Presque en Toscane

Le pain qui restait d’hier, avec un peu de beurre et beaucoup de Nutella, a constitué un excellent déjeuner. Nous étions enchantés que les Australicains préfèrent les toasts et nous laissent le pain frais. Nous avons également bu/mangé un Ciobar, ce chocolat chaud typiquement italien très consistant. Il y avait tant à manger dans ce gîte que nous aurions aimé revenir déjeuner tous les matins !

Nous avons pris la route vers 8h30, une demi-heure environ après les quatre compères anglophones. Nous avons marché un moment sur la route, rattrapant rapidement Mary et Claudia, une jeune pèlerine allemande que nous ne connaissions pas encore. Alors que nous empruntions ensuite un petit sentier sur les crêtes, nous les avons distancées et n’avons plus croisé personne pendant une bonne heure. Les paysages étaient tout à fait magnifiques. Nous progressions dans des champs secs et jaunis, avec une sublime vue sur les sommets alentour. Des collines tout autour de nous ; la plaine du Pô n’était plus qu’un vieux souvenir.

Le chemin s’enfonçait ensuite dans une belle forêt et montait jusqu’à un petit village. Nous y avons rattrapé les Australicains, qui se sont doutés de notre arrivée quand tous les chiens du patelin ont commencé à aboyer en sentant Logan approcher. Ils semblaient exténués par cette première ascension et ont fait une pause là tandis que nous continuions, nous sentant très en forme.

Sublimes paysages

Nous avons gambadé gaiement sur les crêtes pendant plusieurs kilomètres ensuite et étions éblouis par la beauté des paysages. Depuis le début du voyage, je me réjouis de la Toscane. En apercevoir les prémices m’a donné l’impression d’enfin effleurer le coeur de cette marche et me donne des ailes. Nous entrerons en Toscane seulement demain après le col de la Cisa mais les paysages des deux derniers jours nous laissent espérer que ce sera encore plus beau qu’escompté. Si nous avons déjà traversé des contrées superbes et été époustouflés par certains points-de-vue, ce sont ces campagnes vallonnées et sèches qui m’inspirent le plus, ces collines couronnées de villages en pierres. Plus que les forêts allemandes, plus que les montagnes et les lacs de Suisse. Je marche un rêve ici.

Peu avant 11 heures, nous avons atteint le village de Berceto. Nous méritons certainement d’être excommuniés car nous n’avons pas respecté les indications sur la porte sainte de l’église qui précisait qu’on pouvait entrer par là mais en aucun cas ressortir. Il fallait pour cela emprunter une autre porte qui donnait donc sur une autre rue. Comme Pascal patientait dehors avec Logan, cela n’avait aucun sens que je sorte par une autre porte et fasse le tour de l’église pour qu’il puisse à son tour visiter l’édifice… J’ai donc osé ressortir par la porte sainte. Pascal a remarqué que nous étions également tenus de réciter le Credo en pénétrant par là. Nous espérons que les foudres des cieux ne s’abattront pas sur nous pour nous punir de ces innommables affronts !

Après une courte pause, nous avons repris un chemin dans la forêt qui nous emmenait 400 mètres plus haut en cinq kilomètres. La montée s’effectuait cependant par paliers et n’était pas très ardue. La forêt nous apportait de plus ombre et fraîcheur. Nous avons aperçu plusieurs animaux sauvages sur ce tronçon : une longue vipère avec des reflets violets, un petit lapin brun et, attention ! des faisans ! Ceux qui ont pu suivre nos aventures en 2013 se rappelleront sans doute que l’un de nos ultimes objectifs consistait à voir des faisans. Nous en avions aperçu de très rares, une espèce chinoise, dans un parc du Puy-en-Velay et nous avions alors hésité à mettre immédiatement un terme à notre voyage. Mais nous avions néanmoins poursuivi avec l’espoir d’en croiser en liberté. En vain. Echec total. Voyage raté. Tandis que nous n’avions pas fixé un tel objectif cette fois, une certaine émotion et une sensation d’aboutissement ultime nous ont parcourus quand nous avons aperçu ces spécimens faisandés.

Passo della Cisa

Le seul gîte à la ronde se trouve deux kilomètres avant le col de la Cisa en dehors de la Via Francigena. Nous étions un peu déçus de devoir quitter l’itinéraire car nous voulions passer au Monte Valoria. La couverture de notre guide montre deux pèlerins exténués au sommet de cette montagne et nous voulions reproduire cette photographie. En nous rendant au gîte, nous rations ainsi cette opportunité… Nous nous sommes également sentis un peu freinés de devoir nous arrêter si tôt. Nous aurions aisément pu et voulu parcourir encore une dizaine de kilomètres mais il n’y a aucun hébergement avant Pontremoli 19 kilomètres plus loin.

Nous sommes donc arrivés vers 13 heures au gîte et avons pique-niqué dans le joli jardin. Nous avions laissé Logan libre, mais elle a ensuite aperçu les enclos des lapins et est devenue complètement folle. Elle faisait peur au plus gros des lapins, qui courait se réfugier de l’autre côté de l’enclos. Logan faisait le tour de l’enclos en courant, le lapin partait de l’autre côté, Logan faisait le tour, etc. Il nous a fallu plusieurs minutes pour l’attraper et l’attacher à la table, d’où elle a pleuré pendant tout le reste de l’après-midi à chaque fois que le lapin bougeait une oreille, qu’il avait en deux exemplaires plutôt longs.

Quatre autres pèlerins dorment également ici. Il y a Mary et Claudia ainsi qu’un couple d’Allemands soixantenaires. Lui doit s’appeler Jörg et nous surnommerons sa compagne Rosamund. Mary parle parfaitement français puisqu’elle a vécu très longtemps en France. C’est également le cas de Jörg et Rosamund se débrouille bien aussi. Tous les trois boivent beaucoup. Ils tenaient des théories sur l’alcool plutôt risibles, prétextant que boire une bouteille de vin par jour n’était pas du tout néfaste tant que le corps pouvait observer quelques semaines de repos de temps à autre, qu’il s’agit d’une question de gènes et d’habitude. Ils ont également dit qu’ils n’étaient pas pour autant alcooliques, mais ont ensuite expliqué que lorsqu’ils ne boivent pas pendant plusieurs jours ils ne parviennent pas à dormir et se sentent mal. Mon point de vue diffère légèrement sur la question…

Jörg est particulièrement horripilant. Il sait tout sur tout, a voyagé partout, a déjà tout vécu. Il est très extraverti et aime s’entendre parler. Avec un verre dans le nez, ou plutôt une bouteille, je ne vous raconte pas ! Il n’en demeure pas moins très cultivé et intelligent, mais il étale un peu trop sa science à mon goût. Elle est un peu mollassonne du genou. Elle parle doucement et lentement, s’applique à articuler chaque syllabe correctement, parle de religion et de sagesse. S’il faut le faire taire, il faut la secouer ! Mary est quant à elle plutôt sympathique et a beaucoup d'humour. Claudia semble aussi gentille mais elle peinait à s’imposer au milieu de ces forts caractères.

Nous avons mangé les restes des pâtes d’hier tandis qu’ils avaient pris le souper du gîte et nous regardaient avec un air apitoyé en nous voyant sortir nos petits Tupperware. Nous étions malgré tout satisfaits de ne pas avoir à manger avec eux car leurs sujets de conversation ne nous intéressaient pas particulièrement… Nous avons notamment relevé cette magnifique conversation entre Mary et Rosamund :

- “Il y a un proverbe français qui dit que tu ne vieillis pas à table.
- C’est vrai, la plupart des gens meurent dans leurs lits.”