Dans les noisetiers

C’est avec empressement que nous avons quitté le gîte paroissial, et l’impression d’avoir fumé deux paquets de cigarettes pendant la nuit. Il me semble que mes habits, mon sac de couchage, mes cheveux, tout est imprégné de cette odeur rance de cendre froide. Nous sommes partis rapidement pour ne croiser personne et avons traversé une nouvelle fois ce village toujours aussi mort. Après avoir acheté un croissant dans le même bar où nous étions hier après-midi, nous avons parcouru la rue principale où se tenait le marché hebdomadaire. Nous avons encore acheté un litre de lait pour faire du chocolat froid et avons définitivement quitté Vetralla. Définitivement, car il s’agit bien d’un des derniers endroits au monde où nous souhaitons revenir.

Après la ville, la forêt. De larges chemins ont été dessinés dans cette forêt de chênes et de châtaigniers et plusieurs personnes se promenaient là ou cueillaient des champignons. Les sentiers en terre étaient très agréables après le goudron des derniers jours et l’air frais semblait purifier un peu nos poumons enfumés. Malheureusement, le ciel était couvert et le soleil ne parvenait pas à projeter ses rayons jusqu’à nos visages angéliques. Nous avons ensuite rejoint une petite route, puis des vergers de noisetiers. Les ruines d’un vieux monastère ont constitué l’unique “événement” de la matinée mais comme de gros chiens erraient autour nous n’avons pas pris le temps de les admirer. Bon, il s’agissait uniquement de quelques bouts de tours entourés par les arbres à Nutella, dans la brume et sous la pluie, donc je pense que la visite aurait été relativement brève de toute façon…

Nous avons fait une petite pause en bord de route, assis sur nos sacs, et avons mangé des mandarines. Manger des mandarines, c’est accepter l’hiver. J’avais déjà trouvé dur la première fois que nous avions acheté du raisin, symbole de l’automne. C’est comme la première soupe à la courge, la première brisolée, la première chasse, le premier papet… C’est la fin de l’été, des pêches, des fraises, des melons, des salades tomates-mozzarella. C’est la fin de la vie, quoi. Alors les mandarines, les oranges, les pains d’épices et les soupes, c’est bon mais c’est la fin du monde. Dur d’accepter que nous sommes partis avec les framboises et les abricots, des températures de plus de 30 degrés et que nous allons rentrer pour voir des vignes rouges et enfiler nos vestes. La prochaine fois, il faudra que nous partions plus longtemps !

Capranica

Il pleuvait quand nous sommes arrivés à Capranica et, à moins de trouver une église où nous réfugier, nous avons décidé de chercher un bar pour dîner. Notre pique-nique pouvait être gardé pour ce soir ou demain. Nous avons aperçu quelques petits établissements avant le centre et avons décidé de tenter notre chance plus loin. Grosse erreur : il n’y avait plus rien du tout une fois les murailles franchies ! Nous savons pourtant qu’il faut toujours choisir la première opportunité car nous ignorons ce que la suite nous réserve, mais nous avions bêtement pensé qu’il y aurait un bar parmi les commerces du centre historique. Nous avons ainsi traversé tout le village et, une fois à la sortie, avons décidé de quitter la Via Francigena pour nous rendre à un petit bar en contrebas des remparts, aperçu depuis les hauteurs. Nous y avons mangé des sandwiches et avons profité d’utiliser les toilettes. Nos espoirs pour que la pluie cesse durant cette trêve sont restés insatisfaits et nous avons repris la route avec nos K-ways, bien emballés.

Alors que je me retournais dans une montée après le village pour voir de quoi il avait l’air, j’ai aperçu une pèlerine avec un gros sac orange fluo une vingtaine de mètres derrière nous. Immédiatement, nous avons reconnu Mary. Elle a fait des étapes différentes du tracé officiel, ne passant pas par Vetralla, afin de faire une étape en moins entre Montefiascone et Sutri. Nous l’avons attendue au sommet de la montée et avons marché ensemble les quelques kilomètres dans la forêt qui nous séparaient de Sutri. Lors de journées comme celle-ci, où il pleut et qu’il n’y a pas grand chose à voir, il s’avère d’autant plus agréable de marcher et papoter avec d’autres pèlerins. Pour Mary, qui marche seule, le temps doit sembler passer encore plus lentement que pour nous qui trouvons facilement des sujets de discussion ou des jeux.

Cette promenade dans les bois s’est révélée très plaisante. Nous longions un petit ruisseau que nous traversions de temps à autre sur des ponts glissants constitués de quelques troncs. La mousse était épaisse sur les rochers et des fleurs violettes illuminaient le sous-bois.

Sutri

Nous avons atteint Sutri directement après avoir quitté cette forêt. Le village a été construit sur une colline de tuf, dont la base façonnée il y a plusieurs siècles forme un rempart sur lequel reposent des maisons ancestrales. Nous avons rejoint le centre du village et une femme à sa fenêtre nous a demandé si nous cherchions un logement. Nous avons répondu par l’affirmative, pensant qu’il s’agissait du couvent que nous cherchions. Après avoir lu le nom sur la porte, nous avons compris que ce n’était pas le cas et nous avons demandé notre chemin à plusieurs personnes. Après une dizaine de minutes, nous avons sonné chez les soeurs et l’un d’elles nous a indiqué qu’aujourd’hui nous ne pouvions pas être hébergés… Pas d’autres précisions. Un second couvent se trouvait sur la liste des hébergements mais il est situé à quelques kilomètres de la ville, aussi avons-nous décidé de revenir sur nos pas et aller sonner chez la dame à la fenêtre. Celle-ci devait ricaner de nous voir à nouveau là alors que nous avions ignoré un quart d’heure la porte qu’elle nous ouvrait… Elle a cependant juste demandé avec un sourire : “C’était fermé chez les soeurs hein ?” Sous-entendu : “Je vous avais dit de venir ici, pauvres crétins…” Elle nous a conduits à une sorte de petit appartement. Nous avons une chambre double avec salle de bains privative et Mary dort dans une minuscule chambrette et utilise la deuxième salle de bains. Une cuisine bien équipée est également présente et un déjeuner varié y est proposé.

Pascal et moi sommes ressortis pour faire des emplettes, manger une glace et visiter un peu. Nous nous sommes tout de suite rendus à l’office du tourisme pour obtenir un tampon sur nos crédenciales et avons demandé au tourismier où nous pouvions acheter à manger.

- “Il y a un Conad à deux kilomètres, dehors de la ville.

- Où ça ?

- Faut aller à gauche en sortant.”

Merci charmant monsieur pour ces précisions si généreusement dispensées… Deux kilomètres, c’était un peu loin pour acheter des spaghetti et nous étions certains de pouvoir en trouver plus près. Nous avons donc ignoré ses indications, pas suffisamment claires de toute façon pour nous mener au supermarché, et avons trouvé un petit commerce d’alimentation vingt mètres plus loin… Notre balade nous a ensuite conduits à l’église, dont le sol en mosaïques et les fresques se sont révélées particulièrement colorées et lumineuses. Une grande crypte se situait sous le choeur mais il fallait payer pour l’éclairer. Nous avons préféré la découvrir avec le maigre faisceau de la lampe de notre natel et cela a apporté une ambiance de film d’horreur tout à fait inattendue et bienvenue. Notre visite de la ville s’est achevée là, puisque les autres monuments de Sutri, notamment un amphithéâtre et une église gravés à même le tuf, se situent en dehors des remparts.

Comme le prix de la chambre dépasse largement le budget que nous accordons d’habitude aux gîtes, nous avons décidé de cuisiner là ce soir avec Mary au lieu d’aller au restaurant. Pascal s’est occupé du repas et a préparé d’excellents spaghetti tomate-thon.

Cela fait maintenant plusieurs jours que nous côtoyons Mary et nous en apprenons toujours un peu plus sur elle. Elle nous a expliqué avoir été enseignante, journaliste, avoir écrit des livres puis s’être spécialisée dans l’intégration de personnes ayant des problèmes de santé dans des programmes d’éducation physique. Cela se voit qu’elle est très cultivée et qu’elle s’intéresse à beaucoup de domaines. C’est une hyperactive qui a besoin de bouger, marcher, être dans la nature et vivre sainement. Son rythme de vie lui réussit d’ailleurs visiblement bien puisqu’elle paraît au moins dix ans de moins que son âge. A un an de la septantaine, peu de personnes sont capables de parcourir plus de 2000 kilomètres à pied à travers l’Europe, avec un gros sac sur le dos et contre les facéties de la météo ! Elle tient d’ailleurs aussi un blog de son voyage, en anglais par contre : http://quovadis-walkingtorome.uk.

Des nouvelles des copains

J’ai appelé Marco dans la soirée et il m’a indiqué qu’ils ont tous trouvé l’étape terriblement ennuyante. Suite à mes avertissements sur le gîte paroissial, ils ont choisi d’aller dans un couvent et en sont très satisfaits. Ils ont aussi trouvé que Vetralla est une ville particulièrement désolante et morte. Marco m’a ensuite dit que Gemma s’est fait mal à un pied et qu’elle n’est pas sûre de pouvoir continuer. Apparemment, il s’agirait plutôt d’une tendinite ou d’une fracture de fatigue puisqu’elle n’a subi aucun traumatisme. Ce serait vraiment triste qu’elle doive s’arrêter si proche du but et j’espère qu’elle pourra poursuivre l’aventure !