Au Moyen-Âge

Nous étions bien heureux d’avoir le chauffage dans notre petit bungalow. La température extérieure était très basse et les fines parois de la caravane n’isolaient rien du tout. Il faisait donc bon chaud quand nous nous sommes réveillés et, après avoir écarté les rideaux, nous n’avions guère envie de mettre le nez dehors. La pluie était tombée toute la nuit et le brouillard masquait les arbres que nous étions certains d’avoir aperçus la veille. Nos habits et chaussures étaient toujours humides et c’est avec résignation que nous les avons enfilés, préférant garder les secs pour nous changer en arrivant au gîte. Nous avons déjeuné à l’intérieur de notre cocon douillet et avons pris la route vers 7h30. Quelle fricasse ! Nous avions à nouveau revêtu pantalons et pulls mais nous regrettions ne pas avoir dans nos bagages un bonnet ou des gants.

Et puis notre peine a été vite oubliée, quand depuis le parking du camping nous avons cherché San Gimignano à travers la brume. Le village avait disparu, tout comme la colline qui le porte fièrement. Alors que nous scrutions les nuages, les tours et clochers de San Gimignano ont subitement surgi de nulle part, nous offrant un spectacle des plus saisissants. Le village semblait flotter sur des nuages un peu rosés par les faibles rayons du soleil levant. Une vision de film fantastique. C’était tellement irréel que j’étais sûre qu’un poney ailé pétant des arcs-en-ciel allait sauter de donjon en donjon en poussant des cris rauques. Et puis le village a été ravalé par le brouillard avant que je ne puisse admirer cette scène.

Nous avons repris la route avec cette belle image en tête et pensions que la matinée serait agréable si la brume se dissipait ainsi petit à petit. Malheureusement, cela n’a pas été le cas puisque nous avons perdu de l’altitude pour mieux nous enfoncer dans les nuages. Nous avons marché ainsi pendant près de deux heures, incapables d’admirer les hypothétiques beaux paysages qui nous entouraient. L’air était lourd et humide, apportant de la buée sur mes lunettes comme si une deuxième couche de brouillard s’avérait nécessaire. Le sol était argileux et très glissant, la terre s’agrippant aux chaussures pour les alourdir. Je craignais parfois que ma chaussure ne reste engluée et que je continue à avancer en chaussettes. La progression fastidieuse et ralentie par le terrain mêlée à la brume désolante ont rendu ce début d’étape quelque peu ennuyant.

Colle di Val d’Elsa

Arrivés à un carrefour, la Via Francigena se séparait en deux variantes. Nous avions prévu d’emprunter la voie officielle après avoir lu que les paysages étaient splendides, mais nous avons finalement opté pour l’alternative qui suit plus de routes goudronnées. Le nombre de kilomètres s’avérait plutôt identique, mais éviter de marcher toute la matinée dans la boue nous semblait une bonne option. Comme en plus le brouillard ne se dissipait pas, nous savions que nous ne pourrions pas profiter des points de vue annoncés et nous avons préféré traverser le village Colle di Val d’Elsa et son bourg médiéval. Après quelques kilomètres sur une petite route, nous avons atteint un village et nous sommes réfugiés dans l’église pour faire une pause. Il faisait bien trop froid pour rester sur un banc à l’extérieur ! Sans être parvenus à nous réchauffer, nous avons repris la route en grelottant comme des grelots et avons marché jusqu’au village de Colle di Val d’Elsa. Quelle beauté ! Le village historique, perché sur une colline, est composé de vieilles maisons en pierres plus belles les unes que les autres. Des murailles ceignent ce centre, avec de grosses et épaisses tours rondes aux angles. Il n’y avait pas beaucoup de touristes et cela a contribué à nous faire plus apprécier la traversée qu’à San Gimignano. Peut-être que ce village grouille aussi de touristes en été, mais un dimanche matin d’octobre, la visite est appréciable. La brume s’est d’ailleurs dissipée quand nous avons pénétré les murailles et les rayons du soleil ont immédiatement réchauffé nos doigts violacés. Nous sommes ensuite redescendus jusqu’au village récent, dont la place centrale est également tout à fait charmante. Il s’agit tout simplement d’un des plus beaux villages que nous avons traversés et nous étions heureux que la brume nous ait poussés à quitter le tracé officiel de la Via Francigena.

Fête de la châtaigne

Nous avons marché près de deux heures après le village sur des sentiers en gravier relativement plats et désertés par les automobilistes. Ce n’était pas du tout dangereux (je précise cela pour ma tendre mère qui s’inquiète de nous savoir sur des routes passantes et périlleuses). Les paysages autour de nous étaient à nouveau complètement différents des derniers jours : nous nous trouvions sur une sorte de plateau avec beaucoup de vignes mais sans les collines caractéristiques de la Toscane. La température était devenue agréable au soleil et nous pouvions à nouveau marcher en t-shirt.

Nous avons décidé de dîner à Strove, là où notre chemin alternatif rejoignait le tracé officiel. Il y avait dans ce tout petit village la fête de la châtaigne. Un stand de nourriture proposait quelques spécialités locales et des stands d’artisanat étaient disséminés dans le village. Pascal a craqué pour un panini à la saucisse tandis qu’évidemment je me ruais avec entrain et joie sur des châtaignes. Cela compense un peu toutes les brisolées que je rate à la maison… Nous avons mangé sur un banc dans le jardin public, derrière un stand qui vendait des boules de Noël en tissu à la beauté très relative. Quand il a commencé à pleuviner, nous avons vaillamment changé de banc pour nous installer sous un cyprès.

Monteriggioni

Nous avons entrepris les sept derniers kilomètres après nous être bien reposés. Il faisait à nouveau très froid mais par chance la pluie n’a pas duré. Le soleil a repris le dessus sur les nuages après un petit moment et nous avons pu profiter pleinement de la fin de l’étape. Nous avons suivi un sentier en gravier depuis un très joli hameau jusqu’à Monteriggioni, que nous voyions couronner une colline. Le village est composé de quelques maisons en pierres et est entièrement entouré d’une épaisse muraille. Une quinzaine de tours viennent renforcer cette défense à intervalles réguliers. Vu d’en bas, on dirait que les plans ont été réalisés par un gamin de quatre ans tant les fortifications sont régulières et correspondent à l’image qu’un enfant peut s’en faire : une colline, une muraille en rond tout autour, des tours pour former des sortes de grands créneaux. Une village de bande dessinée, de film d’animation. Mon esprit vagabondait aisément alors que nous avancions dans des champs retournés à la terre presque rouge et que nous nous approchions gentiment de ces beaux murs d’enceinte. J’imaginais des chevaliers secourir cette pimbêche de princesse qui oublie toujours les clés et reste coincée dans la tour, des dragons survoler les remparts, des bandits dans la forêt en contrebas, une bataille sanglante avec des catapultes et les petits Monteriggionesi qui lancent de l’huile brûlante, des enfants et des glaces sur les assaillants… Euh ! Des glaces ? Ah oui, je commençais un peu aussi à me languir d’arriver pour déguster une glace qui marque la fin de presque chacune de nos étapes. Mais bon, il restait encore un bon kilomètre et j’ai réussi à focaliser mon esprit sur des jets d’huile bouillante sans glace, tout en entonnant et inventant des musiques de film pour être vraiment dans l’ambiance.

Après une brève ascension nous avons atteint le village. Il s’agit vraiment d’un tout petit villageon ! Deux rues peut-être, dont la principale s’ouvre sur la place devant l’église. Il y a quelques restaurants, des boutiques, un musée : tout s’adresse aux touristes. Les maisons sont extrêmement soignées, les deux rues très propres, les boutiques charmantes. C’est vraiment ravissant. Avec la muraille tout autour, on se sent en sécurité, dans un petit écrin de charme au milieu de la nature.

Le gîte se situe sur la place centrale (comme la moitié des maisons) et possède plusieurs chambres de trois à cinq lits. Nous partageons la nôtre avec Giacomo et avons décidé de cuisiner ensemble des pâtes ce soir. Il n’y a cependant pas de magasin d’alimentation dans le village à part deux boutiques qui vendent des spécialités locales à des prix abusifs. Nous y avons trouvé une sauce tomate toute prête et avons décidé d’utiliser les pâtes qui restaient dans les armoires de la cuisine. Nous avons bien sûr également profité de notre visite pour manger une glace et avons même visité une petite exposition gratuite sur les templiers. Clou du spectacle : aujourd’hui se déroulait la fête de la Madone du Rosaire et une procession conduisait le tableau de la Vierge Marie à travers le village, accompagnée d’un orchestre. Bon, le mérite du porteur de la toile me semble un peu limité, parce que faire le tour de ce minus bled ne relève pas vraiment de l’exploit sportif… C’est un peu comme si on organisait la fête de l’immeuble et qu’on convoquait une fanfare quand on descend tous ensemble les escaliers jusqu’à la cave, en gros. Mais bon, ils avaient l’air heureux de se promener un tout petit peu et ensuite écouter le curé sur la place.

Quand nous sommes revenus au gîte, Pascal a lu un long moment tandis que je discutais avec Giacomo et une autre pèlerine, Clara. Elle a déjà effectué plusieurs fois la Via Francigena ou d’autres chemins en Italie et est très croyante. Cette fois-ci, elle va marcher dix jours de Sienne à Rome avec trois migrants, le curé du village et un autre accompagnateur, pour transmettre un message de paix, d’intégration et de tolérance. Leur objectif consiste à atteindre Rome le 19 octobre pour assister à la messe du Pape. Nous avons finalement soupé tous les quatre, nous empiffrant également des restes des gâteaux et apéritifs non écoulés à la fête du village et ramenés au gîte par les hospitaliers, ces petits génies.

Quand nous avions fini de manger, un couple de Français est arrivé. Il faisait déjà nuit dehors et ils semblaient très fatigués. En discutant un peu, nous avons appris qu’ils sont partis de Gambassi Terme ce matin et ont parcouru plus de 38 kilomètres. Ils souhaitaient dormir au gîte du précédent village mais celui-ci a fermé hier pour l’hiver. Par chance, quelqu’un les a amenés en voiture jusqu’à Monteriggioni. Ils sont partis de chez eux en Alsace en août et ont marché jusqu’à Gênes. Dans une deuxième étape, ils ont repris leur voyage là où ils l’avaient laissé et marchent jusqu’à Rome. L’année prochaine, ils souhaitent aller de Rome jusqu’en Sicile. Ils sont visiblement coutumiers des longues étapes, puisque avant-hier ils ont marché 44 kilomètres. Je pense que nous n’allons pas les revoir souvent puisqu’à ce rythme-là ils vont arriver à Rome une semaine avant nous…