Petite étape tranquille

Ce matin, nous nous sommes levés à 7 heures comme d’habitude, mais nous avons pris le temps de faire nos exercices de gainage. Trudi avait eu l’air horrifiée quand nous lui avions dit que nous déjeunions vers 7 heures et demie, du coup nous avions convenu avec elle d’y aller pour 8 heures. Nous nous sommes rendus dans la salle à manger pour ce déjeuner bien local avec du fromage, de la charcuterie, des oeufs et du pain. Le fromage consistait en ces petites tranches emballées individuellement qui servent d’habitude à faire les croque-monsieur. Les charcuteries étaient variées mais s'avéraient au final toutes insipides. C’était de la viande premier prix, tranchée et sous-vide depuis trop longtemps, qui avait une texture de caoutchouc. Sur la bouteille de miel, le label “Bon et pas cher” nous en disait un peu plus sur les habitudes d’achat de Trudi. Malgré tout, nous avons déjeuné copieusement et avons embarqué en douce le surplus de pain. Cela nous a servi pour les pique-niques de midi et de ce soir.

En quittant la salle, Trudi nous a dit qu’elle aimerait beaucoup qu’on lui montre sur un Atlas l’endroit d’où l’on venait. Elle avait ouvert la carte du Baden-Württemberg et on devinait le nord de la Suisse. Winterthour, Schaffhouse, Zurich, mais pas plus. Je lui ai dit que nous habitions plus au Sud et ai montré le vide en bas des pages. Trudi a suivi mon doigt de son regard, ne saisissant pas pourquoi je lui disais que je venais de sous sa table. Elle a ensuite compris et a sorti un autre Atlas avec la carte de la Suisse. Nous lui avons montré Sierre sur celle-ci et elle a eu l’air vraiment impressionnée, pour des raisons que nous n’avons toujours pas comprises. Elle nous a demandé ensuite jusqu’où nous marchions, je lui ai répondu Rome en lui montrant sur la carte de la Suisse que nous allions arriver par Constance, traverser les Alpes, puis atteindre l’Italie par le Grand-Saint-Bernard. Elle a fait des yeux ronds, a relevé lentement la tête et nous a dit : “Donc vous traversez toute la Suisse, et ensuite vous repartez tout à l’Est pour aller à Rome ?” Elle a montré un endroit bien à droite de l’Atlas, là où aurait pu se situer la Slovénie. “Non, Rome est au Sud en fait.” Il lui a fallu quelques secondes pendant lesquelles nous lisions une interrogation profonde s’immiscer en elle, puis elle a souri bêtement et a juste opiné du chef en disant “Ah ja ?”. Bon, Trudi est très gentille.

Si cet hébergement est de loin le plus mauvais que nous ayons eu jusqu’à présent, il nous a néanmoins enfin permis de nous sentir en pèlerinage. Les hôtels proprets et tout équipés ne correspondent pas à ce que nous attendons lors de ce genre de séjour. Nous préférons arriver dans un endroit désuet et kitsch, avoir un contact plus sincère avec notre hôte, ôter le petit chapeau tricoté à la main il y a 60 ans par l’arrière-grande-tante de Trudi qui tient au chaud notre oeuf à la coque…

Comme Hechlingen ne se trouve pas sur le chemin de Saint-Jacques, nous devions rejoindre Hüssingen quelques kilomètres plus à l’Ouest afin de retrouver les coquilles. Nous avions trouvé un prospectus avec une carte assez précise chez Trudi qui indiquait un chemin de randonnée entre ces deux villages. Parfait. Sauf que la carte assez précise s’est révélée ne pas l’être. Nous avons longé un court instant le lac avant de prendre sur notre droite, voyant un signe pour le chemin que nous cherchions. Nous ignorions à ce moment que ce serait le seul signe de ce chemin que nous verrions. A l’orée de la forêt, la route se divisait et aucune indication n’était présente. Nous nous sommes enfoncés dans les bois pour un ou deux kilomètres, avant de ressortir dans des champs de maïs. Là, une intersection nous offrait trois nouvelles possibilités, avec juste un panneau marquant une piste cyclable qui n’apparaissait pas sur notre carte. Aucun nom de village. Nous avons essayé de nous repérer sur la carte, mais aucune intersection ne correspondait. Par déduction, nous avons pris à l’Ouest et nous sommes dit que nous devrions bien finir par arriver quelque part. Il y a ensuite eu au moins dix panneaux qui signalaient les ruines d’une ancienne ferme romaine. Quelques petits panneaux indiquaient également des chemins de randonnée, mais ils semblaient avoir été placés de façon aléatoire. Pas deux panneaux ne mentionnaient le même numéro de chemin, et aucun celui que nous cherchions. Nous avons alors décidé de suivre une petite route de campagne, confiants qu’elle nous mènerait là où nous le voulions.

Ce fut le cas et avons atteint Hüssingen après une heure, incapables de dire par où nous étions passés. Nous y avons fait une petite pause, puis avons repris la route. Nous avions prévu de faire 17 kilomètres hier et 18 aujourd’hui, mais en raison des hébergements nous en avons fait 22 hier et il ne nous en restait que 13 aujourd’hui, ce qui n’est pas grand chose. C’est finalement bien tombé, car Logan s’est fait un peu mal en fin de parcours et boitait légèrement quand nous sommes arrivés à Oettingen. Nous avons inspecté ses pattes et il semble qu’un de ses coussinets est un peu blessé. Rien de grave, pas de grosse coupure ou d’infection, mais elle a mal quand on appuie. Nous espérons que ça pourra s’améliorer pendant la nuit, même si nous avons des doutes. Si ça ne va pas, nous verrons demain matin pour peut-être aller en bus à la prochaine étape ou consulter un vétérinaire.

A Oettingen, nous avons mangé dans un parc devant l’église puis avons trouvé notre chambre pour la nuit. Elle est à classer dans la même catégorie que celle d’hier : hyper moche et vieillotte. Le sol de la chambre n’est pas plat du tout et la moquette aux nuances variées de bleu se décolle de partout. Le plafond, très bas, est décoré de moulures sans doute réalisées à la truelle. Les murs sont recouverts d’un papier-peint blanc tâché et mal posé, et les tableaux de petites fleurs des champs qui l’ornent datent d’une autre époque. L’odeur est un mélange de renfermé et de cendres froides. Les toilettes sont communes et il y a le WC pour les femmes avec une cuvette lions, et le WC pour les hommes avec des coccinelles. Moi, je n’avais pas vu les bonshommes et j’ai été chez les coccinelles, croyant que c’était des grenouilles… Malgré tout, c’est spacieux, propre et le lit ne semble pas vouloir s’écrouler comme ceux d’hier. C’est tout à fait convenable à notre condition de pèlerins et la chambre a de plus l’avantage d’être bien moins chère que tout ce que nous avons trouvé jusqu’à présent.

Nous avons fait une petite visite de la ville et avons bu une bière dans un Biergarten. Nous avons profité de leur connexion Internet pour réserver des chambres jusqu’à Ulm et publier articles et photos sur le site.

Globalement, tout va bien et nous sommes contents d’avoir commencé tranquillement. Les étapes pas trop longues, presque plates, nous permettent de prendre le rythme et bien sentir les réactions de notre corps. De plus, la région est vraiment jolie et il est agréable de marcher car l’environnement varie régulièrement et de nombreux villages charmants sont traversés.

Côté santé, nous allons bien. J’ai un peu des douleurs dans les orteils et Pascal dans les genoux, mais rien d’alarmant. Mes hanches s’habituent gentiment à Yvon (mon sac) et ma cheville tient bien le coup, même si elle a décidé de ne pas désenfler. Nous espérons juste que pour Logan ce n’est rien de grave, car elle a l’air d’apprécier la ballade et est toujours surmotivée quand nous lui lançons un “On va promener ?” après une petite pause.