Logan ne boitait presque plus ce matin, aussi avons-nous décidé de commencer l’étape, avec toujours la possibilité de prendre un bus en cours de route si ça empirait. En l'occurrence, nous préférions éviter cela car prendre le bus dans cette région nous semble désormais être une épreuve très ardue.
Après le déjeuner très similaire à celui d’hier (les petits bonnets tricotés pour tenir au chaud les oeufs à la coque en moins), nous avons fait un saut à la pharmacie pour acheter du Bepanthen et une bande auto-adhésive pour Logan. Nous voulions à tout prix protéger sa patte et éviter que des petits graviers ne viennent rouvrir sa plaie. Elle n’a pas trop apprécié le bandage bleu en premier lieu, puis marchait correctement. Malgré tout, nous avons passé la journée à le refaire avant de trouver une solution qui tenait mieux et ne semblait pas la gêner. Nous allons acheter du sparadrap demain matin pour mieux fixer tout ça et espérons qu’elle sera parfaitement guérie très rapidement, car elle boite toujours un peu par moment. Après inspection, nous n’avons rien vu. Pas de coupure, d’écharde ou autre. Il y avait tout de même une petite goutte de sang hier soir, donc je pense qu’elle a dû se couper légèrement, mais c’est dur de voir précisément avec les poils entre les coussinets. Nous allons à nouveau voir demain matin si ça va, avec toujours cette option de ne pas terminer l’étape. C’est là le désavantage d’avoir réservé les hébergements à l’avance…
Nous avons quitté Oettingen en passant par la rue centrale, qui a la particularité d’avoir été la division entre catholiques et protestants à la Réforme. Un côté de la rue possède des maisons en colombages, l’autre en-face des maisons avec des ondulations sur les bords du toit. Je ne sais pas du tout comment expliquer ce trait architectural, mais cela devrait être mieux compris avec les photos. Un côté était catholique (les colombages croyons-nous) et l’autre protestant. La rue devait donc servir à se jeter des tomates.
Directement à la sortie du village, nous nous sommes retrouvés à la campagne, parmi des champs tellement plats que nous avons eu un dénivelé complètement nul après 7 kilomètres de marche. Moi, ça me va bien. Le sentier est en général bien balisé, mais il manque des indications à certaines intersections. C’était le cas à un moment, quand la route de campagne atteignait une route perpendiculaire mais ne continuait pas tout droit. Par déduction, nous avons pris à gauche car nous devinions le prochain village un peu plus loin. Il y a des cartes dans notre guide, mais elles ne sont pas très complètes. Nous pensions nous être repérés sur la carte, sauf qu’au lieu du pont que nous pensions trouver, il n’y avait que la petite rivière infranchissable. Nous étions en fait juste un peu trop à l’Ouest, et nous avons alors compris qu’au moment où nous avions pris l’initiative de tourner à gauche, nous aurions dû continuer tout droit dans l’herbe. C’est pour ça qu’ils n’avaient pas mis de coquille : il fallait simplement aller tout droit. Peut-être que si cette voie était plus fréquentée, le chemin aurait été marqué. Mais là, nous avions juste face à nous un pré avec des hautes herbes et nous n’aurions jamais deviné qu’il s’agissait de la route à suivre.
Nous n’avons d’ailleurs pas revu la moindre coquille sur les 2 kilomètres avant le hameau de Nittingen et nous n’étions alors pas tout à fait sûrs qu’il s’agissait bien de celui-ci. Ce n’est qu’au centre de ce patelin que nous avons été rassurés par le retour du balisage. A sa sortie, le chemin nous envoyait à nouveau dans des hautes herbes, complètement trempées par la rosée. Le prochain bled se situant à environ 1 kilomètre, nous préférions éviter d’avoir les pieds mouillés et avons analysé notre petite carte. En suivant une route de campagne, nous pouvions éviter les deux prochains patelins et rejoindre le chemin un peu plus loin tout en gardant les pieds secs. Concrètement, la route de campagne s’est vite transformée en faible trace de tracteur en bordure de champ, et nous pensions que nous nous étions à nouveau mal repérés sur la carte. Et bien non, c’était bien ce tracé qui était considéré comme une route dans notre guide. Il avait l’avantage d’être au soleil et totalement sec, nous faisant peut-être gagner au passage une ou deux centaines de mètres. Des dizaines de cigognes arpentaient inlassablement les champs autour de nous, avançant leurs longs becs avant que le reste du corps ne suive, me faisant penser à des marionnettes désarticulées. Des crécerelles s’élevaient aussi au-dessus des champs, avant de plonger vers leurs proies et retourner se cacher dans les quelques arbres alentour. D’autres rapaces, immenses pour certains, tournoyaient dans le ciel. C’était assez impressionnant et je dois avouer que j’ai un peu peur des cigognes. Je ne connais pas trop ces bestioles, mais elles ont un bec immense et elles bougent bizarrement et elles ont presque le même nom que les cygnes qui sont des sales bêtes et elles pourraient vouloir manger Logan parce que c’est plus copieux que les mini-insectes qu’elles doivent d’habitude picorer dans leurs champs. Donc c’est un peu effrayant.
Nous avons fait une pause à Heuberg, après avoir survécu à la traversée des champs de cigognes. La route jusqu’à Maihingen, 3 kilomètres plus loin, est une ancienne voie romaine. Depuis que nous avons marché en Espagne il y a trois ans, je déteste les Romains. Pas les Romains de maintenant et ce brave Totti, les vieux Romains qui disaient “Avé”, se baladaient en robette blanche sans doute sans slip dessous et avaient la très fâcheuse habitude de tracer des routes ultra plates à la règle et de les faire durer une éternité. C’est ceux-là et leurs foutues routes plates et droites et interminables que je n’aime pas. Non non non. Bon, pour le coup, cette voie-là ne s’éternise que sur 3,5 kilomètres, donc au final c’est passé assez vite et ce n’était pas si terrible. La campagne environnante se révélait même très belle, donc ça ne m’a pas dérangée du tout, mais je vais garder cela pour moi afin de pouvoir continuer à me plaindre.
Nous avons choisi de ne pas suivre le chemin à Maihingen, car il faisait le tour de tout le village pour passer devant les deux églises. Nous avons coupé directement à l’entrée du village, gagnant un bon kilomètre de marche. Pour une étape comme aujourd’hui, assez longue, en plein soleil et avec Logan qui ne marche pas bien, les raccourcis sont permis. D’autant plus que nous voulions atteindre Birkhausen situé à une heure de là pour dîner, et Logan commençait à traîner les pattes. Elle n’aime pas le chaud et n’a pas su apprécier comme nous le petit vent qui coupait toute sensation de canicule. Pascal et moi souffrons rarement de la chaleur, et là nous trouvions la température tout à fait agréable. Mais nous avons fait de nombreuses pauses, presque à chaque fois que Logan tirait sur la laisse pour aller se coucher sous un banc. Elle a vite compris ce que nous cherchions, nous, pour nous asseoir et lui ficher la paix.
Pique-nique à Birkhausen, sur un petit banc car Pascal ne se sentait pas de manger dans le joli cimetière où je me serais arrêtée. Il nous restait alors un peu moins de 8 kilomètres, que nous avons dû segmenter en pleins de petits tronçons pour Logan. Pour moi aussi, la fin a été plus rude en fait. Les désavantages d’être une femme sont d’autant plus pénibles lorsqu’il faut fournir un effort à passé 30° C pendant des heures, avec la ceinture du sac qui appuie sur le ventre. J’aurais préféré me rouler en boule au frais dans l’herbe et ne plus jamais bouger. Mais au lieu de ça j’ai chanté à tue-tête “Behind blue eyes” des Who et ça allait aussi (Pascal n’en dit pas autant).
Presque arrivés à Nördlingen, nous sommes passés devant un grand supermarché. Nous avons décidé d’y refaire nos stocks de nourriture et je me suis aventurée dans le magasin pendant que Pascal et Logan attendaient dehors dans l’herbe, au frais. Le magasin était tout simplement immense. J’ai mis plus de vingt minutes pour acheter quelques vivres, que j’ai dû porter dans mes grands bras frêles parce qu’il n’y a pas de panier dans ce magasin et que je n’avais pas les bonnes pièces pour un chariot. J’ai dû faire 2 kilomètres en plus rien qu’en faisant le tour des rayons pour atteindre les caisses. Les gens me regardaient bizarrement, car mon t-shirt était encore mouillé à cause de la sueur et du sac-à-dos (ça a eu le temps de sécher le temps que j’arrive à la caisse), mes cheveux ne ressemblaient à rien car je venais d’enlever mon chapeau et je tenais tous mes articles tant bien que mal alors qu’ils poussaient tous leurs jolis chariots. En gros, je suis passée pour une pouilleuse. Au moment de payer, j’ai réalisé que j’avais une pièce dans ma poche et que j’aurais aussi pu avoir un beau chariot comme tout le monde…
Une fois enfin terminés mes achats, j’ai rejoint Pascal qui s’impatientait un peu et m’a dit : “et le jus de citron ?” Le jus de ci… Et mince ! Il s’est proposé d’y aller lui, voyant que j’avais juste besoin de me poser et boire un thé froid glacé alors qu’il avait eu tout le temps de se reposer. Il a aussi surtout pensé que si j’y retournais, il ne me reverrait plus jamais tant j’étais lente. Et bien il a vite ôté cette idée de son esprit en voyant la taille du magasin et après avoir fait deux allers-retours complets pour trouver le fameux jus de citron. Il a fait autant long que moi.
Nous pensions qu’il nous restait une bonne demi-heure de marche. L’immense clocher au centre de la ville ne semblait jamais se rapprocher et commençait à nous déprimer mais en réalité nous n’avons pas eu besoin d’aller aussi loin et avons trouvé notre hôtel après une dizaine de minutes : c’est la première maison après la porte d’enceinte. D’habitude, ça ne nous arrive pas ce genre de choses. La maison est tellement la première maison après la porte d’enceinte que depuis la fenêtre de notre chambre nous voyons le rempart (et donc tous les gens qui s’y promène peuvent nous dire coucou). L’hébergement est à nouveau sans plus, mais il est tout de même un soupçon mieux que les deux derniers. Je suis peut-être un peu sévère avec nos hôtes depuis trois jours, mais en réalité ça me fait de la peine de voir des endroits aussi tristes. Ces maisons ont un réel potentiel et il suffirait de redonner un coup de neuf aux chambres pour qu’elles soient au goût du jour et accueillantes. Mais aucun effort n’est fait, les ampoules cassées ne sont pas changées, les pommeaux de douche ne sont jamais remplacés, les draps datent aussi. Cela me fait terriblement mal au coeur d’arriver chez quelqu’un et penser “c’est nul”. Je serais peinée si les gens pensaient ainsi en entrant chez moi et ça me fait réellement mal de penser cela en arrivant chez eux. Mais en même temps, j’ai l’impression que ces gens s’en fichent. S’ils faisaient consciencieusement leur travail, les chambres ne seraient pas aussi délabrées ou vieillottes. Je ne ressens pas de passion chez eux, ils sont plutôt froids et distants. Je ne sais pas trop que penser…
La ville est entourée de remparts, qui sont les derniers en Allemagne à pouvoir être parcourus intégralement par le chemin de ronde. Il y a cinq portes d’accès, magnifiques, ainsi que de nombreuses tours. A l’intérieur des remparts, la ville est sublime. Toutes les maisons sont plus belles les unes que les autres, colorées, beaucoup avec des colombages, rarement très droites. Au centre de la ville, une église et son clocher circulaire démesuré de 90 mètres, surnommé “Daniel”. De nombreuses boutiques, des terrasses de restaurants sur les rues piétonnes, des jeux de réflexion et d’équilibre placés un peu partout pour divertir le passant, des musées, etc. J’ai adoré me promener dans cette ville. Elle est sublime, a un charme fou. Nuremberg, Schwabach, Gunzenhausen, Oettingen et maintenant Nördlingen : toutes les villes que nous avons traversées jusqu’à maintenant m’ont séduites. Je ne m’étais rien imaginé avant de venir marcher dans cette région, mais je ne m’attendais vraiment pas à ça. C’est sans doute idiot, mais dans mon esprit la Bavière et le Baden-Württemberg n’étaient pas du tout des destinations de vacances, mis à part pour y apprécier la nature et le camping. En réalité, je me vois bien y revenir un été en voiture, m’arrêtant de village en village comme nous l’avons fait en Provence au printemps. Belle surprise, vraiment !
Nous avons choisi de souper dehors, sur une terrasse de cette belle ville. Les prix sont tellement bas en Allemagne, c’est hallucinant ! Nous avons tous deux pris une salade, un plat de pâtes et une boisson et l’addition était inférieure à 25 euros. Nous allons déchanter une fois arrivés en Suisse !