Monastère privatif

Nous sommes partis peu avant 7h00 car l’étape comptait plus de trente kilomètres. Le chemin longeait une route importante sur plusieurs kilomètres et avec la brume matinale, la visibilité était réduite. Il n’y avait pas encore beaucoup de trafic mais nous n’étions pas rassurés de marcher là, visibles uniquement au dernier moment. Nous avons trouvé à plusieurs reprises des compromis entre la Via Francigena qui s’écartait en faisant des détours de plusieurs kilomètres et cette route trop dangereuse, en empruntant des petites routes parallèles à la grande. Ce début d’étape s’est malgré tout révélé fort inintéressant et le brouillard de plus en plus épais nous empêchait d’admirer d’éventuels paysages distrayants.

Nous avons fait une petite pause devant une église sûrement très belle derrière ce manteau de brume. Il faisait cependant bien trop froid pour que nous nous y attardions. Le chemin partait ensuite dans une forêt sur les hauteurs et le brouillard s’est dissipé, permettant au soleil de nous réchauffer avec bonheur et bonté. Nous avons enfin pu enlever nos pulls et avons lâché Logan qui s’impatient de marcher collée à nous pour éviter d’être écrasée par un camion. Des centaines de châtaigniers composaient ces bois ; le sol était tapissé de leurs fruits. Je rêvais alors d’une brisolée et parler de nourriture nous a semblé faire passer le temps un peu plus vite.

Nous avons rejoint un parc plein de châtaigniers une fois redescendus en plaine et y avons fait une pause plus longue. Le parc se situait à l’entrée d’un petit bourg médiéval fortifié absolument ravissant. Avis aux amateurs, le château est à vendre ! Après avoir traversé ce village, nous avons marché sur un nouveau tronçon de la Via Francigena qui permet d’éviter Villafranca. Nous avons suivi des petits sentiers dans la campagne, traversé une rivière et rejoint un autre village médiéval accroché au sommet d’une colline. C’est là que nous avons choisi de dîner, sur le banc d’un abribus. Nous ne risquions pas de trop perturber les usagers puisque seul un bus passe là une fois par semaine, les lundis… Les habitants de ce bled sont encore plus mal lotis que les Allemands !

L’après-midi, nous avons marché dans des forêts sur de petites collines. Nous n’avons pas traversé le moindre village, juste aperçu quelques maisons de temps en temps. Personne d’autre ne semblait se promener là puisque nous n’avons rien croisé d’autre que quelques serpents et des lézards. Le seul “événement” de la journée a été la découverte d’un chemin médiéval sur lequel nous avons marché un bon kilomètre. Ce sentier dallé a été aménagé il y a plus d’un millénaire pour faciliter le passage des pèlerins et des marchands tout en résistant aux dégâts causés par l’hiver et les précipitations. La seule chose que Pascal a dite quand j’ai eu fini de lire les explications sur cette voie, c’est : “Eh ben j’aime encore moins les Médiéveux que les Romains !” Effectivement, l’irrégularité des pierres rendait la progression fastidieuse et pénible. Les chemins de terre que nous avions arpentés jusque là nous paraissaient bien plus agréables !

Les châtaigniers ont petit à petit disparu pour laisser leur place à des fougères et des bambous, des feuillus verts clairs avec quelques premières feuilles orangées. Nous nous sommes égarés à un moment et nous sommes retrouvés dans un cul-de-sac, agacés d’avoir parcouru un bon kilomètre dans le vide sur une étape aussi longue et dans des décors si monotones. Nous avons alors fait une petite pause et avons remarqué que Logan était extrêmement fatiguée. Elle tremblait de tout son corps, son regard semblait perdu dans le vide. Nous n’étions pas certains que ce soit la fatigue, pensant qu’elle avait peut-être mangé quelque chose de mauvais. Comme nous étions paumés au milieu des bois, nous avons décidé d’accélérer le pas au cas où son état empirerait afin de rejoindre au plus tôt la civilisation. Logan nous a suivis résignée, motivée par les nombreuses récompenses que nous lui tendions. Une fois aux abords de la ville, nous avons marqué une nouvelle pause et Logan a pu dormir et récupérer des forces.

Aulla

L’entrée dans Aulla nous a semblé interminable. Nous avons une nouvelle fois dû marcher sur la route principale et les trop nombreuses voitures roulaient bien trop vite et bien trop près à notre goût. Il n’y avait pas de trottoir et les pistes n’étaient pas bien larges. Je trouve comme toujours hallucinant qu’ils n’arrivent pas à nous faire passer par des chemins plus sécurisés ou qu’ils n’aménagent pas un minimum les bords de ces tronçons pour faire des trottoirs. Nous avons atteint la ville sains et saufs et avons dû la traverser intégralement pour rejoindre le monastère. Nous avons été frappés par la laideur de la ville ! Les immeubles semblent dater pour la plupart des années 60 et n’ont absolument aucun charme. Vivre ici doit être plutôt plaisant puisqu’il y a de nombreux commerces et restaurants, des parcs, des parkings et c’est aussi propre. Mais c’est moche !

Une fois parvenus au monastère, nous avons été accueillis par deux bénévoles qui nous ont annoncé que les chiens n’étaient pas autorisés. Ils ont ajouté qu’il y avait déjà une vingtaine de pèlerins et voulaient nous envoyer au seul hôtel du centre, quand le prêtre est arrivé. Ce dernier nous a regardés, a souri en voyant Logan endormie, et nous a indiqué qu’il n’aurait pas eu de réticence à l’accepter s’il n’y avait pas déjà autant de monde. “Ce n’est pas idéal de la prendre dans un grand dortoir et vous ne pouvez pas la laisser seule dans une autre pièce, sinon elle va pleurer.” Le bénévole plus âgé a proposé de téléphoner à l’hôtel, mais le prêtre l’a interrompu et a demandé au bénévole plus jeune de nous conduire à un autre monastère. Il nous a dit de ne pas en parler pour éviter de susciter des jalousies mais que nous serions bien là-bas avec le chien. Le bénévole plus âgé semblait offusqué ; j’imagine que le règlement n’autorise pas cette exception. Le prêtre n’en avait que faire et paraissait uniquement se soucier de notre confort. J’ai trouvé sa réaction tout à fait admirable et cela nous a touchés de voir qu’il accueillait des pèlerins par conviction et amour et non pas pour gagner quelques euros. Le plus jeune bénévole nous a donc accompagnés jusqu’au monastère devant lequel nous étions passés à pied plus tôt, environ un kilomètre en amont. C’était un jeune homme originaire du Bénin, un grand gaillard qui vit à Aulla depuis une dizaine d’années et pourrait sans problème faire de la politique vu sa popularité ! Tout le monde s’arrêtait dans la rue pour le saluer ou lui poser une question, jeunes ou moins jeunes, hommes ou femmes. Il nous a présenté le monastère et nous a montré notre chambre, s’est assuré que tout était en ordre et est reparti.

Nous nous retrouvons donc seuls dans cette grande bâtisse. Au premier étage, il y a plusieurs petites chapelles, la sacristie, une porte qui permet d’accéder à l’église, deux salles à manger, une grande cuisine très bien équipée et quelques réduits. A l’étage, il y a des chambres avec au moins une vingtaine de lits et la possibilité d’ajouter des matelas au sol, plusieurs salles de bains, un petit salon et des pièces qui se situent autour du choeur de l’église, avec des vitraux qui, entrouverts, permettent de suivre la messe depuis en-haut. Je ne suis pas sûre que ce soit la principale fonction de ces pièces, par contre…

Notre chambre a une salle de bains privée et cela nous rassure de savoir que nous n’aurons pas besoin de traverser de longs couloirs obscurs si nous devons aller aux toilettes cette nuit. Parce qu’autant nous sommes heureux d’avoir une chambre, que dis-je, un monastère privé et non pas un dortoir bondé, autant c’est un peu effrayant d’être seuls dans cette grande baraque ! C’est néanmoins idéal avec Logan, qui ne sera pas inquiétée par les bruits des autres pèlerins, et je suis très reconnaissante envers le prêtre de nous avoir ouvert cette maison.

Pour demain soir, nous avons décidé d’appeler pour savoir si le gîte paroissial acceptait les animaux. Je suis tombée sur une vieille dame un peu bouchée et nous avons mené un superbe dialogue de sourds pendant plusieurs minutes avant que je ne décide d’abandonner le combat.

- “Allô ?
- Bonsoir, nous sommes deux pèlerins et aimerions dormir chez vous demain soir.
- Attendez. Oui c’est bon, il y a de la place.
- Et nous avons un chien avec nous. Est-ce ça irait aussi ?
- Un pain ?
- Un chien.
- C’est quoi un piain ?
- Non, un chien. CHien.
- Ah ! Donc vous êtes trois ?
- Non, deux pèlerins avec un chien.
- Je ne comprends pas… Il y a vous et Pain. C’est qui le troisième pèlerin ?
- Non Madame, il y a un homme, une femme et un animal à quatre pattes qui aboie.
- Alors vous êtes trois !
- Non deux.
- Mais c’est qui Pain alors ?
- …”

Je lui ai dit que je rappellerai plus tard et nous avons demandé à ma soeur de nous réserver une chambre d’hôtel qui acceptait les pains…