Temps pourri

Je me suis rendormie après avoir éteint le réveil et Pascal n’a pas jugé utile de me tirer de mes doux rêves. Nous sommes donc allés déjeuner vers 8h30 alors que nous avions prévu de partir à 8h00. Deux francophones étaient attablées quand nous sommes arrivés dans la salle à manger. L’une d’elles est belge et se rend à Assise. Je pense qu’elle a dû partir de chez elle puisque cela fait deux mois qu’elle est en route. L’autre est fribourgeoise et a marché à travers les Alpes, de Fribourg à Lugano, puis s’est rendue à Pavia, a suivi d’autres chemins que la Via Francigena et l’a rejointe à Lucca. Elle pense se rendre à Rome en passant également par Assise. Nous avons papoté autour d’un déjeuner très frugal, puis une soeur âgée et silencieuse est venue nous gaver (au sens propre du terme). Elle a apporté un carton plein de croissants et brioches et souhaitait que nous en mangions au moins douze chacun. Nous avons poliment accepté un croissant, Pascal n’ayant pas le choix que d’en prendre un deuxième à la crème fouettée puisqu’elle le fixait avec insistance et lui montrait la pâtisserie avant de la poser dans son assiette. Elle s’est ensuite éloignée avant de revenir avec des tartes aux pommes et des feuilletés à la crème. Nous en avons emporté pour les manger en route. Quand nous étions sur le point de partir, elle nous a rattrapés presque en courant pour nous donner des tranches de pizza. Toujours en silence, avec un regard malicieux et un petit sourire en coin.

Dans la campagne et sous la pluie

Nous sommes ainsi partis peu avant 9h00 et avons très rapidement quitté le centre-ville. Nous avons marché encore un moment sur une petite route dans des quartiers calmes avant de rejoindre la campagne. Il faisait un froid de canard ! Mes doigts étaient congelés et semblaient rapetisser pour ressembler à celui de Sainte Catherine, de la fumée sortait de nos bouches quand nous respirions, une petite goutte pendait au bout du nez et le ciel était menaçant. Rapidement, nous avons enfilé nos bonnets, j’ai mis mes gants et nous n’avons pas retiré nos pulls de la journée, si ce n’est quand nous enfilions nos K-way à la place. Nous avons fait une courte pause sur un pont après une heure et demie de marche, mais il faisait trop froid et nous ne nous sommes arrêtés qu’une dizaine de minutes. Après quelques kilomètres, nous sommes passés devant une ferme fortifiée presque millénaire. Malheureusement, elle était en restauration et des grues et échafaudages gâchaient complètement la construction. Nous apercevions également Sienne déjà très loin, mais cette fois ce sont les nuages et la pluie qui ternissaient ce décor.

Il a effectivement commencé à pleuvoir en fin de matinée. Pas une grosse averse, mais suffisamment pour que nous devions mettre le capuchon et avoir l’impression de marcher avec des oeillères. Le problème de la pluie, c’est que d’une part on ne peut pas admirer les paysages puisqu’ils deviennent mornes et gris, et que d’autre part on ne peut pas s’arrêter pour faire des pauses. Normalement, nous nous asseyons volontiers sur nos sacs ou dans l’herbe quand il n’y a pas de bancs. Avec la pluie, impossible. Nous avons rejoint Marco et avons marché ensemble plus d’une heure. Quand nous sommes passés devant un hangar où étaient entreposées des bottes de foin, nous avons décidé de nous y faufiler pour dîner. Il s’agissait du seul point plus ou moins abrité à la ronde. Au final, il n’était pas si abrité que ça et nous étions quand même mouillés. Nous n’avons donc à nouveau pas traîné et avons repris la route pour Ponte d’Arbia. Le chemin de terre et de gravier a cédé sa place à une route en argile quasiment impraticable. Si vous avez déjà fait de la poterie, vous savez que lorsqu’on mouille la terre glaise, elle glisse. C’est même le but, sinon la terre colle et se déchire et ne peut pas être tournée. C’est fantastique et très divertissant sur un tour, mais moins sur une route. Nous avions l’impression de faire du patinage artistique. Sauf que nous avons un peu moins de grâce et plus de graisse que les patineurs… A chaque pas, nous glissions, les chaussures restaient collées au sol et nous gesticulions pour reprendre l’équilibre. Nous essayions de marcher sur l’herbe dans les bords, mais il était parfois impossible de traverser la route pour aller sur ledit bord opposé car la légère pente nous ramenait toujours au point de départ. C’était rigolo les dix premiers mètres, mais après un kilomètre nous perdions un peu patience… A ce rythme-là, il nous faudrait trois heures pour parcourir les six kilomètres restants ! Heureusement, des graviers sont petit à petit venus recouvrir la surface glissante et nous avons pu progresser d’un bon pas. Marco a ralenti un peu et nous avons terminé l’étape sans lui.

Ponte d’Arbia

Nous sommes arrivés à Ponte d’Arbia vers 14h30 et avons emprunté un très joli pont en bois, tout neuf puisque inauguré en juillet, destiné aux pèlerins. La commune a décidé de créer cet ouvrage pour éviter aux marcheurs de parcourir une centaine de mètres sur la route des voitures. Je trouve admirable qu’un si petit village prenne une telle mesure pour assurer la sécurité et le confort des pèlerins alors qu’une ville comme Piacenza les conduit sur une route des plus dangereuses pendant des kilomètres ! Merci Ponte d’Arbia !

Nous avons rapidement trouvé le gîte et avons choisi nos lits puisque aucun hospitalier n’était présent. Un Italien se trouvait aussi là mais a décidé de rentrer chez lui car il s’est blessé à Sienne. Il a marché jusqu’ici hier et s’est reposé aujourd’hui, mais comme sa cheville ne va pas mieux il a pris un bus dans la soirée. Mary, l’Anglaise que nous avions rencontrée à Fornovo est également présente. Elle avait une étape d’avance sur nous mais s’est arrêtée un jour à Sienne. Un groupe de sept ou huit Espagnols sont arrivés plus tard et j’ai été incapable de leur parler en espagnol. Allemand, anglais, italien et français, ça suffit ! Nous étions toujours congelés dans cette vieille bâtisse aux sols en brique et sans chauffage. Quand Marco est arrivé, nous avons bu un thé tous les trois au rez-de-chaussée. Malgré ça, nous avions toujours froid et regrettions avoir laissé la deuxième paire de pantalons à la maison… Nous n’avons en effet qu’un pantalon et un short. Comme les pantalons sont sur l’étendage pour sécher après la journée de pluie et dans la boue, il ne nous reste que les shorts à porter… Pascal et moi sommes donc les ambassadeurs du style vestimentaire pèlerin : chaussettes, sandales, shorts, pulls polaires, gants et bonnets. Cherchez les intrus !

Nous avons soupé avec Marco et Mary dans le restaurant juste en face du gîte. Après presque une heure à bricoler entre le français et l’italien, Marco nous a appris qu’il a vécu trois ans en Angleterre. “Mais, tu parles anglais donc ?!” Nous avons fini la soirée en anglais… Marco s’est marié à une Anglaise et a vécu à Londres jusqu’en 82. “Oh ! J’avais -8 ans !” ai-je annoncé. Marco a répondu : “J’étais déjà marié…” et Mary a rétorqué : “J’étais déjà vieille !” Elle va effectivement sur ses 70 ans mais ne les fait absolument pas. Elle est veuve depuis trente ans et a deux filles et deux petites-filles. Elle a un sens de l’humour très prononcé et so British. Marco s’est marié et divorcé deux fois et a quatre enfants et un petit-fils de trois mois. Il vit avec sa compagne actuelle depuis onze ans. Pascal et moi, nous avons un chien et un chat…