La caverne d'Ali Baba

Comme notre guide n’indiquait pas le moindre magasin sur toute l’étape d’aujourd’hui, y compris à Cassio, nous devions faire des emplettes avant de partir. La petite épicerie du village s’est révélée peu garnie et la vendeuse était d’une lenteur tout à fait hallucinante. Il m’a fallu plus de vingt minutes pour acheter quelques vivres, tandis que Pascal mourait de froid à l’extérieur en m’attendant avec Logan. Nous avons ensuite quitté le village et avons longé la route sur plusieurs kilomètres, réalisant après un moment que nous ne voyions plus de balisage. Nous avons compris que nous aurions dû tourner à gauche tout de suite après Fornovo et gravir une colline. Notre raccourci involontaire nous a donc fait éviter une montée de 200 mètres et au moins un kilomètre… Nous sommes ainsi arrivés bien plus tôt que prévu à Sivizzano, où nous avons fait une pause dans le jardin du B&B qui accueillait avec plaisir les pèlerins. La propriétaire nous a même ouvert les toilettes et proposé à boire et à manger.

Le chemin montait ensuite jusqu’à Bardone, vantée pour sa superbe église romane fermée au public. A défaut de pouvoir attester de sa beauté intérieure, nous avons profité de sa fontaine pour boire et de sa belle pelouse pour nous allonger un moment. Nous avons aussi cueilli de la menthe devant la porte d’entrée pour aromatiser nos bouteilles d’eau citronnée. J’avais laissé mes deux bouteilles au congélateur toute la nuit et, les glaçons fondant au fur et à mesure de la journée, j’ai eu de l’eau glacée tout le long. Avec un peu de citron, de sucre et de menthe c’était exquis !

Dans la forêt et les collines

Nous avons quitté ce village par une route avant de rejoindre des chemins dans la forêt qui nous menaient sur des montagnes russes. Trois grosses montées suivies de trois descentes très raides. Les chemins n’étaient pas toujours évidents, avec souvent de grosses pierres qui roulaient sous les pieds. C’était malgré tout très joli et nous avancions sans la moindre peine. Nous sommes vraiment au sommet de notre forme et il nous semble que rien ne peut nous arrêter. Même Logan va parfaitement et gambadait dans cette forêt avec joie et entrain. Elle a par contre la fâcheuse tendance de sprinter au sommet des montées et nous toiser avec un air impatient…

Nous avons dîné sur une belle aire de pique-nique au sommet de la première grosse montée. Les Australicains nous ont rejoints une heure et demie plus tard, alors que nous nous apprêtions à repartir. Ils nous ont expliqué qu’aucun bus ne circulait hier puisque c’était dimanche et qu’ils ont finalement dû se résoudre à dormir à Medesano. Ils ont pris un bus ce matin pour rejoindre Fornovo. Ils semblaient ne plus pouvoir faire un seul pas de plus. Nous leur avons indiqué que la route menait aussi à Cassio sans faire toutes ces bosses et était certainement plus courte, et ils ont longuement hésité à l’emprunter. Au final, ils ont marché dans la forêt encore un peu, puis ont préféré la route pour le dernier tronçon. Malgré ce raccourci, ils sont arrivés au gîte une heure après nous.

Cassio

Ledit gîte est privé et non pas paroissial ou communal. Il est tenu et bichonné par Adriano, un homme d’une générosité hors du commun. Tout est d’une propreté absolue, ce qui nous changeait du gîte miteux de Fornovo. Chaque recoin est également décoré et c’est extrêmement chargé. Notre chambre compte deux lits à étages et un petit coin salon a été aménagé avec un canapé et une table basse. Il y a également un canapé-lit qui est recouvert d’une couverture rouge et sur lequel se trouvent des peluches (dont un éléphant d’au moins un mètre de hauteur), des vieilles radios, des livres, etc. Les tables de nuit sont inutilisables puisque de gros pots de fausses fleurs y trônent. C’est aussi le cas des bords de fenêtre et il s’avère ainsi impossible d’aérer la pièce. Si tant est qu’on déplace le pot pour tout de même ouvrir la fenêtre, on ne peut cependant pas fermer les volets sans arracher les magnifiques géraniums à l’extérieur. Ce sera donc volets ouverts et fenêtres fermées pour cette nuit !

Et puis il y a la cuisine et la salle à manger… Alors ça ! C’est vraiment quelque chose ! Après avoir poussé la porte de la salle à manger, nous nous sommes arrêtés net, nos yeux se sont ouverts si grand qu’ils ont failli tomber de leurs lobes et nous n’avons rien trouvé de mieux à dire que “Wooh !” Au centre de la pièce, une grande table en bois massif pourrait accueillir une douzaine de convives. La table est toutefois dressée pour six. Et entre les couverts, il y a deux immenses corbeilles de fruits et légumes, du fromage, des salamis, du pain, du vin, différents types de semoules pour faire de la polenta, de l’eau… Plus aucun centimètre carré de la table n’est visible. Contre le mur du fond, des meules de fromage et des charcuteries par dizaines n’attendent qu’à être découpées et dégustées. A gauche, ce sont des chocolats et des biscuits qui tentent le visiteur. J’ai eu l’impression de pénétrer dans une salle à manger de musée, où la table est dressée pour illustrer une scène de 1870. Tout était si délicatement déposé et arrangé, avec passion et envie de faire plaisir. L’abondance et la finesse des produits frappaient d’entrée.

Une porte sur la gauche nous a conduits dans la salle du déjeuner, où trois petites tables sont dressées. A nouveau, elles sont recouvertes de vivres : confitures, biscuits, cake maison, gâteaux, Nutella… Des pots de fausses fleurs, identiques à ceux dans la chambre, viennent combler le peu de place qui devait rester et sans doute gêner notre hôte. Une étagère dans un coin regorge de paquets de pâtes (normales, intégrales ou sans gluten, toutes les formes possible) et de sauces variées, du riz en vrac ou des sachets de risotto déjà prêts, différentes sortes de semoules, etc. Une autre étagère propose tout ce qui concerne le déjeuner : au moins quinze sortes de thés, des céréales, du café, des biscottes, des toasts, des confitures, du miel, des pains sans gluten, des gâteaux… Et enfin dans le frigo, il y a des berlingots de lait entier et écrémé, du lait de soja, du beurre, de la ricotta, du gorgonzola, des lasagnes maison, de la pancetta, des oeufs, des joghurts, des jus de fruits (au moins cinq sortes différentes), des barquettes de charcuteries. Etc. Etc. Etc. Il y a de quoi tenir un an de siège tout en préparant chaque jour quelque chose de différent !

Adriano nous a expliqué que nous pouvions nous servir d’absolument tout ce que nous souhaitions et laisser un peu d’argent en échange dans une tirelire. Il a ensuite sorti du four le pain qu’il venait de faire pour agrémenter notre souper. Si ça ce n’est pas la définition même de la générosité et l’envie de bien faire, j’ignore ce que c’est… Nous avions acheté du pique-nique car nous pensions qu’il n’y avait pas de magasin à Cassio. En nous retrouvant dans ce garde-manger royal, nous avons changé nos plans et avons décidé de reporter le pique-nique à demain midi. Pour ce soir : cuisine !

Les Australicains dorment aussi là. Ils ont tout d’abord été à l’hôtel juste en-face et ont préféré venir ici après avoir vu l’état d’insalubrité et le manque de confort des chambres. Nous avons bu l’apéro ensemble dans le jardin, puis nous leur avons proposé de manger ensemble. Pascal et moi avons cuisiné et ils étaient un peu gênés car la cuisine était trop petite pour qu’ils puissent nous aider. Nous leur avons dit que nous avions prévu de cuisiner de toute façon et qu’ils pourraient faire la vaisselle ensuite s’ils souhaitaient à tout prix nous aider. C’est vraiment une bonne tactique ça pour ceux qui, comme moi, n’aiment pas trop faire la vaisselle. Nous avons préparé une salade de tomates avec du thon et des olives, ainsi que des rigatoni avec une sauce tomates-poivrons-olives-pancetta. C’était assez réussi et goûtu et nous étions contents de nous, mais nous ne sommes pas certains que les autres ont apprécié car ils n’ont pas mangé beaucoup. Nous avions préparé des pâtes pour huit personnes, prévoyant d’emporter l’éventuel surplus dans nos Tupperware. La salade n’était pas du tout copieuse et au final c’est Pascal et moi qui nous sommes forcés à la finir pour éviter de la jeter. Il restait presque la moitié des pâtes puisqu’ils ne se sont servis qu’une seule petite portion chacun. Nous avons rempli nos boîtes pour demain et avons placé une assiette pleine au frigo, sous un film plastique pour un éventuel pèlerin demain soir.

Malgré tout, nous avons passé une très belle soirée en leur compagnie. Ils sont très simples et bons-vivants, avec beaucoup d’humour. Ils semblent de plus très intelligents et cultivés et nous avons pu discuter de plein de choses. Parler en anglais nous fait également plaisir après deux mois d’allemand et d’italien. Nous devrions les revoir encore pendant quelques jours car les prochaines étapes sont plus ou moins fixes en raison du peu d’hébergements disponibles.