Terre de Sienne

Une étape relativement courte nous attendait aujourd’hui et nous avons profité de dormir un peu plus longtemps. Giacomo était prêt en même temps que nous et nous avons marché ensemble toute la journée. La cuisine du gîte ne comportait pas grand chose à manger et pas de café, crime odieux d’après Giacomo qui ne parvenait ainsi pas à se réveiller. Il avançait derrière nous sans dire un mot, tandis que Pascal et moi étions frais et dispos comme des huîtres.

Après une bonne heure de marche dans de la glaise glissante et collante, nous avons dépassé deux jolis châteaux et trouvé une très belle aire de repos destinée aux pèlerins. Il y avait des bancs, une pharmacie, de l’eau et un petit couvert devant la maison voisine où nous avons été reçus par Marcello. Celui-ci nous a offert du thé et du café, ainsi que des croissants et brioches. Il y avait également des fruits, du pain, toutes sortes de boissons, des biscuits, etc. Nous avons fait une longue pause là, Giacomo revenant petit à petit dans le monde des vivants à mesure qu’il buvait son café. Nous avons laissé quelques sous pour couvrir ce que nous avions consommé, avons chaleureusement remercié notre hôte et avons été rechercher nos sacs à dos laissés sur l’aire de repos. Deux Malaisiens venaient d’arriver et nous ont immédiatement fait rire. Le plus âgé des deux est prêtre, l’autre comptable, et ils ont commencé à marcher à San Gimignano. Ils parlaient très bien anglais et n’arrêtaient pas de faire des blagues et de se taquiner. Nous les regardions tous les trois en souriant tandis qu’ils nous expliquaient pourquoi ils n’étaient pas partis à pied depuis chez eux et poussaient des petits cris à l’idée de traverser l’Afghanistan en marchant. Ils nous ont suivis et nous nous sommes dépassés à plusieurs reprises, à chaque fois que l’un des groupes faisaient une petite pause. A chaque fois, ils nous faisaient rire et nous les trouvions plus sympathiques.

Nous avons suivi des petites routes de gravier dans la forêt, parfois des routes de campagne goudronnées et tranquilles, jusqu’à midi. Il nous semblait que nous n’avancions pas et que nous avions déjà parcouru vingt kilomètres, sans doute parce qu’il n’y avait pas grand chose à se mettre sous la pupille… Nous avons néanmoins parlé tout le long avec Giacomo, de sport, de politique même, de voyages. Il termine son Bachelor en ingénierie environnementale et souhaite se spécialiser dans le traitement des eaux et la purification de l’air. Mais concrètement, ce qui lui plairait, c’est ne jamais avoir à travailler, pouvoir sans cesse voyager et se lancer dans des aventures farfelues. Comme nous.

Arrivée à Sienne

A quelques kilomètres de Sienne, en-face d’un cimetière, nous nous sommes assis dans l’herbe pour pique-niquer. La température n’était cependant pas suffisamment élevée pour que nous ayons envie de rester deux heures à bronzer et boire du champagne, aussi avons-nous rapidement remis nos sacs-à-dos et repris la route. Nous avons gravi une première colline avant de pénétrer dans les premières maisons de l’agglomération siennoise, puis une seconde interminable et fatigante. Notre moral est pleinement remonté quand nous sommes parvenus au sommet, avant de retomber brutalement quand nous avons aperçu le campanile et la tour sur la Piazza del Campo. Qu’est-ce que c’était loin ! Nous avions l’impression que c’était Rome qui devait se tenir à une telle distance… Nous nous sommes remotivés et avons continué à marcher, puisque de toute façon nous n’avions pas d’autre choix. En réalité, la fin de l’étape est passée assez rapidement, puisque nous avons pénétré dans le centre historique après un petit quart d’heure, rejoignant par la même occasion les deux Malaisiens toujours hilares. Une fois au centre, nous cherchions les emblèmes des “contrade” puisque Giacomo veut s’affilier à l’une d’elles. A Sienne, la ville est divisée en dix-sept “contrade” qui s’affrontent chaque deux ans au Palio, une course de cheval sur la place centrale. Cet événement semble plus important ici que la finale de la Coupe du Monde et chaque contrada affiche fièrement ses couleurs dans la rue. Nous avons rapidement compris que nous étions chez le loup et qu’il s’agissait du tenant du titre. Une certaine exagération pouvait être soulignée dans les centaines de drapeaux et bannières flottant avec fierté dans le vent…

Après une halte obligatoire dans la gelateria Grom, nous avons atteint la Piazza del Campo. Ce n’est pas la première fois que je viens à Sienne, mais le fait de venir à pied ici m’a donné l’impression que cette place était encore plus incroyable et magnifique que les premières fois. Il s’agit d’une place en forme de coquille, en pente, entourée d’immeubles en briques plus majestueux les uns que les autres. Et puis le palais trône au centre des maisons, avec sa tour aux dimensions disproportionnées. La gloire renaissante dans toute sa splendeur ! Nous sommes restés tous les trois quelques minutes silencieux face à cette extraordinaire beauté, puis nous avons traversé la place et nous sommes rendus au gîte.

Chez Soeur Ginetta

La maison de la charité est tenue par des soeurs, avec comme supérieure Soeur Ginetta. Nous avons attendu quelques minutes qu’elle descende et avons compris que cette maison équivaut aux Restos du coeur. Une femme et sa petite fille remplissaient leurs cabas des provisions que leur tendaient des bénévoles. Cela m’a fait énormément de peine, car on oublie souvent que certaines personnes n’ont pas suffisamment d’argent pour se nourrir. Acheter à manger : cette chose si banale qui nous lasse même souvent… Un luxe impayable pour d’autres. J’étais heureuse par contre de voir la quantité de nourriture qu’elle recevait, et surtout la qualité. Il y avait des fruits et légumes, de la viande, des pâtes, de la foccacia, de la pizza, également des produits d’entretien ou du savon. Au moins, cette famille pourra manger correctement pendant quelques jours.

Soeur Ginetta a lancé un “Galloni !” de l’autre bout de la pièce et nous l’avons suivie à l’étage. Celle-ci s’amuse à afficher des airs sévères et stricts, mais elle semble surtout être une femme intelligente, forte, dévouée et avec un immense sens de l’humour. Elle terrifie Giacomo. Elle nous a conduits, Pascal et moi, à notre petite chambre avec salle de bains. Nous avons la chance d’avoir une chambre à deux lits, tandis que Giacomo se trouve dans une à six places. C’est très propre et bien plus accueillant que ce à quoi nous nous attendions ! Alors que nous préparions nos lits pour la nuit, Marco a toqué à la porte. Nous ne l’avions plus vu depuis San Gimignano, d’où il avait rejoint une amie qui vit à Volterra. Il était malade depuis quelques jours et nous a dit qu’il avait attrapé une bronchite. Il est donc resté deux jours tranquille et a décidé de repartir de Sienne puisqu’il a un délai à respecter. Je pense qu’il préférait également nous rejoindre plutôt que prendre le risque de marcher seul jusqu’à Rome si aucun pèlerin ne nous suit… Nous avons convenu de souper les quatre ensemble et Pascal et moi sommes ressortis en ville.

Duomo

Nous avons été voir le dôme, cette église incroyable avec son campanile rayé. Une porte sainte a été ouverte sur le flanc pour les personnes souhaitant prier et nous nous sommes faufilés par là. Malheureusement, cette partie était séparée du reste de l’église par de grands panneaux et nous ne pouvions que guigner dans les fentes et observer le plafond. Nous nous sommes immédiatement remémoré la splendide splendeur des lieux, avec ce sol en mosaïques d’une finesse absolue et ces colonnes rayées en marbre. Un espace où absolument tout est décoré, pas un seul millimètre carré n’a été épargné par la rigueur des architectes et artistes. Et le pire, c’est que ça ne fait pas “too much”. C’est juste beau. Une grandeur, une délicatesse et une beauté à couper le souffle. Nous avons longuement hésité à acheter des billets pour visiter le reste de la cathédrale et nous sommes résignés. Les prix sont conséquents, il n’y a pas de rabais pour les pèlerins et nous avons déjà visité cette église il y a quatre ans. Nous allions sortir quand nous avons aperçu Jörg et Rosamund. Cela faisait plusieurs jours que nous ne les avions pas croisés et, comme ils terminent là leur périple, c’était la dernière fois que nous les voyions. Nous avons papoté un moment, Jörg nous a expliqué qu’il avait trouvé un B&B très chic à Monteriggioni, très chic, vraiment très sympathique. Même si ce ne sont pas les pèlerins avec qui nous avons le plus d'atomes crochus, comme vous avez pu le constater, ils sont très gentils et cela fait maintenant environ deux semaines que nous les voyons presque quotidiennement. J’ai demandé à prendre une photo d’eux et nous nous sommes séparés. Cela va nous faire un peu bizarre de ne plus les voir et connaître les adresses des hôtels très chics, vraiment très sympathiques…

Cette pauvre Catherine

Nous nous sommes rendus à l’office du tourisme pour connaître l’emplacement d’un magasin de sport, car nous avions absolument besoin d'acquérir quelques affaires. En nous rendant à l’adresse indiquée, nous avons réalisé que nous passions devant l’église où se trouve cette pauvre Sainte Catherine. Immédiatement, cela a ravivé des souvenirs et nous nous sommes rués à l’intérieur. Nous voulions revoir à tout prix le doigt et la tête de cette pauvre femme ! En effet, la demoiselle est décédée en 1300 et quelque et sa tête est depuis exhibée dans ce lieu glauquissime. Derrière une vitre, la sainte défunte fixe le fidèle repentant et le curieux horrifié de ses orbites vides. Sa peau desséchée s’est un peu abimée autour de la bouche, lui forçant un rictus effrayant. Elle n’a pas l’air très bien, la pauvrette ! Et à côté de sa sainte tête, sous une cloche en verre, un de ses doigts gris et secs se dresse avec fierté. C’est franchement dégueulasse ! La seule chose à laquelle je pense en voyant ces atrocités, c’est de tout faire pour ne pas devenir sainte afin qu’on laisse ma dépouille tranquille et que personne ne veuille exhiber mes plombages ou mes genoux cagneux…

Lutte contre le froid

Au magasin de sport, nous avons acheté des gants, des sortes de tuyaux qui servent à la fois d’écharpe et de bonnet, ainsi que des chaussettes car les nôtres sont trouées. Le froid glacial ne nous permet effectivement plus de marcher en shorts et t-shirts et il nous fallait trouver de quoi nous réchauffer un peu et ne pas décéder avant d’être sûrs que nous ne serons pas béatifiés. Ce magasin a représenté une réelle torture pour nous, avec tous ses pulls épais et douillets. Nous les caressions avec envie, aurions rêvé de nous envelopper dedans. Mais non. Nous nous sommes consolés en profitant du coucher de soleil sur le dôme à travers la fenêtre du magasin. Je crois qu’il s’agit d’un des plus beaux points de vue sur Sienne, sans cyprès ou poteau électrique !

Nous sommes retournés vers le centre et Pascal a acheté un pull pour les soirées un peu fraîches (j’écris ça pour ne pas dire glaciales). Ils vendaient là des vêtements en cachemire et en laine de merino, et Pascal et moi poussions des petits “ooh” à la fois envieux et plaintifs en glissant nos petits doigts gelés dedans. Comme c’était doux et chaud ! Nous aurions à nouveau voulu acheter tout leur assortiment pour nous fabriquer une grande couverture en cachemire et un igloo en merino, mais nous nous sommes contentés d’un bête pull en coton. Pour nous consolés, nous avons cette fois décidé de reprendre une glace chez Grom. Vaincre le mal par le mal !

Nous sommes retournés sur la Piazza del Campo et Marco et Giacomo nous ont rejoints. Ils ont trouvé bizarre que nous mangions des glaces par ce temps glacial. Moi j’ai trouvé que c’était eux qui étaient bizarres de trouver bizarre de manger une glace. Les glaces c’est bon. Par tous les temps. Tout le temps. Nous avons cherché un restaurant alors que nous finissions notre entrée et sommes entrés dans un des premiers établissements en dehors de la place centrale. Giacomo n’était pas enchanté par ce choix car il trouvait que c’était encore trop au centre et donc trop touristique, mais nous ne voulions pas parcourir deux kilomètres pour trouver un restaurant non touristique. Nous avons tous mangé des pâtes et elles étaient bonnes. Cela faisait du bien de manger quelque chose de chaud et nous avons passé une belle soirée.