Double étape

Entre Bolsena et Vetralla, trois étapes d’environ 18 kilomètres sont conseillées dans le guide. Il n’y a effectivement pas de ville située à mi-distance qui permettrait de faire deux étapes idéales d’environ 27 kilomètres. Cela nous embêtait de cumuler trois étapes aussi courtes et nous avons décidé de regrouper les deux premières. De ce fait, au lieu de nous arrêter à Montefiascone, nous irions directement jusqu’à Viterbo. Le faible dénivelé de cette deuxième partie nous laissait penser que seule la distance serait un défi. Malgré tout, nous nous sentons en très grande forme actuellement et parcourir 36 kilomètres ne nous effrayait absolument pas, bien qu’il s’agisse de la plus longue étape de notre voyage. C’est en réalité moins contraignant aujourd’hui qu’il y a un mois, car nous marchons beaucoup plus vite. Cette distance équivaut ainsi à une étape de 25 kilomètres en début de voyage.

Nous sommes néanmoins partis tôt, vers 7h30, et avons croisé les Australicains au bar. Nous avons acheté des croissants et des sandwiches pour midi puis nous sommes partis en même temps qu’eux (les Australicains, pas les sandwiches). Ils nous ont annoncé n’aller que jusqu’à Montefiascone aujourd’hui, donc nous n’avons pas compris pourquoi ils partaient aussi tôt. Nous aurions dormi jusqu’à 9 heures si nous avions une étape aussi courte ! Ils nous ont également expliqué qu’ils arriveront à Rome lundi, soit trois jours après nous. A nouveau, nous n’avons pas très bien saisi comment ils feront car il ne reste qu’une poignée d’étapes et, même sans doubler celle d’aujourd’hui, ils pourraient aisément arriver samedi. Je ne sais pas s’ils ont prévu de s’arrêter deux jours à Viterbo ou faire des étapes vraiment courtes pour terminer. Dans tous les cas, nous avons convenu de nous retrouver lundi soir pour boire un verre à Rome !

Nous avons marché près de deux heures dans une forêt humide, montant et descendant sans cesse des pentes plus ou moins raides et longues. Arrivés à une très grande aire de pique-nique, nous avons fait une longue pause tout en mangeant des biscuits. Nous étions étonnés de ne pas voir passer les Australicains et avons supposé qu’ils avaient sans doute évité ces montagnes russes en suivant la route. Nos doutes ont été confirmés quand quelques kilomètres plus loin nous les avons aperçus devant nous. C’est certain que la route est bien plus plate et directe, mais le trafic sur cet axe se révèle bien trop conséquent pour nous tenter.

Nous avions alors une très belle vue sur le lac de Bolsena et avons pu le contempler à de nombreuses reprises pendant l’ascension jusqu’à Montefiascone. A un moment, nous aurions dû voir un pont médiéval non loin du chemin. Evidemment, nous cherchons encore cet édifice… Cela nous est arrivé tellement souvent depuis le début du voyage que nous sommes toujours plus attentifs en approchant de monuments historiques, en vain. Nous ne les voyons jamais. Nous nous sommes consolés en nous disant qu’il devait vraiment être laid et avons poursuivi notre chemin.

Montefiascone

A l’entrée de Montefiascone, nous avons croisé deux retraités : le premier est français et est parti de Lausanne, le second est québecois et a rejoint son ami au col du Grand Saint-Bernard. Ils se sont rencontrés l’année dernière sur les chemins de Saint-Jacques et se sont donnés rendez-vous cet automne pour la Via Francigena. Étonnant que nous ne les ayons jamais rencontrés auparavant !

Peu après, nous avons passé la borne des 100 kilomètres nous séparant de Rome. Celle-ci était annoncée à plusieurs reprises depuis ce matin sur les panneaux de la Via Francigena et nous étions dubitatifs, car selon nos estimations nous franchirons cette ligne fictive demain. Nous avons compris en la dépassant qu’il s’agit en fait de la borne pour les voitures. Effectivement, 100 kilomètres séparent Rome de Montefiascone sur la Via Cassia, cette grosse route dangereuse qui va jusqu’à Sienne. Pas sur la Via Francigena. Du coup, cela nous laisse complètement indifférents et je ne comprends pas pourquoi ils promeuvent cela avec autant d’ardeur…

Montefiascone est un village avec plein d’églises surtout connu pour son vin, nommé “Est!Est!!Est!!!”. En 1111, un évêque allemand nomme Johannes Defuk suivait en Italie le futur empereur Henry V. Grand amateur de vin, il a envoyé son serviteur Martino parcourir avant lui le trajet. Celui-ci avait pour mission de repérer dans chaque village les tavernes et caves qui proposaient le meilleur vin. Martino inscrivait ensuite la locution latine “Est!” sur les portes des établissement sélectionnés. A la joie de Defuk, de nombreuses portes étaient marquées tout le long du voyage et il se pintait joyeusement le tube. Parvenu à Montefiascone, il trouva pour la première fois une cave avec l’inscription “Est! Est!! Est!!!”, symbole de la présence du meilleur vin de tout le périple. La légende raconte que Defuk a tellement apprécié ce nectar qu’il s’est installé à Montefiascone, où il est mort alcoolique deux ans plus tard. Une foire annuelle du vin lui est de nos jours consacrée.

Nous avions prévu de manger après Montefiascone, mais une fois parvenus sur une esplanade au sommet du village, la vue nous a paru si belle que nous nous sommes assis sur un banc et avons mangé nos sandwiches. Nous avons étalé nos vêtements encore détrempés suite à la lessive d’hier soir tout autour de nous : sur le dossier du banc, sur des bouts de muraille, des cailloux, etc. Avec le soleil, ils ont séché plus vite en une demi-heure que toute la nuit à Bolsena où l’air était terriblement humide. La chaleur était des plus agréables et nous avons hésité à rester là tout l’après-midi et ne pas aller plus loin, avant de finalement nous résigner et entamer la deuxième moitié de l’étape.

Nous avons rejoint une route romaine à la sortie du village, l’antique Via Cassia. D’habitude, nous haïssons et maudissons ces vestiges qui font mal aux pieds et nous font trébucher. Pour le coup, ce tronçon s’est révélé plutôt agréable, avec de larges dalles blanches et plates bien imbriquées. Les traces des chars étaient encore visibles par endroits et l’ensemble était esthétique. Cela nous a un peu réconciliés avec ces braves Romains en jupettes !

Bains thermaux

Après la longue descente sur la voie romaine, nous avons fait une nouvelle pause sur une table de pique-nique, puis avons abordé les dix derniers kilomètres tous plats. Parvenus à la hauteur de bains thermaux, un gros groupe de pèlerins est apparu. Ils nous ont expliqué que les pèlerins ne paiaient pas l’entrée aux bains et que nous pouvions aller nous baigner, tremper les pieds ou nous reposer un peu. C’était effectivement tentant ! Une belle pelouse verte entourait des petits bassins d’eau chaude, naturelle d’après la forte odeur de souffre qui s’en dégageait. Malgré tout, il était déjà 15 heures et il nous restait plusieurs kilomètres à parcourir. Cela aurait été idéal si nous avions suivi les étapes du guide et fait Montefiascone-Viterbo, mais dans notre cas ça nous aurait coupé le rythme et nous serions arrivés à Viterbo à la nuit tombée. Nous avons donc poursuivi sans trempette. Du coup, nous nous sommes retrouvés derrière ce groupe d’une vingtaine de pèlerins. Nous avons échangé quelques mots avec trois-quatre d’entre eux et, quand je leur ai demandé s’ils allaient à Rome, ils ont tous éclaté de rire. J’ai l’impression qu’il s’agissait pour eux de la question la plus ridicule possible, alors que c’en est une que tous les pèlerins se posent quand ils se rencontrent. D’où on est parti, jusqu’où on va : deux informations toujours précisées dans les premiers échanges entre pèlerins… Ils n’avaient ainsi pas besoin de répondre pour que nous comprenions qu’ils n’étaient pas vraiment pèlerins. Ils ont tout de même précisé qu’ils ne marchaient que deux jours, de Bolsena à Viterbo. En entendant cela, Pascal et moi avons retenu un grand ouf de soulagement à l’idée de ne plus les croiser. Cela nous aurait embêtés d’être coincés avec ces vingt promeneurs du dimanche dans les gîtes…

Viterbo

Nous les avons semés et sommes entrés dans Viterbo. L’arrivée dans la ville était particulièrement laide mais heureusement assez courte. Cela nous a tout de même permis de chanter “Vitermoche !” et de beaucoup nous amuser… Une fois franchie une grande porte d’enceinte, nous nous sommes retrouvés dans le centre plus esthétique et, surtout, face à une joghurterie. Nous nous étions justement fait la réflexion que celles-ci étaient rares ces derniers temps et nous nous y sommes rués avec délectation. Munis de joghurts glacés et heureux commes des enfants, nous avons rejoint le gîte. Celui-ci a été aménagé contre les remparts, dans une vieille tour qui a hébergé le pape Pie VI alors qu’il était prisonnier de Napoléon le Velu. Les lieux n’ont pas dû beaucoup évoluer depuis cette période, mais les lits ont des draps propres et un chauffage est présent. Nous avons retrouvé Clara, la femme rencontrée à Monteriggioni. Elle marche en compagnie d’un prêtre, un autre homme et deux jeunes réfugiés ivoiriens. Ils se rendent à Rome pour assister à la messe du pape qui aura lieu mercredi. Clara nous a expliqué que leur rythme ne lui convient pas du tout, puisque les deux jeunes marchent beaucoup trop vite, les attendent, et lorsqu’ils sont rejoints repartent sans que les autres puissent faire de pause. Clara préfère s’arrêter de temps à autre pour se reposer mais subit le rythme des autres sans parvenir à s’imposer. Je trouve dommage, voire un peu bête, qu’elle n’ose pas s’asseoir quand elle en a besoin et qu’elle n’apprécie ainsi pas du tout cette belle expérience… Nous n’allons plus les voir, puisqu’ils vont prendre un bus demain pour rejoindre La Storta, d’où ils marcheront mardi jusqu’à Rome. Nous n’avons pas compris pourquoi ils n’ont pas prévu suffisamment de temps pour parcourir tout le trajet à pied, ou pourquoi ils ne sont pas partis de plus près s’ils ne disposaient pas d’assez de jours…

Quand nous sommes sortis pour visiter un peu, il faisait déjà presque nuit. Le centre était malgré tout animé pour un dimanche soir et toutes les boutiques étaient ouvertes. Nous nous sommes promenés un moment, puis avons demandé conseil à des autochtones pour un bon restaurant. Un charmant couple nous a indiqué une osteria et nous y avons soupé. Nous avons ensuite juste eu le temps de manger un autre joghurt glacé avant que la gelateria ne ferme et sommes rentrés au gîte vers 20h30. Nous avons fait le stretching, indispensable après autant de kilomètres parcourus, puis avons fait sécher nos vêtements sur le radiateur allumé au maximum. En quelques minutes, tout était sec et la pièce était réchauffée.