Le mont dans la cuvette

Nous avons éteint le réveil quand il a sonné à 7h15 et avons décidé de faire la grasse matinée. Il ne nous reste que quelques jours de marche, pourquoi se presser ? Mary était déjà loin quand nous nous sommes levés et elle nous avait laissé un gentil petit mot dans la cuisine. Nous avons pris le temps de préparer un bon déjeuner, avec des oeufs à la coque, des joghurts et des tartines, du chocolat froid et du jus de fruits. Cela nous a vraiment fait plaisir pour une fois de ne pas manger un croissant hyper sucré à la confiture ou au chocolat !

Nous avons quitté le gîte peu avant 9 heures et avons fait la moue en réalisant qu’un épais brouillard enveloppait la ville. Il ne pleuvait heureusement pas mais l’air était froid et humide. Nous avons traversé un parc dans lequel se trouve un amphithéâtre impressionnant en tuf. Il a été sculpté à même la roche il y a près de 2000 ans et, d’après ce que nous avons pu en apercevoir, reste bien conservé. Nous avons été très étonnés en voyant ce monument, puisque d’habitude nous ratons de façon inexplicable tous les points d’intérêt.

Le chemin jusqu’à Monterosi s’est révélé ennuyeux, puisque nous avancions au début au milieu de noisetiers, puis dans des oliveraies. Le brouillard demeurait épais, rendant la route encore plus monotone. Nous avons dépassé un couple de pèlerins inconnus peu avant le village, sans doute des Italiens, mais nous ne les avons pas revus ensuite et ils ne dorment pas au même endroit que nous. A part cela, il ne s’est vraiment rien passé. Et vous conviendrez que cette rencontre ne représente pas la plus folle et haletante des péripéties…

Monte Gelato

Bref, nous sommes arrivés à Monterosi à l'instant où le ciel devenait bleu, des nuages masquant néanmoins toujours le soleil par moments. Nous avons ensuite marché dans la campagne le reste de la journée, apercevant de temps en temps des troupeaux de moutons heureux et apaisés, qui bêlaient comme des idiots pour nous souhaiter bonne route. L’apogée de la journée se trouvait au Monte Gelato, où un vieux moulin a été construit au bord de cascades. Nous, ce qui nous amusait surtout, c’était d’aller au Monte Gelato (Mont Gelé, mais “gelato” veut aussi dire “glace”). Cela aurait pu représenter le but absolu de notre voyage et nous aurions pu y manger une ultime glace avant de rentrer au pays. Mais bon, quand nous avons réalisé qu’il n’y a pas de gelateria au Monte Gelato, tout l’intérêt du lieu s’est aussitôt évaporé. L’autre chose qui nous faisait rire, c’est que ce supposé mont se situe dans une cuvette et représentait le point le plus bas de toute l’étape. Ce n’est en fait pas du tout un mont, pas même un monticule, ni même une buttelette. C’est un trou. Et il n’est pas du tout gelé. Donc pour résumer, le Mont Gelé n’est pas un mont, n’est pas gelé et n’a pas de gelateria. Il y a intérêt alors que les cascades égalent celles du Niagara ou au moins la Pisse-Vache, nous sommes-nous dit, et que le moulin soit le plus mignon du monde avec une grande roue qui tourne hardiment dans l’eau ! Et bien non. Pas du tout. Les cascades sont en fait de bêtes petites chutes d’eau d’un ou deux mètres et le moulin n’est plus qu’une grande maison en pierres bâtie entre deux bras de la rivière, sans roue et fermée au public. Attention, je ne dis pas que c’était vilain ! Au contraire, l’endroit est tout à fait charmant et en été il doit être agréable de tremper les pieds dans l’eau. Mais quand le site est annoncé comme L’attraction (avec un grand L) de toute la région, il y a de quoi être déçu !

Campagnano di Roma

Nous avons mangé un peu plus loin, assis par terre car il fallait payer dix euros pour utiliser l’aire de pique-nique du Monte Gelato. Ensuite, nous avons parcouru les quelques kilomètres qui nous séparaient de Campagnano di Roma, traversant des forêts où la couleur automnale poignait (le verbe poindre ne se conjugue qu’à la troisième personne du singulier, donc je ne pouvais pas écrire “les couleurs automnales poignaient”... Mais c’est bien cela que je voulais dire, sinon ça n’a aucun sens. Saleté de langue française !) Tout en faisant des jeux pour rendre la promenade plus stimulante, nous avons atteint la ville et avons fait plusieurs allers-retours avant de trouver des indications sur l’emplacement du gîte. Celui-ci se trouve en dehors de l’itinéraire de la Via Francigena et loin du centre. Nous avons acheté un joghurt glacé et nous sommes rendus au gîte. Mary était déjà arrivée et c’est elle qui nous a accueillis car le responsable s’était absenté. Le gîte se trouve au dernier étage du centre paroissial et a été entièrement rénové. C’est très joli et propre, avec des pièces aux plafonds très hauts. Les salles de bains sont modernes et bien équipées et il y a de la place pour une cinquantaine de pèlerins. J’imagine que aussi près de Rome les marcheurs doivent être nombreux en été ! Nous sommes pour notre part juste les trois et cela nous convient parfaitement.

Nous avons été au bar juste en face du gîte pour boire un verre, puis Mary nous y a rejoints et nous avons soupé ensemble. Le bar propose un menu très bon marché pour les pèlerins et nous avons bien mangé et rigolé. Cela fait bizarre de penser qu’il s’agit déjà de notre avant-dernière soirée ! C’est fou de réaliser que demain sera notre dernier jour de marche normal, puisque vendredi nous arriverons à Rome. D’un côté, j’aimerais déjà y être et je pense que l’étape de demain va paraître longue, et d’un autre, je n’ai pas envie que cela s’arrête. Rentrer me fait plaisir tout autant que cela m’effraie. Après trois mois hors du temps et loin du monde, je n’ai pas envie que notre bulle éclate et en même temps je me réjouis de retrouver ma vie normale. Mary aussi ressent les effets de la proximité de Rome. Elle se sent fatiguée depuis quelques jours et a hâte d’arriver et rentrer chez elle. Sa fille, qui a parcouru les premières étapes en Angleterre avec elle, arrivera vendredi soir à Rome pour la retrouver et la féliciter.

Des nouvelles des copains

J’ai appelé Giacomo une fois de retour au gîte pour prendre des nouvelles de nos amis. Gemma a pu marcher aujourd’hui et il pense qu’elle va réussir à serrer les dents jusqu’à Rome. Marco et lui vont bien et Giacomo se réjouit d’arriver à Rome samedi et faire la fête toute la nuit pour fêter son anniversaire qui est dimanche. Il m’a demandé ensuite comment étaient les cascades du Monte Gelato, car son guide indique qu’elles sont magnifiques et spectaculaires. Je crois avoir anéanti ses attentes en lui expliquant qu’il s’agit de petites chutes d’eau de deux mètres… Il m’a également demandé si le lac de Monterosi était beau et je suis restée très perplexe. Avec le brouillard, nous n’avons même pas entrevu le grand lac en contrebas du village ! J’espère donc qu’il est magnifique et qu’il compensera les piètres cascades aux yeux de Giacomo.