Balisage fantaisiste

Fritz le pèlerin

Nous avons pris la route vers 8h30 comme à notre habitude et avons fait une brève halte à la pharmacie. J’ai un début de cloque sur le pied droit et je ne voudrais pas que ça empire, donc un Compeed accompagne maintenant chacun de mes petits pas. Nous avons également refait le pansement de Logan. Même si elle ne boite presque plus, nous avons préféré assurer le coup et appliquer à nouveau une couche de pommade cicatrisante et désinfectante.

Devant l’église de Nördlingen, nous ne savions pas par où partait le chemin. Nous étions sur le point de sortir notre guide, quand nous avons aperçu un pèlerin qui venait d’un bon pas dans notre direction. Il avait l’air de savoir où il allait, donc nous l’avons attendu. Il avait une veste rouge, aussi le surnommerons-nous Fritz. Il nous a dit que la route à emprunter était en travaux et qu’il fallait plutôt partir à droite. Comme il nous voyait arrêtés là, il nous a demandé si nous avions des indications ou si nous allions au hasard. Nous n’avons pas osé lui avouer que c’était par pure fainéantise que nous n’avions pas daigné sortir le livre de notre poche, alors nous avons fait mine de contempler Daniel le clocher. Nous avons discuté un peu, mais sans comprendre grand chose de ce qu’il nous disait. Il articule très peu et parle tout doucement. Je lui souriais bêtement et il a dû le remarquer, car après cinq minutes il m’a demandé si je comprenais l’allemand… Il ne devait pas vouloir marcher un bout avec nous, parce qu’il s’est arrêté à un moment pour photographier une maison tout à fait banale et nous a dit “à plus tard, peut-être !” Nous avons visité une église une cinquantaine de mètres plus loin, mais ne l’avons pas vu passer. Il a dû aller boire un café pour être certain qu’on le sème. Pour le coup, ça nous arrangeait aussi. C’était néanmoins sympa de rencontrer un autre malheureux comme nous.

Mémorial d’Albuck

Nous avons quitté la ville par un grand parc boisé où nous avons croisé plein de promeneurs de chiens. Logan aurait sans doute aimé pouvoir jouer un peu avec eux (les chiens, pas les promeneurs) mais nous la tenions en laisse pour éviter qu’elle ne fasse trop la folle avec son pansement. Cette promenade s’est poursuivie dans des champs pendant quelques kilomètres, puis le chemin nous a conduits sur une colline sauvage, recouverte de fleurs des champs. Nous nous serions crus à l’alpage, l’altitude en moins (nous étions à 535 mètres au dessus du niveau la mer). Le chemin était à peine visible sur cette section et nous avons progressé un peu au hasard. Nous avons ensuite atteint un monument pyramidal dédié aux plus de 12’000 hommes décédés là le 6 septembre 1634, pendant la Guerre de Trente Ans. Il y avait des explications sur deux faces de la pyramide, et de nombreux excréments humains à sa base. Pour mieux situer ce mémorial, il se trouvait au milieu d’un champ, en pleine nature, avec quelques arbres ça et là. Quelle idée saugrenue d’aller déféquer sur le mémorial et non pas contre un arbre ou juste trente mètres plus loin, sur un pissenlit…

Nous avons fait une halte sur les marches d’un petit couvert situé non loin, puis avons repris la route. Enfin, nous avons essayé. Nous n’avons aperçu aucune indication du chemin de Compostelle et notre guide s’avérait inutile, puisque nous ne savions pas précisément où nous nous trouvions en raison de l’absence de réel sentier dans cette prairie. Nous avons donc suivi un panneau de randonnée, avons rejoint un village au pied de la colline et regagné le chemin un peu plus loin.

Il a commencé à pleuvoir quelques minutes après que nous avons quitté le couvert. Nous nous sommes empressés de recouvrir nos sacs et enfiler nos K-ways. Nous avons également ôté le bandage de Logan, car il semblait la gêner. Une fois re-repartis, la pluie a cessé. C’est toujours comme ça que ça se passe, nous n’étions pas surpris… Nous avons quand même poursuivi avec les imperméables, pour nous assurer qu’il ne recommencerait pas à pleuvoir. Le problème en marchant avec les K-ways, c’est que ça crée un effet de serre et que nous marinons petit à petit. Au final, nous sommes trempés avec ou sans.

Ruines de Niederhaus

La route montait ensuite et offrait deux options : continuer tout droit sur une courte distance ou faire une boucle de 2 kilomètres environ pour monter jusqu’aux ruines d’un château. Soyons fous, nous allons au château ! Il avait l’air beau depuis le pied de la colline et nous sommes encore tous frais. Nous retirons les K-ways pour ne pas décéder de chaud dans l’ascension et nous montons. Une fois en-haut, nous avons la joyeuse surprise d’arriver face à une barrière qui interdit l’accès aux ruines, indiquant qu’elles ne sont pas sécurisées et que des pierres peuvent tomber. Bande de couillons ! Ils n’auraient pas pu préciser ça plus tôt ? Nous sommes un peu vexés et décidons de passer malgré tout. (Pour rassurer nos chères mères qui là nous imaginent en grand péril, sachez que nous avons survécu.) Nous faisons bien attention à ne pas recevoir de donjon sur la tête, même si nous nous disons que ça reste une mort assez honorable.

Nous traversons les ruines sans qu’aucune pierre ne s’abatte sur nos délicieuses personnes, puis découvrons la “sortie des ruines”. En gros, il y a le château, le chemin qui continue sa course juste après, et un bon mètre huitante de différence d’altitude entre deux. Il y a malgré tout une petite rambarde pour sécuriser le tout. Cette descente ne doit pas être problématique en temps normal, mais avec un chien et les sacs-à-dos c’est autre chose ! Pascal est descendu en premier, nous avons treuillé Logan avec sa laisse, puis j’ai suivi. C’était un peu scabreux mais le détour en valait quand même la peine.

Balisage hasardeux

Le chemin menait ensuite à une intersection à laquelle aucune coquille n’était visible. Des panneaux étaient destinés aux randonneurs, mais ils ne mentionnaient aucun village que nous devions traverser. Nous nous tenions face à ces indications inutiles, perplexes, quand la pluie a repris violemment. Vite, nous recouvrir ! Nous étions sur le point de guigner dans notre guide la direction à prendre, sans trop tarder pour ne pas le tremper, quand un monsieur est venu vers nous dans une énorme machine de chantier en klaxonnant. Nous pensions qu’il voulait que nous dégagions le passage, mais après deux minutes à gesticuler dans notre direction et klaxonner, il a coupé le moteur et nous a gentiment dit : “c’est cette route-là, le chemin de Saint-Jacques ! Il faut aller par la forêt en longeant une petite rivière et ensuite à gauche sur un joli chemin jusqu’à un village.” Nous avons suivi ses instructions sous une pluie battante, vérifiant de temps à autre par dessus notre épaule que le château déjà lointain ne crachait pas ses pierres sur Fritz, qui arrivait peut-être à ce moment devant la route barrée.

Des triangles bleu ciel balisaient le chemin et correspondaient aux indications du monsieur. Après un bon kilomètre dans la forêt, nous avons tourné à gauche et atteint de nouvelles instructions. Toujours pas de coquille, mais une indication vers un village à mi-distance de notre parcours. Nous avançons une centaine de mètres dans la direction indiquée, avant de nous retrouver à un nouveau carrefour. Pas de coquilles, ni de triangles bleus. Nous observons un instant et apercevons plus loin un triangle rouge. Bon, suivons celui-là… Après quelques signes, nous réalisons qu’il y a un petit carré sur leurs bords. Nous nous approchons et constatons qu’il s’agit bien de coquilles, mais en format gommettes. Des minuscules autocollants d’un centimètre carré ont été aposés là pour rassurer le pèlerin aux bons yeux. Nous nous renfonçons dans la forêt, la pluie a cessé, et nous décidons de lâcher Logan. Cela fait deux jours que nous la tenons en laisse et elle a besoin de se défouler. Elle court avec des bâtons, des pives, dans le ruisseau, ne s’arrête pas. Elle n’a pas dû remarquer que nous avons marché environ 150 kilomètres en quelques jours… La distance ne semble pas avoir d’effet sur elle, uniquement la chaleur. Comme il fait froid et mauvais, elle est au taquet !

Monastère de Christgarten

Nous quittons les bois et atteignons Christgarten, situé exactement à mi-parcours. Un monastère en ruines, indiqué et illustré dans notre guide, est signalé 200 mètres plus loin. Nous décidons toutefois de faire une pause dans une remise de bois, ignorant si nous trouverons un endroit sec vers les ruines. Au moment de repartir, nous scrutons les alentours, cherchant le monastère. Nous parcourons 100 mètres, 200, 500, 1 kilomètre, pénétrons dans une réserve de chasse, et toujours pas de monastère. Nous reprenons notre guide et relisons les instructions, qui précisent bien que le monastère se trouve juste au bord du chemin. Nous nous rendons à l’évidence : nous l’avons raté. Je ne sais pas comment c’est possible, d’après la photo c’est quand même une chapelle entière avec des bouts de murs tout autour… Peut-être que celui-là aussi s’est abattu sur Fritz, disparaissant alors dans les hautes herbes…

Balisage vraiment foireux

Dans la forêt après l’hypothétique ruine de Christgarten, nous ne voyions toujours pas de coquille, plus de triangles bleus ou rouges, mais ça et là des “Y” horizontaux rouges. Au début, nous avons pensé qu’ils allaient avec les triangles rouges et indiquaient les intersections, mais en fait non. C’était juste le nouveau balisage d’on ne sait quel chemin. Ces “Y” ont ensuite cédé leur place à des ronds jaunes, toujours sans raison apparente. Dans cette réserve, nous avons aperçu une biche et son faon déjà bien grand, ainsi qu’un renard. Par chance, nous les avons à chaque fois vus avant Logan, qui était trop préoccupée à chercher un nouveau bout de bois à se lancer.

Nous avons marché pendant ce qui nous a semblé une éternité, avant de ressortir des bois et nous arrêter sur une route de campagne pour pique-niquer. Nous avons ouvert notre guide et tenté de nous repérer, mais c’était impossible en raison de l’absence de points de repère. Nous n’étions même pas convaincus d’être encore sur le chemin, le balisage se révélant trop approximatif. Nous avons estimé plus ou moins notre emplacement, pensant qu’il nous restait 6 ou 7 kilomètres et partant du principe que nous étions sur la bonne voie. Nous avons par la suite compris qu’il nous restait en tout cas 9 kilomètres à ce moment, et nous ne comprenons toujours pas comment c’est possible…

Les paysages autour de nous étaient splendides. Le soleil pointait à de rares occasions le bout de ses rayons, illuminant alors les champs de blé de façon spectaculaire. Les nuages recouvraient le ciel tel un drap, bosselé par endroits comme si quelqu’un s’y était allongé. Quelques centaines de mètres après l’endroit où nous avons dîné, nous avons été stoppés net, ébahis par la beauté du paysage qui se dessinait devant nous. Un champ doré, séparé du ciel par une forêt presque noire. Quelques gros nuages blancs au ras des sapins, légers et bosselés tels des angelots sur une peinture renaissante, une bande de ciel d’un bleu glacial puis une épaisse couche de nuages menaçants. C’était intense, magnifique, on aurait dit le Canada. Enfin, pas vraiment, mais c’est ce que j’ai pensé sur le moment et je trouve que ça apporte du piment au récit.

Nous nous sommes rapidement retrouvés à nouveau dans une forêt et le balisage a continué à nous jouer des tours. A un croisement, le rond jaune indiquait de prendre à gauche. Une coquille était également miraculeusement présente et n’était pas soulignée d’une flèche. Dans ce cas, ça signifie tout droit. Nous étions sceptiques. Il nous semblait que nous devions aller à gauche, mais la présence soudaine d’une coquille nous a laissé penser que le chemin de Saint-Jacques se détachait des autres chemins au balisage fantaisiste. Nous avons donc poursuivi tout droit pendant plusieurs centaines de mètres, puis la route tournait à gauche. D’accord, nous repartions dans la direction qui nous semblait logique. Sauf qu’après encore quelques centaines de mètres, le chemin virait à gauche à nouveau… Si vous n’êtes pas doués pour vous représenter deux gulus dans une forêt, je vous le fais plus simple en disant que nous revenions en arrière. Après encore des centaines de mètres, nous avons rejoint le chemin au rond jaune que nous n’avions pas emprunté. Si vraiment vous ne visualisez toujours pas la scène, nous avons parcouru trois des quatre côtés d’un carré, au lieu de tirer une ligne droite, forcément beaucoup plus courte. Sur le moment, autant dire que nous fulminions.

Hohlenstein et Hohlenstein bis

Arrivés à hauteur du village d’Hohlenstein, nous savions qu’il nous restait une heure de marche. Nous nous sommes motivés et avons continué à avancer, plus ou moins au pif car le balisage était de plus en plus aléatoire. Après une bonne demi-heure, nous sommes arrivés à hauteur du village ...d’Hohlenstein. Pardon ? Nous avons compris alors que le précédent village, bien plus grand et significatif, ne figurait pas dans notre guide, mais ce minuscule hameaux de trois fermes et quatre canards oui. Il nous restait donc une heure de marche à nouveau. A partir de là, c’est devenu long.

Neresheim

Nous avons fait des jeux pour faire passer le temps, devinant des films, des personnalités, etc. Le balisage était de pire en pire et nous avons dû interrompre plusieurs fois nos devinettes pour jouer à chercher le chemin. Nous nous sommes trompés plusieurs fois, faisant encore des mètres en plus. Je ne sais pas par quel miracle nous avons atteint la chapelle de Maria Buch, dans laquelle se recueillait un jeune homme. Le pauvre, il n’a pas dû réussir à se concentrer longtemps, car un groupe de personnes handicapées est arrivé peu après. Ils essayaient de faire une photo de groupe juste un peu plus loin, et tous parlaient fort et joyeusement. Logan les entendait sans les voir, aussi aboyait-elle. Une des personnes handicapées poussait de longs cris perçants à intervalles réguliers. Nous avons quitté ce lieu assez rapidement, permettant au pauvre homme de n’être au moins plus dérangé par notre chien.

La route montait ensuite jusqu’au monastère de Neresheim, avant de redescendre dans le village. Le village ! Enfin ! D’après le guide, l’étape mesurait 24 kilomètres. Selon nos jambes et nos têtes, nous en avons au moins parcouru 28. Avec tous les détours, les allers-retours pour trouver la bonne voie, les erreurs de balisage, 24 semble vraiment peu !

Notre hôtel ne paie pas de mine de l’extérieur, surtout avec ses vitres cassées et son enseigne déchirée sur laquelle on ne peut lire le nom de l’hôtel. En réalité, un camion a pris feu dans la rue il y a quelque semaines, et la façade de l’immeuble a subi de gros dégâts. Surtout cette enseigne verticale en plastique qui devait à l’époque s’illuminer, avec une lettre par carré jaune. Elle a fondu et dégouliné, puis s’est figée ainsi.

L’hôtel est très bien et notre chambre parfaite. Ce n’est pas du grand luxe, mais c’est très bien et ça nous change des trois hébergements un peu cradouilles que nous venons de fréquenter. Nous regrettons juste un peu la télé excurvée d’hier, grâce à laquelle nous avons réalisé que les Jeux Olympiques avaient débuté. Une télé excurvée, c’est comme une télé incurvée, mais la courbe est dans l’autre sens. C’est une très vieille télé quoi.

Nous avons fait un saut à la pharmacie du village, car j’ai été piquée par un insecte dimanche et la réaction nous paraît un peu disproportionnée. C’est chaud, rouge et dur sur une quinzaine de centimètres carrés. La moitié du mollet quoi… La pharmacienne nous a vendu une pommade et nous a indiqué les symptômes à surveiller pour reconnaître une infection du sang, qui pourrait s’avérer fatale et donc problématique pour la suite des aventures. Mais comme nous avons déjà survécu au donjon lanceur de pierres, je pense que je ne risque plus rien.