Les tours et les touristes de San Gimignano

Le brouillard était épais quand nous avons quitté le gîte peu après 9 heures. Il pleuvait un peu et les températures ont chuté depuis quelques jours. C’est bien emmitouflés que nous sommes sortis braver ces conditions peu réjouissantes et que nous avons grimpé jusqu’au village perché et thermal de Gambassi. Sans doute que si nous avions pu voir les maisons, nous les aurions trouvées jolies. Mais pour le coup, c’était un peu flou et blanc… A la boulangerie, nous avons retrouvé Concetta et André qui sont tous deux tombés malades. Ils ont prévu de rester deux nuits à San Gimignano et par chance leur médecin doit les retrouver ce soir en ville, aussi pourront-ils profiter de ses services. Je les trouve chanceux, car si c’était nous qui pour d’obscures raisons avions rendez-vous ce soir avec un médecin, nous tomberions malades demain matin… Petits veinards !

Après avoir papoté et acheté du déjeuner, nous avons atteint le centre du village. Uniquement pour réaliser que nous faisions le tour de toutes les petites ruelles avant de revenir presque au point de départ et poursuivre sur la route en direction de San Gimignano. Pour une fois que la Via Francigena conduit au centre, nous n’avions besoin de rien et le brouillard nous empêchait de voir quoi que ce soit…

Le ciel s’est gentiment découvert et nous avons marché toute la matinée sur des chemins en terre ravissants au milieu de la campagne vallonnée de Toscane. Il y avait beaucoup de pèlerins et nous avons dépassé Jörg et Rosamund après quelques kilomètres. Ils se trouvaient en compagnie de quatre autres Allemands que nous ne connaissions pas et n’avons pas revu ensuite. Un peu plus loin, nous avons croisé les Bernois d’hier soir et ils étaient découragés de nous voir passer si vite alors que le sentier montait. Nous pouvions cependant apercevoir au loin des petits sacs-à-dos colorés qui avançaient tout aussi vite que nous, puisque nous ne les avons jamais rattrapés.

Pancole

A Pancole, une église forme un petit pont au dessus de la route. Cela pourrait se révéler très joli, sauf que l’église en question est plutôt moderne et quelconque. Du coup, nous nous sommes juste écriés à voix basses en la voyant : “Oh ! une église-pont un peu quelconque…” Une crèche permanente a été aménagée dans une sorte de cave sous l’édifice, avec des personnages à taille humaine. Des bergers en plastique semblent descendre les marches qui mènent vers le petit couloir souterrain, au fond duquel se trouve la crèche et le petit Jésus, ce joyeux bambin potelé blond aux yeux bleus. Je ne suis pas sûre que j’oserais m’y rendre seule de nuit, avec tous ces bonshommes figés aux sourires niais partout autour…

L’intérieur de l’église ne nous pas non plus procuré d’émotion particulière. Les quatre Suisses Allemands aperçus hier y faisaient une pause et un prêtre recevait la confession d’un fidèle. Nous sommes ressortis et nous assis sous une arche devant l’église, entendant nos compatriotes chanter des alleluias en canons à l’intérieur. Nous avons mangé une pomme et une petite tranche de pizza, puis nous avons rigolé comme des bossus en lançant les trognons en direction de la poubelle placée à vingt mètres de nous, car cela nous embêtait de nous déplacer. Si ma pomme n’est pas passée loin de la cible, atterrissant dans un verger un peu plus loin, celle de Pascal s’est élevée très haut dans le ciel avant de misérablement retomber juste devant nous. Il s’est levé pour aller la chercher et retenter sa chance, ayant le bonheur de faire voler une deuxième fois son trognon ardent et de complètement louper la poubelle à nouveau. Nous avons ensuite marché jusqu’à la poubelle, devant laquelle passait le chemin, pour jeter le papier de la pizza.

San Gimignano en vitesse

A partir de là, nous avons progressé pendant environ une heure sur une petite route dans la forêt, puis à nouveau dans les champs. Nous pouvions apercevoir les tours de San Gimignano sur une colline voisine mais cette vue s’est avérée moins impressionnante qu’escompté. Cette petite ville comptait au treizième siècle plus de septante tours de défense. La peste, les batailles et la situation économique ont ensuite conduit la ville à s’écrouler petit à petit et il ne reste aujourd’hui que treize tours intactes. Depuis là où nous arrivions, nous n’en discernions malgré tout pas autant et les gros nuages toujours présents ternissaient encore plus le tableau.

Une fois au centre, nous avons à la fois été frappés par le charme de la large rue marchande que nous foulions et l’aspect touristique des lieux. Les maisons en pierres un peu orangées sont parfaitement entretenues et restaurées, permettant aisément à l’esprit de vagabonder et imaginer cette ville au Moyen-Âge. Bien que j’avais déjà visité San Gimignano il y a quelques années, je ne me souvenais plus que c’était aussi beau et le charme a immédiatement opéré. Cependant, il y avait des centaines de touristes dans les artères principales et nous devions par moments nous frayer un chemin entre eux. Les boutiques, toutes plus pittoresques les unes que les autres, proposaient souvenirs et produits locaux dans des salles voûtées aux vieilles poutres apparentes. Comme à Lucca, nous nous sommes vite sentis oppressés et agacés par cet aspect touristique et avons rapidement avancé jusqu’à la place centrale. Le dôme ainsi que plusieurs hautes tours encadrent la place, la rendant aussitôt imposante et sublime. Nous avons fait un saut à l’office du tourisme pour obtenir un plan de la ville et demander l’emplacement de l’hébergement où nous avions réservé plus tôt deux lits. L’officière du tourisme (la tourismière ?) nous a indiqué qu’il se trouvait deux kilomètres après la ville, vers le camping. Le gîte pour pèlerins au centre coûtait environ 60 euros pour deux, tandis que celui-ci demandait trois fois moins. Pour deux bêtes lits dans un dortoir, sans déjeuner ni draps, 60 euros nous semblaient excessifs… Aller un peu plus loin nous permettait de plus d’écourter un peu la longue étape de demain, tandis que celle-ci était une des plus courtes.

Village des pèlerins

Il était midi passé et nous avons acheté une tranche de pizza que nous avons mangée en sortant de la ville. Pour notre plus grand regret, elle n’était pas très bonne. Nous avons marché ensuite pendant ce qui nous a semblé une éternité jusqu’au camping. Nous avions l’impression d’avoir parcouru au moins cinq kilomètres et plus nous avancions, plus nous nous agacions car nous souhaitions retourner à San Gimignano pour visiter un peu. En réalité, nous n’avons marché qu’une vingtaine de minutes. Comme nous ne voyions aucune indication du soi-disant “Village des pèlerins”, nous avons demandé notre chemin à un monsieur. Ce dernier nous a indiqué le camping. Malgré notre scepticisme, nous nous sommes rendus à la réception du camping et une jeune femme nous a annoncé qu’ils venaient d’aménager ce “Village des pèlerins”. Je lui ai conseillé de mettre un panneau le long de la route, car nous pensions arriver à un gîte normal et n’aurions jamais songé à aller dans le camping si le monsieur ne nous avait pas renseignés. Elle a simplement répondu que c’était tout neuf et que peut-être ils envisageraient une fois de mettre des indications.

En réalité, ce village consiste en une dizaine de bungalows très simples disposés à l’entrée du camping. Ils peuvent être loués par les vacanciers normaux mais certains sont réservés pour les pèlerins qui dorment là à un prix préférentiel. En entrant dans notre bungalow, nous avons tout de suite constaté qu’il était en effet tout neuf. La petite pièce contient trois lits et armoires ainsi qu’une table sous laquelle se trouve un frigo. Une porte sur la droite, sous la climatisation, permet d’accéder à une salle de bains. J’étais enchantée en comprenant que nous dormirions dans ce petit cocon tout nouveau et propre et non pas dans un dortoir vieillot avec d’autres pèlerins qui ronflent. C’est vraiment idéal pour une nuit ! Nous bénéficions également d’une terrasse avec table et chaises mais la pluie venait de commencer à tomber et il faisait un froid à glacer un esquimau. Luxe ultime à l’intérieur : la climatisation faisait aussi chauffage et nous avions des duvets ! Aux chiottes les petits draps tous fins dans lesquels on meurt de froid ! Nous avons immédiatement allumé le chauffage, passant une bonne demi-heure chacun à essayer tous les programmes et appuyer sur tous les boutons pour que de l’air chaud sorte enfin de l’appareil. Nous l’avons laissé allumé quand nous sommes repartis afin qu’il fasse bon chaud à notre retour.

San Gimignano sous la pluie

Nous sommes retournés à San Gimignano en bus vers 16 heures et avons réalisé que le dernier bus vers le camping partait de la ville trois heures plus tard. Si nous mangions au centre comme nous l’avions prévu, nous devrions rentrer à pied et dans la nuit. Nous avons alors décidé de nous promener un moment, boire un thé éventuellement et retourner plus tôt au camping puis souper au restaurant de celui-ci. Le bus a bien mis dix minutes pour nous déposer, puisqu’il ne s’est pas arrêté la première fois qu’il s’est trouvé tout près de la porte d’entrée fortifiée. Comme il s’agissait d’un minibus à huit places et que notre style équivalait à écrire “touristes” sur nos fronts, nous avons pensé que le chauffeur nous laisserait sortir au moment le plus opportun pour que nous puissions rejoindre le centre. Quand nous avons vu que nous nous éloignions de la ville sans qu’il ne se soit arrêté et que nous partions dans des petits bleds voisins, nous nous sommes dit qu’il était un peu concon et que nous resterions plus longtemps au chaud en attendant le trajet retour. En fait, nous n’avons rien compris à l’itinéraire et quelques minutes plus tard le chauffeur nous déposait devant la porte d’enceinte, tout gentil qu’il était.

Il a commencé à pleuvoir des bidons quand nous avons mis un pied au centre. En quelques secondes à peine, nos pantalons étaient trempés et nous sentions l’eau dégouliner du K-way et mouiller jusqu’à nos culottes. L’avantage, c’est qu’il n’y avait alors plus un chat en ville. Enfin, sauf nous deux, pauvres pignoufes détrempés. Nous avons acheté une glace dans une gelateria se vantant d’être la meilleure au monde et avons été très déçus par les goûts artificiels. Francesca et Andrea arrivaient à ce moment-là et semblaient heureux malgré les averses. Ils avaient emporté avec eux un grand parapluie, luxe qu’ils oublieront peut-être s’ils repartent marcher plusieurs semaines… Comme ils dorment chez des parents d’Andrea ce soir, ils pourront faire sécher leurs vêtements et se réchauffer facilement. Ils appréhendaient un peu la longue étape de demain, ayant mal partout et ne sachant pas s’ils sont capables de marcher plus de trente kilomètres. Comme il s’agit de leur dernière étape, j’espère qu’ils arriveront au bout !

Après avoir arpenté différentes rues sans ressentir l’envie d’entrer dans la moindre boutique, nous avons décidé de retourner au camping. Nous avons acheté une deuxième glace chez un glacier qui a remporté deux fois le championnat du monde des glaces. Je ne sais pas trop ce que vaut ce titre mais il y avait en tout cas la queue devant sa boutique. Nous attendions notre tour sous la pluie plus légère quand nous avons aperçu Marco. Il est malade depuis hier et va ce soir chez une amie à Volterra. Il a choisi d’écourter l’étape de demain pour se ménager un peu et nous le rejoindrons au gîte. Nous avons dû choisir en vitesse les arômes de nos glaces car les vendeuses étaient stressées et stressantes et les clients suivants nous poussaient pour avoir leurs cornets… Les glaces étaient cette fois bonnes et artisanales mais ne nous ont pas semblé divines non plus. Pour nous, c’est le petit monsieur de Fiorenzuola qui mérite toujours son titre de meilleur glacier de la Via Francigena !

De retour au camping

Nous avons fait quelques emplettes dans un supermarché, achetant notamment des joghurts pour demain matin puisque nous avons un frigo. Il n’y avait ensuite pas de bus avant une demi-heure et nous avons préféré rentrer à pied au camping plutôt qu’attendre. La pluie avait de plus cessé et quelques rayons de soleil perçaient à travers les nuages. La vue sur San Gimignano lors du trajet retour était des plus belles, avec ces tours imposantes qui semblaient dominer les vignes et les oliviers en contrebas. Les couleurs étaient franches et lumineuses ; c’était sublime et nous étions heureux d’être rentrés à pied pour profiter de ce spectacle.

Il faisait chaud dans notre petit bungalow et j’ai pris une longue douche bouillante. Nous avons ensuite lu un peu avant de nous rendre au restaurant. Le serveur nous a assis à une table à quatre et, alors que nous lisions le menu, Giacomo est arrivé. Il s’est joint à nous sans même nous poser la question et cela nous a fait plaisir de passer la soirée avec lui et qu’il ne mange pas tout seul. Quand il a appelé pour réserver un lit ce matin, toutes les places étaient prises. Il a ensuite croisé un couple d’Italiens qui marchaient juste deux jours et avaient encore un lit de libre. Il a ainsi pu dormir avec eux et n’a pas eu besoin de planter sa tente dans la boue et par ce froid glacial. Pascal et moi avons craqué pour le plat le plus hivernal de la carte : sanglier et polenta, tandis que Giacomo optait pour des pâtes. Cela nous a fait un bien fou de manger chaud et nous avons passé une très belle soirée.

Nouvel objectif

Depuis quelques temps, Pascal et moi nous disons que nous devrions aller voir un match de l’AS Roma une fois arrivés. Comme ça, nous pourrions dire que nous allons à Rome voir Francesco, mais pas le pape, Totti. Giacomo a regardé le calendrier des matches sur son natel et il advient que la Roma reçoit Palermo le dimanche 23 octobre. Pile quand nous devrions arriver ! Voilà donc la nouvelle raison de notre marche quand des personnes trop bigotes nous questionnent : un match de foot !