Sous la barre des 100 km

L’étape d’aujourd’hui comptait deux fois moins de kilomètres que celle d’hier. Nous avions donc prévu de ne pas mettre de réveil, de partir un peu plus tard et d’avancer tranquillement. Sauf que les hospitaliers nous ont indiqué hier soir que les chambres devaient être libérées pour 8 heures afin qu’ils puissent nettoyer. Mes regards apitoyés n’y ont rien fait : réveil obligé ! Cela s’est toutefois révélé moins contraignant qu’escompté, puisque nous avons été au lit tôt hier soir et nous sommes tous deux endormis vers 22 heures, la fatigue liée à la longue journée de marche se faisant alors ressentir. Je dois avouer ne même pas avoir entendu les autres pèlerins se coucher, alors qu’ils devaient traverser notre chambre pour rejoindre la leur.

C’est donc à 7h59 que nous avons quitté le gîte et nous sommes rendus au centre-ville pour acheter du déjeuner et du dîner. La grande majorité des gîtes ne proposent pas de déjeuner, aussi avons-nous pour habitude d’acheter des croissants et manger en route. Ils commencent malgré tout à nous lasser et il est temps que nous rentrions. Les croissants italiens sont très sucrés et rarement excellents. La plupart sont bons, nous n’avons pas eu souvent de mauvaises surprises, mais ils ne cassent pas trois pattes à un canard non plus. Les quelques fois où nous avons eu des tartines, c’était toujours très sommaire, sans beurre (ou avec du beurre fumé dégueu comme à San Miniato) et avec du pain insipide ou des biscottes. Un bon déjeuner généreux et délicieux comme à la maison me manque un peu !

Journée monotone

Après avoir traversé les remparts, nous avons marché quelques kilomètres le long d’une route des plus inintéressantes. Peu d’argent doit être investi dans l’entretien des routes et les aménagements pour les piétons, car les mauvaises herbes étaient tellement envahissantes qu’elles recouvraient tout le trottoir et s’avançaient sur la chaussée. Nous avions l’impression de marcher au milieu de la jungle, sauf qu’il s’agissait d’un des principaux axes de Viterbo. La Via Francigena quittait ensuite cette route pour devenir un sentier en terre dans la nature. Un panneau expliquait que nous allions voir un pont couvert en pierre et une tombe souterraine antique, et nous étions ainsi très attentifs à ce qui nous entourait. Visiblement pas suffisamment, puisque nous n’avons vu ni le pont ni la tombe… Je ne sais pas si nous sommes juste mauvais ou s’ils ont oublié de mettre une flèche et un panneau à un endroit, mais en tout cas nous n’avons rien aperçu d’autre que des herbettes mouillées qui nous trempaient les pieds. C’est plus ou moins la seule chose qui aurait pu se passer de la journée et je n’ai absolument rien à écrire sur le sujet…

Nous avons marché quelques kilomètres ensuite en contrebas d’une route importante et avons fait une longue pause assis sur nos sacs. La région semble également avoir moins investi que la Toscane, par exemple, pour la Via Francigena. Sur toute la journée, nous n’avons vu qu’une table de pique-nique alors que les dernières semaines nous avions été surpris par le nombre d’aires de repos ou de simples bancs. Nous constatons également que nous approchons des zones aux déchets problématiques en dénombrant des dizaines de détritus au bord des routes, dans les champs. Sans parler des immondices qui s’empilent autour des containers sur plusieurs mètres et des nombreux appareils ménagers disséminés dans la nature…

Pendant plus de deux heures, nous avons finalement arpenté des oliveraies. L’herbe d’un vert très frais qui tapissait le sol contrastait avec le vert-gris des oliviers. Des hommes récoltaient les fruits dans certains vergers, tandis que des moutons entretenaient le gazon dans d’autres. La promenade s’est avérée agréable et tranquille, bien qu’un peu monotone. Nous avons dîné sur un banc installé par un privé devant sa maison, puis avons repris la route pour les derniers kilomètres qui nous séparaient de Vetralla, passant par la même occasion deux lignes imaginaires importantes : il nous reste ce soir moins de 100 kilomètres jusqu’à Rome et nous en avons ainsi parcouru plus de 1609. 1609 kilomètres, soit 1000 miles. De quoi entonner avec joie pour la deuxième fois de notre vie ce qui est aujourd’hui un peu notre hymne : “I would walk 500 miles and I would walk 500 more, just to be the man who walked a thousand miles.”

Vetralla

Notre gîte se trouve à l’opposé de là où nous devrons repartir demain. Une grande cour intérieure s’ouvre sur plusieurs bâtiments et l’arrière de l’église. Quand nous sommes arrivés, un homme à l’allure un peu douteuse et une femme un peu pareille nous ont invités à rentrer chez eux en attendant le prêtre. Nous avons préféré patienter dehors au soleil. Quand le prêtre est arrivé, il était fâché que nous ayons déjà dîné car il aurait aimé nous inviter à sa table. Il était quasiment 15 heures. Le prêtre nous a dit de rester là jusqu’à ce que Pietro revienne. Un monsieur est ensuite venu et nous en avons déduit qu’il s’agissait de Pietro. Il nous a conduits à l’intérieur du gîte et nous a dit d’attendre Pietro. Nous en avons déduit qu’il ne s’agissait en fait pas de Pietro, du coup. Le vrai Pietro est arrivé une demi-heure plus tard et nous a juste dit qu’il repasserait vers 19h30 pour tamponner nos crédenciales et recevoir nos éventuelles donations.

Ce gîte paroissial entre sans hésitation dans la catégorie “pires hébergements du voyage”, en compétition avec quelques perles trouvées en Allemagne ou en Italie. Notre chambre compte quatre lits aux draps aussi sales que le sol. Le coussin de Pascal est même taché de sang. Une baignoire sans rideau se trouve dans la salle de bains et en la voyant, j’ai décidé de ne pas me laver. Une couche de crasse tapisse ses parois et des traînées jaunes dessinent les endroits où l’eau coule. Mais le pire, pour moi, c’est l’odeur de cigarette qui traine dans ces deux pièces, imprégnée dans les murs.

Le vrai Pietro, le faux Pietro, le prêtre, la dame un peu douteuse et le monsieur un peu pareil nous ont tous indiqué que nous étions les bienvenus à leur table ce soir. J’ai visualisé dans mon esprit une cuisine aussi cradouille que le gîte, des casseroles grasses avec les restes des douze derniers repas collés au fond, les fourchettes utilisées pour se curer les dents, et j’ai décliné leur invitation avec mon plus poli sourire. Sans façon !

L’idée de rester là tout l’après-midi ne m'enchantait guère et j’ai proposé à Pascal d’aller faire un tour en ville et manger une glace. Alors pour faire simple et vite : il n’y a rien, c’est plutôt moche et mal entretenu. Si quelqu’un que vous n’aimez pas du tout vous demande des conseils pour les vacances, envoyez-le ici et vous êtes sûr qu’il ne vous adressera plus jamais la parole. Sur plus d’un kilomètre, nous n’avons vu qu’un restaurant, trois ou quatre bars et quelques magasins fermés. Pour une ville de 12’000 habitants, c’est un peu maigre ! Peut-être y a-t-il un autre centre ailleurs, mais je ne crois même pas. Nous avons aperçu néanmoins une gelateria et y sommes entrés avec un regain d’espoir. Espoir vite anéanti, quand nous avons remarqué qu’il n’y avait pas de glaces… C’est donc officiellement la pire gelateria de notre classement, classée sans dégustation possible !

Nous avons décidé de nous installer dans un bar et y passer l’après-midi à lire. Je devais également faire un petit boulot pour ma soeur et j’avais pour cela besoin d’un accès à Internet. Nous nous sommes donc posés sur un canapé confortable dans un bar et nous y sommes restés quelques heures, bien mieux là qu’au gîte. Peu après 19 heures, nous avons été souper au seul restaurant que nous avions vu, puis nous sommes rentrés au gîte où nous attendait le vrai Pietro pour faire un stämpel sur nos crédenciales. J’ai eu la sensation qu’il n’était pas fâché que nous ne soyons pas restés souper avec eux, donc tant mieux !