Entrée dans le Latium

Il a fait très froid cette nuit et les radiateurs se sont éteints vers 22 heures. J’ai écrit un long moment, jusqu’à une heure du matin, avant de me coucher et lire encore une bonne heure. Quand je me suis résignée à dormir, j’étais tellement gelée que c’était impossible. J’ai été chercher une couverture à mettre sur mon sac de couchage mais rien n’y faisait : mes mains et mes pieds demeuraient froids comme un enfant oublié dehors sous la neige… J’ai trouvé le sommeil après un très long moment et ai au final dormi moins de quatre heures… Malgré tout, après un quart d’heure pour me réveiller, je me sentais en forme et étais prête à attaquer la journée.

Pascal a préparé un chocolat chaud et nous avons déjeuné au gîte, mangeant des croissants à l’abricot industriels et bof-bof. Le chaucolat (c’est plus court) par contre a su raviver le bonheur en nous ! Cela faisait plus d’un mois que nous n’en avions pas bu qui avaient un goût comme à la maison et nous étions heureux comme de niais enfants. Mary, Marco et Teresa étaient sortis un peu avant pour aller boire un café au village et nous avons remarqué que Christian était encore présent. Il a fait quelques allers-retours dans la maison tandis qu’il se préparait et, à chaque passage, des effluves de transpiration se répandaient dans la salle à manger. J’avais l’impression de manger un croissant à la sueur acide… Il a finalement quitté le gîte et nous avons pu arrêter de planter nos nez dans la confiture à l’intérieur des croissants pour ne pas sentir l’odeur pestilentielle qui le suivait. Quand après cinq minutes il est revenu en faisant autant de bruit qu’une classe d’école primaire à la récré le premier jour où il neige, j’ai cru que je m’étouffais. Il est ensuite reparti pour de bon et nous avons été préparer nos affaires.

Temps clément

Le ciel était couvert quand nous sommes partis mais ne semblait pas menaçant comme hier. Il faisait de plus bien plus chaud et nous avons rapidement retiré nos pulls et bonnets. Quel plaisir de pouvoir à nouveau être en t-shirt sans mourir de froid ! Nous avons marché deux heures environ dans des collines, sur un sentier en terre, principalement en descente. La pente s’est avérée douce et nous pouvions progresser rapidement. Malgré le ciel bleu par moments, les paysages étaient moins saisissants qu’hier, un peu plus escarpés et hostiles. J’envie Giacomo qui a une étape de retard sur nous du fait de son arrêt à Sienne et qui effectuait ainsi aujourd’hui la superbe étape jusqu’à Radicofani ! De notre côté, nous avons trouvé la promenade agréable et belle mais sans paysage à couper le souffle.

Nous avons fait une pause sur un banc à Ponte a Rigo, puis avons suivi une route pendant une dizaine de kilomètres. Il s’agit de la Via Cassia, route qui relie Sienne à Rome. Elle était très calme sur ce tronçon et un sentier parallèle a été aménagé sur plusieurs kilomètres pour sécuriser le passage des pèlerins. Une alternative passait sur les hauteurs mais comptait surtout sept kilomètres en plus. Commes les paysages n’étaient pas des plus incroyables, aussi en raison de la lumière tamisée par les nuages, nous étions satisfaits de pouvoir avancer rapidement sur cette route plate en goudron. A mi-distance, nous nous sommes arrêtés dans le villageon de Centeno pour dîner. Comme personne d’autre que Mary et nous n’a emporté de restes hier soir, nous avions au final quatre portions avec nous. Nous avons terminé les tagliatelle all'amatriciana ainsi que mangé une partie des pici al ragú, qui nous ont semblé meilleurs froids qu’hier. Je trouve fou que cela n’aurait pas dérangé les autres de jeter autant de nourriture ! Pour nous, c’est inconcevable, surtout quand il y a de la viande car un pauvre animal est mort et cela ne se fait juste pas de le jeter à la poubelle. Mary nous a rejoints après un quart d’heure et a aussi mangé ses pici. Elle semblait aussi satisfaite que nous d’avoir un dîner cuisiné au lieu d’un sandwich. Elle est repartie après trente minutes environ et nous sommes restés encore un long moment pour profiter du soleil. C’est incroyable de penser qu’hier nous avions les gants et le bonnet pour manger tandis qu’aujourd’hui nous avons dû ressortir les casquettes enfouies au fond de nos sacs. J’espère que ces températures vont durer quelques jours !

Acquapendente

Après la pause, nous sommes entrés dans le Latium, dernière région de notre voyage. Une heure plus tard, nous avons rejoint une petite route en forêt et sommes montés jusqu’à Acquapendente. Cette petite ville nous a paru triste et terne. Les maisons sont en pierres plus sombres qu’en Toscane et les rues semblaient moins propres. Il y avait à nouveau de nombreuses maisons vides à vendre. La pluie a commencé à tomber quand nous sommes arrivés et nous avons attendu qu’on nous ouvre la porte du gîte dans l’église voisine, à l’abri. Une femme est arrivée après une dizaine de minutes et elle nous a conduits à l’intérieur. Elle a allumé le boiler d’eau chaude pour la douche, nous a expliqué le fonctionnement du gîte et nous a dit que nous pouvions recevoir les prochains pèlerins sans l’appeler.

Le gîte est un vieil appartement qui contient quatre chambres et une vingtaine de lits de plutôt mauvaise qualité. La moitié d’entre eux pourraient servir de hamacs, d’autres ont des matelas si fins qu’on a l’impression de dormir sur une planche et quelques-uns sont corrects. Nous avons opté pour une petite chambre avec un seul lit double plutôt confortable bien que petit. Il n’y a pas de chauffage et les sols en brique n’aident pas à lutter contre le froid. Il n’y a qu’une salle de bains et une petite cuisine pour les vingt lits, la cuisine faisant également office de salle commune avec une table et quatre chaises. Une seule plaque électrique est disponible, ainsi qu’un four micro-ondes, et le plan de travail est ingénieusement dissimulé dans un double-tiroir. En effet, une commode se trouve contre un mur et en tirant les deux tiroirs du haut, une large planche permet au marmiton en herbe de préparer d’exquis petits plats et de découper des oignons. Ce n’est pas incroyable, comme vous avez pu le deviner, mais c’est assez propre malgré tout.

Pascal est allé se doucher et a eu la mauvaise surprise de constater que l’eau chaude était très limitée. C’est bien sûr quand il était recouvert de savon qu’il n’y en a plus eu du tout et il a décidé de se sécher ainsi sans se rincer. J’ai attendu un moment avant d’aller moi-même tenter ma chance mais l’eau était glacée. Je suis ressortie de la douche et ai réalisé que la dame avait en fait éteint la chaudière. Pascal avait donc profité des derniers litres chauds. J’ai patienté à nouveau mais l’eau chaude ne semblait pas vouloir venir, donc je me suis juste lavé les mollets car après avoir marché en shorts, ils étaient pleins de boue. Marco était arrivé entre temps et lui non plus ne s’est pas douché. Heureusement que l’étape d’aujourd’hui était tranquille et que nous n’avons pas spécialement transpiré.

Au gîte, nous avons trouvé un prospectus qui précise qu’Acquapendente est la “Jérusalem d’Europe”. J’étais un peu sceptique en lisant cela, doutant que Jérusalem soit un petit patelin insignifiant et grisâtre. En fait, je crois qu’ils ont une réplique du Saint Sépulcre et des bouts de marbre avec le sang de Jésus et que de ce fait, les pèlerins qui au Moyen-Âge n’avaient pas la force de se rendre à Jérusalem ne venaient au final que jusqu’à Acquapendente. Quelque chose comme ça. Nous sommes retournés en ville pour faire un tour et voir cette fameuse église. Nous l’avons trouvée particulièrement laide et fermée et conservons nos réserves quant à la relation avec Jérusalem.

Le centre-ville était un peu plus animé et chaleureux et nous avons mangé une glace après avoir fait quelques emplettes. Nous sommes ensuite retournés au gîte et avons bu un thé pour nous réchauffer un peu. Il a fallu trente minutes pour que l’eau frémisse sur la minus plaque de cuisson. Alors que nous lisions en buvant nos thés, un Ecossais prénommé Jerry est arrivé. Il a subi une opération à l’épaule droite en début de semaine suite à un accident à ski et est en congé maladie. Comme il ne peut pas conduire, il a décidé de venir marcher une semaine. Il a un gros pansement et un énorme hématome sur le devant de l’épaule droite, le bleu descendant jusqu’à l’aisselle. Je ne suis pas sûre que porter un sac-à-dos soit la chose la plus recommandée mais il nous a dit que son sac ne pèse que huit kilos et qu’il déplace la bretelle vers son cou, donc tout va bien. C’est à peu de chose près le poids d’Yvon et Curdin, ce n’est pas un sac de pique-nique… Mais bon, le pire n’est pas là. Il est parti de San Gimignano il y a deux jours ! Le premier jour, il est allé à Sienne. Le deuxième jour, il est allé à Montalcino qui n’est pas sur le chemin. Et aujourd’hui il est arrivé ici. Trois étapes de plus de cinquante kilomètres à la suite ! Il veut arriver à Rome mardi, alors que nous avons prévu d’arriver vendredi en faisant une étape en moins que ce que le guide prévoit. Il reste près de 170 kilomètres à marcher et il veut les parcourir en quatre jours… Si ce mec a une fois deux semaines de vacances, il peut faire la Via Francigena en entier de Canterbury à Rome ! Ce que je trouve un peu bizarre, c’est qu’il se plaignait d’avoir mal aux genoux et aux pieds (ce n’est pas cette partie de la phrase qui était bizarre) et pense que ce sont ses chaussures qui ne conviennent pas. Il a décidé d’en acheter des nouvelles dès que possible. A mon avis, les distances sont sans doute aussi responsables de ses douleurs et changer de chaussures en cours de route représente toujours un risque énorme. Surtout si le premier test de la nouvelle paire consiste en une étape de cinquante kilomètres… Nous lui avons demandé s’il faisait souvent des marches aussi longues et il nous a répondu que ça lui arrivait sur un jour, de temps en temps. Ce gars est soit fou soit inconscient soit surhumain ! J’espère qu’il arrivera vivant et heureux à Rome mardi soir et qu’il n’aura pas de blessures liées à ce voyage…

Marco et lui sont allés souper au restaurant, où ils ont rejoint Gemma, Giuliana, Mary et Teresa qui dorment dans des B&B. Pascal et moi avions encore deux portions de pâtes emportées hier soir. Nous avons débranché le frigo afin de pouvoir brancher le micro-ondes et réchauffer notre souper. C’était encore très bon et cela nous a fait plaisir de passer une soirée entre nous et au gîte, puisque ça fait plusieurs soirs de suite que nous allons au restaurant avec les autres pèlerins.

Il est passé 23 heures à l’instant où j’écris et un violent orage a éclaté il y a une demi-heure. La pluie s’infiltre dans le toit et coule dans la cuisine. Un coup de tonnerre semble avoir retenti mais c’est en réalité Marco qui paie les frais d’avoir mangé des pois-chiches tout à l’heure… Il fait toujours autant froid et mes doigts gelés peinent à taper sur le clavier. Je vais essayer d’aller dormir un peu.