car nous n’avons pas de cuisine… Nous nous sommes contentés d’une pêche et sommes repassés à l’hôtel un petit moment.

En marche !

Nous avons décidé de tout de même parcourir le tronçon de huit kilomètres entre Nicorvo et Mortara tout en sachant qu’il ne serait absolument pas intéressant et que nous avions déjà sans doute marché autant. Cela nous embêtait malgré tout d’avoir un nouveau trou de quelques kilomètres dans notre voyage, aussi sommes-nous retournés à la gare pour prendre le train de 34 vers Nicorvo. Et bien le train de 34 ne passe en fait pas toutes les heures et il n’y en avait pas à 12h34… Comme nous ne voulions pas attendre là une heure, nous avons décidé de faire l’étape en sens inverse. La seule crainte que nous avions concernait le balisage, car il est déjà mauvais quand on va vers Rome… Par chance, il n’y avait pas beaucoup de croisements et notre petit guide était suffisamment précis pour que nous sachions où aller.

L’étape s’est effectivement révélée des plus inintéressantes. Nous avons d’abord marché dans des champs de maïs, puis de riz. Le ciel était chargé de nuages, la lumière n’était pas bonne, l’air était lourd et humide. Mais bon, en moins de deux heures nous étions arrivés et cela nous a fait du bien de faire une si petite étape en sandales et sans les sacs. Nous avons même fait la connaissance de Harry, un Américain d’à peu près notre âge qui est parti de Villeneuve. Nous devrions le revoir demain entre Mortara et Tromello.

A Nicorvo, nous avons réalisé que le train allait comme ce matin nous passer juste sous le nez. Pascal préférait ralentir pour avoir moins à attendre tandis que je souhaitais accélérer et miser sur un retard. Nous avons choisi mon option et avons pressé le pas. A 14h20, nous étions encore très loin de la gare et nous n’aurions pas eu le temps de sprinter en voyant arriver le train. Après plusieurs minutes, aucun train ne passait et nous sommes arrivés à la conclusion qu’il n’y avait sûrement pas de correspondance à cette heure. Et puis, quand nous étions presque arrivés, nous avons vu les barrières se baisser pour stopper les voitures et nous avons trottiné un peu. Le train entrait en gare, Pascal a vite eu le temps de vérifier sur les horaires qu’il allait à Mortara et nous sommes montés. Il avait huit minutes de retard. Vive l’Italie !

Nous avons fait quelques courses l’après-midi, avons mangé une glace puis nous sommes reposés à l’hôtel. Logan semble aller déjà mieux et nous espérons qu’elle sera complètement retapée d’ici à lundi.