Nous voulions partir vers 7 heures mais le déjeuner de l’hôtel n’était servi qu’à partir de cette heure (j’aurais aussi pu écrire “7 heures” et ça aurait été identique à l’oral, mais très répétitif à l’écrit…). Hors de question que nous rations un déjeuner ! Le buffet s’est d’ailleurs révélé appétissant et nous en avons profité pour piquer quelques biscuits pour notre en-cas de 10 heures.
A 8 heures, nous étions dehors alors que les cloches de l’église jouaient un air très jovial et plaisant, différent des ding-dong traditionnels. Le Quasimodo de Fidenza est un petit comique ! Nous avons quitté la ville par un long boulevard arboré puis une route piétonne sauf en hiver. Quelques centaines de mètres sur une pelouse puis dans un bosquet nous ont permis de lâcher Logan qui s’impatientait. Elle a couru pendant cinq minutes avec des bâtons et s’amusait comme une folle. Une fois défoulée, c’était ensuite beaucoup plus simple de la reprendre à la laisse.
Nous avons rejoint les Australicains un peu plus loin, alors qu’ils s’étaient arrêtés pour discuter avec Valentino, un autochtone de 75 ans. Ce dernier s’est déjà rendu à Rome et Compostelle et parcourt très régulièrement cette section du tronçon, muni d’autocollants pour renouveler le balisage. Il fait partie de ces gens indispensables au bon déroulement de la Via Francigena, qui s’assurent que les pèlerins trouvent la voie et que le chemin reste entretenu. Nous avons marché tous les sept ensembles pendant plusieurs kilomètres, alors que nous avancions sur des petits chemins en terre où nous pouvions laisser Logan courir. Celle-ci faisait des allers-retours entre nous tous, s’assurant qu’aucune brebis ne s’écarte du troupeau. J’ai discuté un bon moment avec Valentino. Il m’a indiqué toutes les astuces de l’étape d’aujourd’hui, puis de celles des prochains jours. Avant le cimetière de ce village, il faut prendre à gauche pour éviter la montée ; il faut demander les clés à la voisine au numéro 4 pour visiter cette église ; il faudra tourner tout de suite à droite avant le centre commercial… Il m’a détaillé les quarante prochains kilomètres ! Autant dire qu’une fois qu’il a eu terminé, j’étais incapable de me souvenir du moindre de ses conseils et j’en ai conclu que je suivrai le balisage officiel…
Valentino est ensuite parti dans une autre direction et nous avons continué à marcher avec les deux autres couples. Brad et Lynda vivent à Seattle. Ils ont vendu leur maison et Brad a quitté son poste avant de venir marcher. Elle est infirmière et a pu prendre de longues vacances. Quant aux Australiens, Michael est professeur de psychologie à l’université tandis que Lynne ne travaille pas. Ils se sont rendus à Compostelle une deuxième fois ce printemps et ont vu pour la première fois de leur vie de la neige dans les Pyrénées. Lynne a quelques cloques qui l’handicapent et tous les deux semblent peiner un peu plus que les Américains.
Après plus de deux heures de marche en leur compagnie, nous nous sommes séparés quand ils ont été boire un café tandis que nous faisions une pause dans l’herbe. Nous aurions fait une halte supplémentaire plus tôt s’ils n’avaient pas été là, mais comme ils marchent un peu plus lentement que nous cela ne s’est pas révélé contraignant. Nous nous sentions même très frais quand nous avons fait la pause en bord de chemin alors que nous avions déjà parcouru la moitié de l’étape. Le temps passe aussi plus vite quand nous avons de la compagnie, puisqu’en discutant nous ne voyons pas défiler les kilomètres.
Alors que nous avons repris la marche dans une forêt, nous avons entendu des chiens aboyer non loin. J’ai juste eu le temps d’attraper Logan quand j’ai vu bouger quelque chose derrière nous et nous l’avons immédiatement rattachée. Un lièvre est passé à toute vitesse, poursuivi quelques secondes plus tard par quatre chiens de chasse. Nous avions peur qu’ils ne s’en prennent à Logan mais ils ont suivi leur flair et ne nous ont même pas remarqués. Une minute plus tard, nous avons aperçu le lièvre dans une prairie au-dessus de nous, toujours traqué par trois des chiens. Le dernier, plus dodu, n’est passé que bien plus tard en trottinant. Une centaine de mètres plus loin, un chasseur se tenait tapi à l’orée du bois avec son fusil à la main. Autant dire que nous n’étions pas rassurés du tout de nous retrouver au milieu d’une partie de chasse ! Aucun panneau ne nous l’avait signalée et il ne s’est pas fallu de beaucoup pour que Logan repère le lapin et parte aussi à sa poursuite, ou bien qu’elle soit la cible d’un chasseur qui la prenne pour un zèbre à pois… Nous l’avons gardée en laisse un bon moment !
Les paysages ont radicalement changé entre aujourd’hui et les dernières étapes. Cela fait des jours que nous marchons dans la plaine, au milieu de champs. Aucune montée ou descente depuis plus de deux semaines. En effet, nous n’avons fait que 230 mètres de montée et 340 de descente sur les 220 derniers kilomètres. Hier encore, c’était tout plat et en arrivant à Fidenza nous n’avions pas l’impression d’être au pied des collines. Celles-ci se dessinaient à l’horizon depuis quelques jours mais semblaient encore lointaines. Et pourtant, à peine sortis de Fidenza, nous avons gravi les premières collines et nous sommes retrouvés dans un paysage pré-toscan complètement différent de tout ce que nous avons vu jusqu’à présent. Des champs et des prés quadrillent les reliefs, quelques vignes ont fait leur apparition, tout est extrêmement sec, les briques des maisons ont été remplacées par des pierres claires. Nous ne nous attendions certainement pas à un changement aussi brutal ! Les chemins aussi sont bien plus agréables pour nous et adéquats pour Logan, puisqu’ils sont en terre ou recouverts d’herbe. Malgré la sécheresse, c’est beaucoup moins dur que les cailloux ou le goudron.
A Cella, nous avons fait une pause dans un jardin public, sur un banc à l’ombre. Un papa est venu à notre rencontre alors que sa petite Sofia ne faisait que de se casser la figure. Il nous a demandé si nous étions sur la Via Francigena, puis nous a posé une multitude de questions sur notre voyage. Il a eu l’air surpris quand nous lui avons dit ne pas être croyants car il pensait que seuls les catholiques invétérés arpentaient cette voie. Nous avons discuté un bon quart d’heure, avant que nous ne déclinions sa proposition de nous conduire jusqu’à Medesano et qu’il reparte avec sa fille qui trébuchait toujours. Nous faisons de plus en plus de rencontres de ce type à mesure que nous avançons. Si en Allemagne personne ne s’intéressait à notre voyage, nous avons été approchés par de nombreuses personnes en Italie. Les gens sont bien plus curieux et extravertis, prêts à rendre service ou indiquer le chemin.
Nous avons quitté le parc peu après ce papa et avons gravi une pente raide jusqu’au sommet d’une colline. Cela faisait bien longtemps que nous n’avions pas transpiré suite à un effort ! Nous avons ensuite marché sur les crêtes pendant une petite heure avant d’arriver à Medesano. Il s’agissait de la destination de notre étape du jour. Nous avions effectivement décidé de ne parcourir que 22 kilomètres pour ménager Logan. Comme en plus les prochains hébergements se trouvaient 11 kilomètres plus loin, nous avions pensé qu’une étape de 33 kilomètres serait usante pour nous aussi. Cependant, une fois parvenus à Medesano, nous nous sentions vraiment en forme et Logan paraissait également bien mieux qu’hier après-midi. Les chemins étaient bien plus agréables et ombragés ce matin, ce qui n’a pas abîmé ses coussinets. Nous avons donc décidé de parcourir ces 11 kilomètres supplémentaires et marcher jusqu’à Fornovo. Nous avons donc mangé devant l’église et nous sommes reposés un peu. Michael, le prêtre sud-africain rencontré brièvement hier chez Massimo et Claudia, est arrivé peu après nous et a décidé de s’arrêter là pour aujourd’hui. C’est un personnage assez atypique, qui semble sage et posé. Il ne veut pas se faire entraîner dans cette “course vers Rome” et essaie d’écouter au mieux son corps pour ne pas précipiter les choses et risquer des blessures.
Quand nous sommes repartis, nous avons retrouvé les Australicains à un arrêt de bus. Pour eux également, marcher encore 11 kilomètres représentait un trop grand effort. Nous n’avons pas compris pourquoi ils ne dormaient pas là, mais je crois qu’ils ne voulaient pas découper les prochaines étapes différemment. Nous les avons donc dépassés et avons avancé très rapidement jusqu’au prochain village, tout d’abord sur une piste cyclable puis sur une petite route déserte. Nous avons fait une nouvelle pause là, dans un jardin public, afin que Logan se repose et que nous puissions nous moquer des enfants.
Pendant les six derniers kilomètres, nous avons marché dans la réserve naturelle du Taro, sur un joli chemin en terre le long de la rivière. Il y avait beaucoup d’arbres et donc d’ombre, et les premières couleurs automnales rendaient ce décor sublime. C’était évidemment bien plus intéressant que les routes d’asphalte et Logan a d’ailleurs parcouru tous ces kilomètres sans la moindre peine. Elle avait même suffisamment d’énergie pour chasser tous les lézards de la réserve, bien qu’il lui manquait du talent pour en attraper un seul.
Nous avons mangé une glace juste avant d’arriver et avons ensuite traversé le très long pont qui mène à Fornovo. Que Piacenza s’en inspire ! Ils ont ajouté une passerelle réservée aux vélos et piétons, large et séparée des véhicules par une glissière. Cette voie a été érigée directement contre le pont routier sur lequel elle est accrochée. Nous n’avons ainsi pas eu peur de mourir pour arriver dans la ville, ce qui est une sensation plutôt agréable.
Le gîte est l’un des pires que nous ayons vus jusqu’à présent. Il se trouve dans une maison à côté de l’église, un appartement au troisième et dernier étage complètement délabré. Des lits de camp ont été placés dans les différentes pièces et c’est tout. Il sont recouverts de petits draps jetables en papier qui ne doivent pas être régulièrement changés. La salle-de-bains est vétuste et très sale, avec une couche de crasse grise sur les parois du bac de douche. Il n’y a plus de papier-toilette, la lampe consiste en une ampoule qui pendouille du plafond, le cadre de la porte est décollé et recule d’au moins dix centimètres à chaque fois que quelqu’un ferme la porte. Les peintures de l’appartement sont sales et craquelées là où elles demeurent encore plus ou moins en place, les catelles ne sont pas toutes collées et je n’ose pas marcher à pieds nus tant il y a de poussière. Les quelques meubles sont cassés et vieillots, inutiles. A la vue de la petite cuisine, nous avons décidé d’aller au restaurant. Un des seuls points positifs de cet endroit, hormis le fait que c’est un donativo et qu’il accepte les chiens, c’est qu’il y avait de l’eau chaude et un pommeau de douche récent. Nous sommes loin des gîtes accueillants et chaleureux, confortables et propres. En règle générale, ils sont assez mauvais en Italie. Presque tous les hébergements pour pèlerins sont en fait tenus par les paroisses. Il n’y a pas, ou très peu, de particuliers qui aménagent avec goût et passion une partie de leur maison pour accueillir des marcheurs, comme cela se fait en France par exemple. C’est très dommage !
Mary, une Anglaise dort aussi ici. Elle parcourt la Via Francigena en entier, mais a dû interrompre son voyage trois mois suite à une blessure à un genou. Elle a marché jusqu’à Vercelli au printemps et a pu reprendre sa marche il y a neuf jours au même endroit. Nous sommes les premiers pèlerins qu’elle a rencontrés depuis sa reprise et elle désespérait de ne voir personne. Elle nous a confirmé ce que les Bretons nous avaient dit sur la partie française du chemin : peu intéressant, beaucoup de goudron et de voitures, pas d’hébergements… Elle a en plus eu de la malchance avec la météo, marchant principalement sous la pluie et dans des régions inondées. Nous lui avons proposé de venir manger avec nous au restaurant mais elle a préféré rester là. Les prochaines étapes sont assez fixes pour tout le monde en raison de la rareté des gîtes, donc nous allons la revoir pendant quelques jours.