Sur les hauteurs du lac de Bolsena

Pour changer, les autres pèlerins avaient déjà quitté le gîte quand nous nous sommes levés. Nous ne voyions aucune raison de partir aux aurores puisque l’étape d’aujourd’hui ne comptait qu’une vingtaine de kilomètres et que de la pluie et du brouillard étaient annoncés en début de matinée. Nous avons donc tranquillement pris la route vers 9h15, constatant que la brume persistait encore. Après quelques kilomètres sur une route, le soleil est apparu et nous avons rejoint la campagne.

Dans les champs

Les paysages sont totalement différents des belles collines toscanes. Nous retrouvons ici des étendues de champs, quelques reliefs timides, des arbres isolés, qui nous rappellent un peu les décors allemands du début de notre voyage. C’est assez plaisant sans toutefois faire frissonner nos pupilles… De nombreux chasseurs étaient de sortie et nous n’étions pas très rassurés d’entendre des coups de feu proches. Nous avons croisé plusieurs jeunes en tenues militaires qui nous lançaient des regards noirs en tenant leurs fusils. Peut-être n’appréciaient-ils pas mes chants à tue-tête qui effrayaient le gibier ; les chasseurs n’ont pas l’oreille artistique !

La première moitié de l’étape, jusqu’à San Lorenzo Nuovo, nous a semblé monotone et nous avons décidé de faire une pause au village. Sur une terrasse, nous avons reconnu Teresa et Marco et nous avons bu un verre en leur compagnie. Quand Marco a repris la route, nous avons continué à bavarder avec Teresa. Il s’agit de son dernier jour de marche et elle était un peu triste de penser que cela s’arrêtait là et qu’elle devait retourner travailler. Je pense que c’est d’autant plus dur de voir tous les autres poursuivre l’aventure jusqu’à Rome et continuer sans elle. Mais elle se focalisait plutôt sur profiter de cette ultime journée et savourer chaque pas. La météo très clémente rendait de plus cette étape des plus plaisantes, surtout après le froid de la semaine dernière ! Nous nous sommes séparés ensuite quand Pascal et moi avons fait un détour par le minuscule marché et qu’elle partait en direction du lac.

Dans les bois

Si la première partie de l’étape s’est révélée banale, la seconde moitié nous a beaucoup plu. Nous avons marché dans une forêt de chênes sur les hauteurs du lac de Bolsena. Un petit sentier en terre se faufilait entre des pierres recouvertes de mousse verte et de temps à autre nous apercevions entre les arbres la surface de l’eau qui scintillait sous le soleil. A la sortie des bois, nous nous sommes assis dans l’herbe au sommet d’une colline, face à ce beau spectacle, pour dîner. Il faisait chaud et aucun nuage n’osait masquer le soleil. Pourvu que ces températures résistent encore quelques jours !

Après la pause, nous avons suivi des routes en gravier qui slalomaient entre des bosquets, des oliveraies ou des champs et surplombaient toujours le lac. Nous avons rejoint Marco et Teresa au bout de quelques kilomètres et avons terminé l’étape en leur compagnie.

Bolsena est une ville médiévale dont le centre n’a pas dû beaucoup évoluer depuis des siècles. Les petites ruelles étroites et sinueuses sont composées de maisons en pierres sombres un peu tordues et aux murs épais. Peu d’efforts sont nécessaires pour imaginer cette ville au Moyen-Âge et cela me plaît énormément. Il est toutefois amusant de constater que les villes et villages depuis deux jours sont complètement différents de ceux de la Toscane glorieuse. Auparavant, les pierres étaient claires et lumineuses, presque orangées. Les arches étaient fines, les maisons régulières, les pavés larges et plats. Ici, les rues sont sombres, les routes sont cahoteuses. Nous sommes passés des délicats palais renaissants aux tavernes médiévales.

Retrouvailles et adieux

Peu avant d’arriver au gîte, nous avons eu la surprise de croiser les Australicains ! Cela faisait plus de deux semaines que nous ne les avions pas vus et nous pensions qu’ils avaient encore quelques étapes d’avance, puisqu’ils en ont sauté certaines. Ils se sont en fait rendus quelques jours à la mer à La Spezia et ont pas mal adapté les étapes proposées. Je ne sais pas si nous les reverrons car nous allons faire un jour de moins que ce que les guides prévoient, mais en tout cas cela nous a fait plaisir de constater qu’ils sont toujours en forme.

Teresa nous a dit au revoir devant le gîte et elle paraissait très émue. Malgré tout, elle était enchantée d’avoir fini sur cette belle étape. Elle nous a avoué penser revenir l’année prochaine pour terminer ce voyage ou faire d’autres tronçons en amont, avec un sac-à-dos beaucoup plus léger cette fois.

Bolsena

Après son départ, nous avons pris possession de nos lits. Le gîte a été aménagé dans un immeuble entièrement restauré. Il comporte une belle cuisine, quatre chambres et autant de salles de bains. Seuls Mary, Marco et nous dormons là ce soir donc nous avons chacun notre intimité. Seul point qui me déplaît et est malheureusement récurrent depuis quelques jours : les lits n’ont pas du tout de draps. Nous dormons donc à même les matelas et bien que nous utilisons les sacs à viande ou de couchage, ce n’est pas hygiénique du tout. Pendant la nuit, il est normal de transpirer, perdre des cheveux, baver un peu. Même si les draps ne sont pas changés tous les jours, ça demeure bien plus propre que des matelas nus. Mais bon, hormis ce détail, le gîte est super.

Nous avons profité du beau temps pour faire une lessive nécessaire et sommes partis faire un tour en ville. Parvenus à une gelateria, nous avons décidé d’innover un peu et chacun a choisi les arômes pour l’autre, avec l’interdiction de sélectionner les goûts de prédilection. Il fallait surprendre tout en restant dans des saveurs qui plaisent. J’ai choisi mascarpone-biscuits et pomme-cannelle pour Pascal et lui m’a pris amande et kaki. C’était une chouette idée et je pense que nous allons renouveler l’expérience ! Tout en mangeant nos glaces, nous nous sommes dirigés vers l’église Sainte Christine. Elle est dédiée à une pauvre fille dont les reliques se trouvent à l’intérieur et qui a vécu il y a plusieurs siècles. Son tendre père, légèrement agacé qu’elle soit catholique, avait décidé de la noyer en lui attachant une grosse pierre autour du cou avant de la jeter dans le lac. Sympa, le paternel ! Là, vous vous dites que la pauvre demoiselle est ainsi morte en martyre et que l’histoire se termine là. Et bien non ! C’est plus fourbe ! Une fois dans l’eau, la pierre a flotté et Christine a joyeusement pu regagner la rive en crawl dos. Son père, témoin du miracle, a choisi de se convertir et a cessé d’essayer de tuer sa fille avec des pierres ponces. Le caillou en question est conservé dans une chapelle et porte les empreintes des deux pieds de la brave Christine. Nous n’avons pas trop compris ce détail car la légende ne mentionne pas que Christine a fait du surf, donc pourquoi les traces de pieds ? Mais bon, ça demeure mignon. Et ce n’est pas tout ! Dans une autre chapelle de cette même église magique, un miracle s’est produit en 1300 et quelque. Alors que le prêtre préparait la communion, du sang a jailli du calice contenant le vin. Le pape était présent à cette exacte cérémonie et a pu attester du miracle. Ils ont d’ailleurs découpé l’autel et le morceau maculé de sang sacré est aujourd’hui jalousement exposé dans la chapelle. Nous avons donc pu observer à quelques mètres d'intervalle un caillou avec des traces de pieds et un autre avec du sang. Que d’émotions !

Pour nous en remettre, nous avons décidé de reprendre une glace avant d’aller boire un thé dans un adorable salon de thé / papeterie / librairie. Des cartes et livres étaient en vente au milieu des vieilles tables en bois. Nous avons profité de leur connexion Internet pour planifier notre arrivée à Rome et publier quelques articles sur le blog. A 19 heures, nous avons rejoint Mary, Marco, Gemma et Giuliana dans une petite osteria pour souper. La cuisine était raffinée et plus sophistiquée que dans les restaurants fréquentés dernièrement. Tout était vraiment excellent et nous avons beaucoup rigolé. Nous avons réalisé que tous nous avons gardé en tête la chanson très élaborée de Marco, qu’il avait écrite à San Quirico d’Orcia pour se motiver à aller jusqu’à Radicofani. Les paroles sont assez simples : “Radicofani ! Radicofani ! Radicofani !” Je rappelle que Marco est musicien professionnel, c’est pourquoi il parvient si aisément à composer des morceaux autant aboutis. Nous avions tous scandé cet air lors de cette étape, chacun de notre côté, quand la sombre tour de Radicofani nous semblait inaccessible. Et puis le lendemain, nous avions adapté les paroles pour chanter “Acquapendente ! Acquapendente ! Acquapendente !”, ou n’importe quoi d’autre en fait.

Il s’agissait de notre dernière soirée commune puisque demain nous prendrons une étape d’avance sur eux. Mary devrait nous rattraper dans quelques jours et nous essayerons d’être là pour accueillir Marco et Giacomo au Vatican. Giacomo va effectivement faire comme nous et ainsi retrouver Marco dans deux jours. Il lui a écrit qu’il est complètement seul depuis Sienne, soit la journée en marchant soit les soirs dans les gîtes. Avec la rude météo des derniers jours, il trouve le temps long.